Wardi s’ouvre par ces mots: « En mai 1948 fut créé l’Etat d’Israël. Environ deux tiers de la population furent déplacés de leurs terres ancestrales. Les palestiniens appellent cela la « Nakba », la Catastrophe. Jusqu’à aujourd’hui ils sont toujours réfugiés. »
Le contexte, clair et radical, de ce long métrage d’animation permet de rentrer dès les premières images dans le vif du sujet. L’action se déroule à Beyrouth dans le camp de réfugiés de Bourj El Barajneh. Wardi, palestinienne de 11 ans, née au Liban, a l’air d’une ado comme les autres, brillante à l’école et socialement intégrée. En trente secondes, grâce à un travail d’écriture sans fioriture, les traits de caractère de la jeune fille sont dessinés avec beaucoup de justesse. Sidi, son arrière-grand-père, fut l’un des premiers occupants du camp après avoir été chassé de son village en 1948.
En fin de vie, luttant contre une longue maladie, il refuse le dernier traitement proposé. Il pense à son arrière-petite-fille, à ce qu’il doit lui transmettre. Il confie à Wardi la clé de son ancienne maison en Galilée, sachant qu’il n’y retournera jamais. L’environnement décrit, à travers des dialogues explicites, évoquant les attentats constants et les assassinats, baigne dans une atmosphère instable et inquiétante.
L’intention du cinéaste n’est pas de s’apitoyer sur le sort de ces pauvres gens déracinés, mais de raconter, à la manière d’une fable orientale, différentes périodes de l’histoire du conflit israélo-palestinien, ou pour être plus précis de la vie de ces expatriés dans les camps en 1948, 1969, 1982 et 1986, quatre périodes déterminantes. Ces souvenirs, douloureux mais représentés à l’écran de manière pudique, sont relatés en partie par la famille de Wardi qui opère alors un travail de mémoire nécessaire, une lutte contre l’oubli, ce qui guette sans doute de plus en plus les jeunes générations. La réflexion pédagogique et militante du norvégien Mats Grorud, auteur complet du film, n’est pas exempte de manichéisme, ni d’un parti pris, en soi édifiant, mais sans nuance. Il s’échine à montrer la douleur endurée par ces hommes et ces femmes, en évitant toutefois de donner un visage à l' »ennemi » potentiel.
Il préfère délivrer un joli témoignage humaniste sur le devoir de transmission plutôt qu’une fiction belliciste à charge qui dénoncerai trop explicitement la politique israélienne, déjà induite par la situation.
Ancré dans une actualité brûlante, le sujet s’avère toujours aussi polémique. Mats Grorud s’est inspiré de sa propre histoire, ou plutôt de celle de sa mère. Il nourrit ce projet depuis dix ans et opte pour une forme poétique et gracieuse. Le recours à l’animation permet d’alléger le discours, de mettre le spectateur légèrement à distance. Une douceur narrative, parfois contemplative, atténue le propos pessimiste de cette part tragique de notre histoire.
Cette fluidité tient avant tout à la forme qui entrecroise le stop motion (animation de marionnettes) et animation 2D traditionnelle. Les marionnettes reflètent le présent tandis que pour évoquer le passé, les auteurs ont recours au dessin animé à l’ancienne, en soignant particulièrement les décors et les couleurs, proches d’un style BD inspiré de la ligne claire.
Cette combinaison de techniques animées révèle la part la plus réussie de ce courageux pamphlet politique. Néanmoins, cette version en mineur de Valse avec Bachir, en ne ciblant pas clairement son public, peut paraître trop édifiante pour les adultes et surprendre le jeune public peu habitué à être confronté à un sujet aussi grave, requérant un minimum de connaissances.
Malgré ses menus défauts, en l’occurrence une joliesse insistante de la musique et un rythme assez atone, Wardi reste une belle proposition de cinéma, à travers cette suite de témoignages recueillis par une jeune héroïne qui garde l’espoir d’un avenir meilleur.
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