Après La maison au bout de la rue avec Jennifer Lawrence, Mark Tonderai continue d’explorer les tréfonds de l’horreur rurale en changeant toutefois de registre, suivant les traces – de manière peut-être un peu opportuniste – de Jordan Peele ou du récent Antebellum. En partant d’un point de départ intéressant, à travers le genre horrifique, le réalisateur ne défend pas une cause mais apporte une réflexion sur l’intégration des noirs dans la société américaine au cours de l’histoire.
Marquis T. Woods incarne dans toute sa splendeur un modèle de réussite citadin des afro-américains. Il possède une luxueuse villa, un emploi à haute responsabilité, une femme charmante et cultivée ainsi que deux adolescents très bien éduqués poursuivant des études dans le privé. Riche et ambitieux, il mène une existence rêvée. Mais un jour, ses racines le rappellent. Il apprend la nouvelle de la mort de son père qu’il n’a pas vu depuis des années. Il se rend accompagné de sa famille, dans un avion privé qu’il pilote, dans la région rurale des Appalaches pour l’enterrement. Suite à un accident, que le spectateur suppose, il se réveille seul et sans repères, dans une chambre vétuste. Incapable de marcher, il est recueilli et soigné par un couple de personnes âgées…
Cette introduction rappelle vaguement Misery sauf que Martin n’est pas un écrivain adulé mais un noir qui symbolise la trahison d’une race qui vit encore sous le joug des traditions et de superstitions, coincés dans un siècle où ils avaient le statut d’esclave. L’ambiguïté du dispositif s’avère réellement intéressant et payant lorsque le cinéaste convoque le fantastique par allusions. Les rites ancestraux laissent planer un doute sur la véracité de ce qui se déroule sous nos yeux. Le scénario de Kurt Wimmer, réalisateur de Equilibrium, joue habilement sur l’ambivalence entre rationalité et croyance, nous plongeant dans un univers coupé du monde citadin, retranché dans cette volonté de ne pas sortir du XIXème siècle.
Désigné comme coupable, Martin doit guérir non de ses blessures physiques, mais de son embourgeoisement citadin, de sa faute originelle d’avoir su s’adapter dans un système moderne loin de l’endroit où il se retrouve piégé. Spell décrit alors de manière remarquable le calvaire du personnage principal qui tente de comprendre ce qui lui arrive. Le film accumule les détails truculents comme ce clou gigantesque planté dans son pied, ce qui nous vaut une séquence particulièrement éprouvante ou Martin le retire sous nos yeux.
Les hôtes, derrière leur gentillesse, se révèlent dès leur apparition inquiétants, aveuglés par leur obscurantisme. Leurs motivations de faire rentrer dans le droit chemin le pauvre séquestré instaure un sadisme particulièrement jouissif. Il faut dire que Loretta Devine, en maitresse de maison, est assez géniale. Entre douceur et perversité, pivot du film, elle contamine l’atmosphère tendue de ce film retord qui reprend à son compte les thématiques et codes de ce que l’on nomme la « hicksploitation » en déplaçant l’univers des rednecks traditionnels au sein de la communauté noire, avec en sous-texte la problématique de l’esclavage.
Metteur en scène habile, Mark Tonderai fait preuve d’un réel sens esthétique notamment lors d’une séquence sur les toits magnifiquement éclairée où la caméra balaye l’espace avec une virtuosité insoupçonnable. Par d’amples mouvements avant, arrière, en plongée et contre-plongée, le cinéaste parvient à créer un climat anxiogène et fascinant, raccord avec la découverte que va faire à ce moment le héros, premier signe où Spell bascule dans le surnaturel.
Hélas, lorsque le fantastique s’infiltre comme une donnée concrète, le film perd sa singularité et son trouble, le récit retombant sur les rails du cinéma d’horreur consensuel avec sacrifice, gris-gris, poupées vaudous, miracle accompli et sorts jetés. Surtout, Spell abandonne en cours de route sans souci de réelle cohérence, sa dimension sociale et politique pour ne proposer qu’un survival efficace, assez malsain dans ses meilleurs moments, s’achevant par un épilogue convenu.
C’est d’autant plus dommage que la réflexion sur la nature et la culture, la croyance et la rationalité, avait de quoi nourrir un grand thriller horrifique questionnant la place des noirs dans la société américaine au regard de leur histoire. En l’état, Spell reste un bon film de genre, d’une redoutable efficacité, remarquable filmé et interprété par des comédiens convaincants.
Le film est disponible en VOD sur un certain nombre de plateformes.
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