Dès les premières images, Lattuada donne le ton : un rythme rapide, une succession de plans, précis et curieux, joliment colorés, sur les lubies d’un vieil homme, tout affairé à ses empaillages. Il succombe à un infarctus, on l’enterre, et ce sont trois paires de jambes que l’on voit s’éloigner de la tombe. Celles de ses trois filles, aussi riches désormais de leur chasteté que de leur héritage.
Non loin de là vit Emerenziano Paronzini (Ugo Tognazzi, l’un des Monstres de Dino Risi, qui sort tout juste du tournage de Porcherie, de Pasolini), un fonctionnaire des impôts grisonnant. Vétéran de la Campagne d’Albanie, mutilé à l’entrecuisse, il n’en reste pas moins doté d’un féroce appétit et aspire à vivre selon les préceptes de la loi des trois C : caresse, chaleur et confort. Découvrant la riche demeure des trois orphelines, il y voit rapidement l’opportunité de tripler son bonheur.
Voilà donc le début d’un conte cruel, un brin pervers. Lattuada prend le parti d’un farouche hédonisme, principalement centré sur les envies de son héros. Le réalisateur s’en amuse, et y voit l’occasion de frapper de coups d’estoc la morale italienne, qu’elle soit bourgeoise ou religieuse. Ainsi l’une des trois sœurs tient-elle la bibliothèque de la ville, rattachée au clergé ; elle s’offusque publiquement que la jeunesse vienne y chercher du Sade ou du Sacher-Masoch mais lit, secrètement et avec une gourmandise affichée, Histoire d’O. La férocité de Lattuada va plus loin : ses trois héroïnes sont les parfaits contre-modèles des canons de beauté de l’époque. Quant à Paronzini, bel homme d’apparence, il tire tout son savoir d’un absurde traité de la fin du XIXème siècle, Physiologie du plaisir. Il témoigne en tout d’une constante vulgarité, et sa belle allure se craquelle dès lors qu’il passe à table, ou se met à parler.
Le film vaut justement aussi pour ses scènes de repas. La dernière, évidemment, qui préfigure La Grande Bouffe, mais ainsi une autre, où Paronzini, après avoir découpé un trio de poires plus que blettes, finit par en réunir les morceaux, et s’émerveille devant le nouveau fruit, parfait à ses yeux. Il en va ainsi des trois filles, l’une a de longues jambes, l’autre de jolies mains, et la troisième une chevelure longue et soyeuse. Voilà peut-être un ensemble idéal, mais forcément incomplet pour qui respecterait une scrupuleuse observance du principe holiste. Notre héros cherchera donc, très logiquement, à parfaire ce tout d’amours ancillaires.
Par-delà ce geste de recomposition, Paronzoni semble aller dans le sens du fantasme du père des trois orphelines, entraperçu au début du film, lequel s’acharnait à créer la plante parfaite, à réussir l’empaillage idéal. Mais nous ne sommes pas chez Hitchcock et, bien qu’en pays catholique, la Mama est parfaitement absente du film. On observe simplement la recherche d’une fabuleuse jouissance, une course folle qui mène le héros à l’impuissance, et à une curieuse morale où il devient, par la force des choses, l’objet de ses proies.
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