« Video Nasties » (Collection Darkness n°4 – Censure et cinéma)

Après le gore et la violence, le sexe, la politique et la religion, l’équipe de Darkness s’attelle à un gros dossier consacré à la censure en Angleterre, notamment à ce moment très particulier du début des années 80 au moment où éclate l’affaire des « Video Nasties » (traduire : « vidéos obscènes »). Contrairement aux trois volumes précédents, ce quatrième tome d’une collection décidément passionnante est composé presque exclusivement de la réédition intégrale du n°16 (décembre 2015) du célèbre fanzine. Seuls deux textes plus anciens (signés Bernard Gensane et Christophe Triollet) éclairent de manière plus générale l’histoire de la censure britannique et le système de classification des œuvres.

Régie depuis 1912 par une institution privée et indépendante, le British Board of Film Classification (BBFC), la classification des films en Angleterre se distingue de celle adoptée en France où seul le ministère de la culture peut délivrer un visa d’exploitation des films en salles (après l’avis de la commission de classification). Le BBFC est « compétent non seulement pour délivrer l’autorisation de projection des films en salles mais aussi pour autoriser leur sortie matérielle (DVD ou Blu-Ray) ou virtuelle (téléchargement légal ou streaming, services de médias audiovisuels à la demande) sur le marché de la vidéo. »

L’affaire des Video Nasties va éclater à la faveur d’un vide juridique. Lorsque les magnétoscopes font leur apparition au milieu des années 70, les éditeurs de cassettes vidéo proposent dans leurs catalogues des œuvres « souvent inédites, parfois pornographiques violentes ou interdites » qui échappent au contrôle du BBFC. Christophe Triollet revient de manière rigoureuse sur cette histoire et ses incroyables rebondissements. Ce sont d’abord les associations familiales qui montent au créneau avant que la presse à scandale mène une campagne de sensibilisation contre l’arrivée de cette « vague d’insanité » qui s’invite dans les foyers des sujets de sa Majesté. De nombreux articles dénoncent le danger de ces films accessibles désormais à tous et dont on fait la publicité dans les magazines spécialisés (un encart publicitaire annonçant la sortie de The Driller Killer avec le crâne d’un homme perforé par le foret d’une perceuse émouvra particulièrement ce petit monde). En vertu d’une loi de 1959 réprimant l’obscénité, de nombreux vidéoclubs sont l’objet de saisies médiatisées. Pour éviter les poursuites judiciaires, les principaux vendeurs et loueurs de vidéos de Grande-Bretagne se soumettent aux autorités et souhaitent la publication d’une liste des cassettes interdites. Ce sera chose faite avec la publication en 1983 d’« une liste infamante de 72 titres stigmatisés sous la dénomination de Video Nasties »

Sur cette affaire, l’ouvrage est extrêmement précis et rigoureux : chronologie détaillée des événements, liste des films prohibés avec le relevé minutieux des coupes ayant permis leur reclassification, coupures de presse de l’époque… Et comme d’habitude avec les publications Darkness, la rigueur du juriste se conjugue avec la passion cinéphile. La majeure partie de l’ouvrage est alors consacrée à l’analyse approfondie des 72 films placés sur la fameuse liste des Video Nasties. A la fois les 39 titres interdits au Royaume-Uni et ayant fait l’objet de poursuites devant les tribunaux (de La Baie sanglante de Mario Bava à L’Enfer des zombies de Fulci en passant par Cannibal Holocaust, I Spit on your Grave et Ténèbres) et les 33 autres ayant été interdits mais n’ayant pas fait l’objet de poursuites judiciaires (de Contamination de Luigi Cozzi à Virus cannibale de Mattei en passant par L’Au-delà de Fulci et Possession de Zulawski). A noter que certains films furent interdits au Royaume-Uni (Les Chiens de paille de Peckinpah, Massacre à la tronçonneuse de Hooper) ou saisis par la police (Basket Case d’Henenlotter, Macabre de Lamberto Bava) sans pour autant figurer sur la liste de « Video Nasties).

Pour ce panorama critique, toute la fine fleur du fanzinat français s’est attelé à la tâche. On retrouvera les noms bien connus des amateurs de cinéma bis : David Didelot (Vidéotopsie), Didier Lefèvre (Médusa), Augustin Meunier (Black Lagoon), Stéphane Erbisti (Toutes les couleurs du bis), Fred Pizzoferrato, Yohann Chanoir ou encore Eric Peretti. L’ensemble est de haute tenue même si le lecteur peut avoir ses préférences pour telle plume plutôt que l’autre. Il ne s’agit évidemment pas de distribuer les bons (ou éventuels mauvais) points mais de souligner peut-être que les articles les plus intéressants sont ceux qui abordent les films les moins connus ou/et ceux qui parviennent à rester axés sur les questions de censure.

Dans sa (belle) chronique sur Horrible de Joe d’Amato, David Didelot écrit « On ne refera pas toute l’histoire car les lecteurs de Darkness ont forcément vu ce fleuron des vidéoclubs et du cinéma gore, sur-chroniqué dans moult fanzines et sur des dizaines de sites ». Sur cette base, les meilleures études sont celles qui parviennent à suivre ce précepte et qui évitent les énièmes présentations de films qui sont, pour certains, très connus. Eric Peretti, par exemple, s’est fait le spécialiste de films plutôt rares (à l’exception de The Driller Killer) et nous propose toujours de passionnantes anecdotes pour expliquer la manière dont ces incunables ont réussi à être « listés » (c’est d’ailleurs, pour certains, cette mise au ban qui leur vaut aujourd’hui leur petite réputation).

Mais il n’est pas le seul et ce panorama critique s’avère aussi instructif que palpitant. Et à part pour quelques têtes de gondole très célèbres qu’on connaît par cœur, il donne très envie de découvrir ces films qui firent frémir la perfide Albion au début des années 80 (c’est suite à la lecture du fanzine que j’ai commandé pour ma part le DVD de Nightmare de Scavolini) et nous permet de nous replonger avec un grand plaisir dans une époque (les vidéoclubs et les grandes heures du cinéma fantastico-horrifique) qui semble désormais fort lointaine…

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Video Nasties

(sous la direction de Christophe Triollet)

Editions LettMotif

ISBN : 978-2-36716-220-1

Prix : 24€

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A propos de Vincent ROUSSEL

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