Marie Amachoukeli, réalisatrice d’Ama Gloria, film d’ouverture de la 62e Semaine de la Critique

Après Party Girl, co-réalisé avec Claire Burger et Samuel Theis, un titre qui a fait en 2014 l’ouverture de la section Un Certain Regard pour finalement remporter la Caméra d’or, Marie Amachoukeli a inauguré cette année la 62e Semaine de la Critique avec son premier long-métrage en solo, Ama Gloria. Le film, tourné entre la France et le Cap-Vert, évoque le lien fort entre une fillette, Cléo, et sa nounou Gloria, la seule figure maternelle qu’elle ait jamais connue aussi loin qu’elle puisse se souvenir.

En faisant ce premier long-métrage en solo après avoir travaillé à trois, avez-vous retrouvé des réflexes, découvert de nouvelles choses, fait face à des challenges différents ?
Marie Amachoukeli : J’ai plutôt aimé, mais ce que j’ai appris, c’est qu’au-delà du fait que la solitude est toujours un peu difficile à surmonter, quand on fait un film, on est tout de même très entouré, on a beaucoup de collaborateurs, et de fait,d’un coup, il y a eu davantage la place pour que ces collaborations existent (que ce soit avec ma productrice, ma monteuse, ma cheffe opératrice, ma monteuse son, qui est aussi la compositrice du film), alors qu’avant, quand on était cette espèce d’aigle à trois têtes, ce n’était pas le cas. Là, j’ai vraiment éprouvé ce que c’était que cet échange, avec des gens qui étaient plus extérieurs, mais qui m’ont soutenue et portée pendant deux ans.

Donc ce n’est pas un projet que vous couviez déjà avant ?
Non, il est tout récent. Déjà, comme je suis en premier lieu scénariste, je gagne ma vie en écrivant pour d’autres, ce que je me suis remise à faire après Party Girl. Ensuite, ce premier long avait été une folle aventure, mais c’est aussi un film pour lequel on a beaucoup donné, et quand on donne beaucoup, il faut récupérer après, or j’ai un temps de récupération un peu plus long que la moyenne, en l’espèce de plusieurs années. Enfin, je m’étais dit que je ne ferais un film qu’autour d’une histoire qui puisse me porter pendant des années – on ne peut pas shooter comme ça, n’importe où n’importe comment !C’est alors que j’ai re-songé à un petit épisode de ma vie : toute petite, jusqu’à mes six ans, j’ai été élevée par une femme qui s’appelait Lorinda, et quand elle m’a annoncé qu’elle repartait dans son pays, parce que j’avais grandi dans son regard et dans ses bras, pour moi le monde s’est effondré. J’ai voulu revenir sur ce moment et interroger tout cela. Ma productrice, à qui j’avais raconté cette anecdote, était convaincue que c’était un film. C’est vraiment elle qui m’a donné l’impulsion pour commencer l’écriture.

Vous retrouvez ici, de l’enfance, les petits détails, les petits gestes, mais aussi les émotions les plus impétueuses et radicales.
En effet, comme c’est un film qui se met à hauteur d’enfant, il a fallu me replonger dans ce que c’est que l’enfance et pourmoi en tout cas (je ne peux pas parler pour tous les enfants !), l’enfance, c’est complètement volcanique, parce qu’on est traversé par des émotions qu’on éprouve pour la première fois, de sorte qu’on n’a pas appris à les gérer, à les mettre distance. Ça peut être un amour fou, une jalousie débordante, par des colères folles. Il fallait que le film soit à la hauteur de ça, de ce côté un peu « éruption volcanique«  des sentiments, quand on est petit.

L’écriture du film est très visuelle. Dans ce récit où l’accent est nettement mis sur le regard, vous avez aussi choisi d’illustrer par des moments d’animation, sporadiques mais importants, qui rendent le flou du souvenir et de la perception de l’enfant.
Il faut savoir que Cléo est très myope, myope comme une taupe, donc on a beaucoup joué de ça avec la cheffe opératrice, Inès Tabarin : des flous, des mouvements, de tout ce qui fait appel à ce genre de vision là en fait, où on devine le monde plus qu’on ne le voit. Après, pour l’animation, j’ai travaillé avec Pierre-Emmanuel Lyet, qui a fait les illustrations et codirigé les séquences d’animation. On s’est dit que ces séquences (qui ne sont pas si nombreuses en effet, mais qui sont, je crois, des moments importants du film) étaient là pour dire tout ce que la petite n’arrive pas à formuler, pour faireressentir au spectateur tout ce que la petite n’arrive pas lui dire, ou à se dire, et c’est comme ça qu’on les a articulées. On a recouru à une technique d’animation très difficile, c’est de la peinture animée sur verre, qu’il faut réaliser image parimage, donc vraiment douze images par seconde, ce qui représente un travail très conséquent. Il y avait donc une vingtaine d’animatrices au total qui ont travaillé sur le film, et comme on était dans une économie un peu serrée, on n’avait pas le droit au remords, c’est-à-dire qu’on ne pouvait pas se tromper, donc il fallait qu’on avance tous de concert dans la même direction et sur un one shot, donc c’était à la fois hyper stressant et très excitant.

