L’Oiseau de paradis n’a rien à voir avec le classique de King Vidor bien qu’il navigue aussi en eaux troubles vers des senteurs exotiques. Le premier long métrage de Paul Manate, projet éminemment personnel, a mis 10 ans à se concrétiser. Pour cet enfant du pays exilé en France depuis de nombreuses années qui tourne l’un des très rares films polynésiens, un rêve un peu fou se réalise. Il s’agit même du premier film tahitien tourné par un tahitien. Pour cette raison, L’Oiseau de paradis incite d’emblée à l’indulgence et attise la curiosité. Dès ses premiers plans, ce conte moderne s’écarte des conventions et affiche une belle ambition en s’éloignant des clichés touristiques qui trottent dans nos têtes dès que le nom de Tahiti est prononcé, avec ses plages à perte de vue, ses cocotiers et son océan bleu azur. Si certaines prises de vues invitent au voyage, Paul Manate tente avant tout de saisir le pouls de l’île de l’intérieur, de proposer une vision topographique inédite des lieux, en montrant notamment la difficulté de la population de subvenir à ses besoins dans un contexte économique et social difficile.
Paul Manate s’est inspiré de ses propres souvenirs d’enfance et de l’actualité politique récente pour écrire un scénario hybride, qui hésite entre plusieurs genres et tonalités. Énoncé succinctement, le sujet s’avère même très classique, embrassant même les codes de la série B fantastique classique. Le point de départ n’est pas sans évoquer, toutes proportions gardées, Jusqu’en enfer de Sam Raimi. Il en partage certaines thématiques, le postulat de départ de la malédiction d’une sorcière étant remplacé par une prédiction. Mais au fond, cette nuance ne change pas grand-chose à l’angoisse provoquée par une telle annonce.
Au thriller horrifique de l’américain, Paul Manate préfère un récit apaisé, flottant, chuchoté et presque serein, de ceux qui provoquent un engourdissement quasi hypnotique, cette sérénité camouflant une angoisse existentielle qui infuse le film à travers son héros, petit requin aux dents longues et à l’avenir prometteur, pris sous l’aile d’un politicien véreux. Suite à une rencontre déterminante la vie de Teivi va basculer. Personnage mystérieux doté de pouvoirs mystiques, traitée de sorcière par ses petits camarades de classe, sa cousine Yasmina lui rend visite pour un travail à la demande de sa mère. Elle lui annonce une prédiction pour le moins déstabilisante : « Ils vont te tuer ».
Teivi est alors en proie à des malaises récurrents. Si sa situation professionnelle n’est pas simple, empêtré dans une affaire de corruption immobilière, il est convaincu que son état a un rapport avec l’annonce de sa cousine. Il part à sa recherche, dans l’idée qu’elle trouvera peut-être le remède au mal qui l’envahit physiquement et moralement.
Ambitieux et sincère, L’Oiseau de paradis ne convainc pas totalement, parasité par une narration fébrile, souvent hésitante, essayant de conjuguer à la fois le conte fantastique, la parabole politique et la quête intérieure d’un personnage. L’arrière-plan engagé sur fond de corruption locale se révèle décevant, traité superficiellement par un cinéaste qui ne parvient pas à faire passer le sentiment d’injustice, la détresse de la population locale face à ce projet immobilier. La séquence, éloquente à l’assemblée de la Polynésie française sonne faux. Cette partie convenue, dénuée de véritables enjeux, ne parvient pas, fort heureusement, à dissimuler toutes les beautés secrètes du film, à commencer par un extraordinaire travail sur le son et les images. Dès que L’oiseau de paradis devient taiseux, débarrassé de ses dialogues un peu creux, il impressionne par la seule force de la mise en scène en osmose avec son mystique et son surnaturel. Ce voyage intimiste au cœur d’une île méconnaissable envoûte, provoque des sensations inédites liées aux textures sonores et visuelles, magnifique articulation entre la sublime musique d’Olivier Mellano – ex Bed et guitariste de Dominique A –, les sons naturels du vent, de l’eau qui coule, des oiseaux et des cadrages magnifiquement composés, alternant les plans larges à l’inspiration picturale à ceux rapprochés, proches des corps. Une émotion diffuse parcourt cette oeuvre curieusement interprétée par des comédiens presque absents, présences fantomatiques à l’unisson de son inspiration funambule et irréelle.
En brisant les barrières, passant du naturalisme à l’onirisme, L’Oiseau de paradis, quête initiatique d’un jeune homme aliéné par le système, passant d’un système de pensée matérialiste à une dépression spirituelle, étonne par ses partis pris esthétiques.
Attachant et inégal, ce beau conte tahitien possède les qualités et les défauts d’une première oeuvre, ce qui est tout à son honneur. Le film est disponible depuis le 24 mai en VOD.
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