Cléo regarde énormément, directement ou en douce, mais quasiment aussi souvent qu’elle regarde dans la même direction que la petite, la caméra se retourne vers ses yeux et ses regards incroyablement expressifs – je pense notamment au moment où le fils de Gloria, César, au Cap-Vert, rejette le cadeau qu’elle lui offre parce qu’il est jaloux du lien de Cléo avec sa mère, et où elle a un regard d’incompréhension incroyable. Comment avez-vous fait pour obtenir de cette fillette ces expressions bouleversantes ?
Louise (Mauroy-Panzani) est vraiment devenue comédienne en faisant le film, c’est-à-dire qu’au début, elle n’avait aucune expérience, mais par exemple, comme elle-même n’est pas myope du tout, dès qu’elle mettait les lunettes, elle devenait le personnage de Cleo. Ça, ça marchait bien : elle arrivait sur le plateau, elle mettait les lunettes et hop, c’était parti, elle était le personnage ! Il y avait aussi à ses côtés mon amie d’enfance Laure Roussel, qui s’est beaucoup occupée d’elle et qui lui a appris aussi à gérer la caméra, à convoquer des émotions, etc., mais surtout, je dois dire que Louise a une faculté assez incroyable, qui est que c’est quelqu’un qui écoute beaucoup et qui est très empathique. Ça surprend, de la part d’une petite fille de cinq ans, on ne s’attendrait pas à ce que ce soit possible à cet âge, mais avec elle si : elle écoute, et elle compatis. Donc je n’ai presque pas eu à lui demander quoi que ce soit, je n’ai aucun mérite dans cette histoire ! (rires) Elle l’a fait seule en fait, c’est-à-dire qu’elle voyait César et s’interrogeait vraiment sur le moment : elle jouait, et elle était au présent du film.

Que savait-elle de l’intrigue ?
Tout : elle a lu le scénario avec ses parents, elle m’a fait ses retours, ses commentaires, on en a parlé... Ce qui était plus compliqué, en revanche, c’est que comme on tourne dans le désordre, au cinéma, autant elle connaissait l’histoire, autant il fallait resituer constamment pour elle à quel point de l’histoire on était, et dans quelle émotion de l’histoire. Ça, ça a été un vrai challenge. Mais pour le reste, elle avait tout compris, pas besoin de lui expliquer quoi que ce soit.

Vous avez fait le choix, dans la lignée de la démarche qui portait déjà Party Girl, de choisir pour le rôle de Gloria une nounou dans la vie réelle. Comment avez-vous trouvé Ilça Moreno Zego, et Louise pour le rôle de Cléo ?
J’ai rencontré beaucoup de nounous pour faire le film, qui amenaient toujours des gâteaux et des sucreries pour le goûter (j’étais ravie, j’ai pris beaucoup de poids pendant ces auditions !), et puis un jour est arrivée Ilça, qui vient du Cap-Vert comme migrante économique et s’occupe d’enfants autistes auxquels elle est très attachée, forcément – parce que quand vous passez 24h/24 avec des petites choses qui ont besoin de vous et de votre amour, même si c’est un travail, c’est difficile de faire la différence, cette frontière-là n’est pas évidente. J’ai donc réécrit le scénario en fonction de ce qu’elle me racontait et en direction du Cap. Pour ce qui est de Louise, c’est la première que j’ai vue en fait : elle m’a tapé dans l’œil. J’ai dû voir quatre autres petites filles après, pour être sûre, mais dès que Louise et Ilça se sont rencontrées, ça a fonctionné, il n’y avait rien à faire, en fait !

Le regard est un motif clef, mais aussi la main qui tient l’enfant, qui caresse, qui rassure, et cet élément renvoie à Gloria, vers laquelle s’opère pendant le film un glissement. Au début, on a l’impression que le grand personnage central est Cléo, mais petit à petit, Gloria entre de plus en plus dans le cadre.
C’est que le film, ou plutôt la petite, son regard à elle, fait la place à celle qu’elle aime le plus au monde en fait, et du coup ça jaillit à un moment donné… Oui, effectivement, le film glisse vers le personnage de Gloria et ses émotions, et son regard à elle sur la petite.

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A propos de Bénédicte Prot

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