Environ huit ans après la mort de Sid Vicious – alias John Simon Ritchie – et de sa petite amie Nancy Spungen, Alex Cox réalisa un biopic sur leur tragique histoire d’amour et de défonce. C’était son deuxième long métrage, après Repo Man (1984). Il l’écrivit en collaboration avec un certain Abbe Wool.
Le récit commence en février 1977, au moment où Sid intègre les Sex Pistols grâce à son ami Johnny Rotten – il remplace alors le bassiste Glen Matlock auquel ses comparses reprochent de ne pas être assez punk… d’aimer les Beatles et de « trop se laver les pieds » (sic). Et, plus précisément, au moment où les deux vauriens arrivent dans l’appartement d’une amie de Johnny, Linda Ashby, une prostituée dominatrice chez qui se trouve Nancy.
Sauf à éplucher très attentivement l’ample littérature produite sur le sujet – et les documentaires, reportages et autres interviews filmées -, il est parfois difficile de distinguer ce qui, dans Sid & Nancy, est plus ou moins fidèlement inspiré de la « réalité » et ce qui a été « inventé » pour fictionnaliser le récit. Mais il y a des deux. La star Rock Head, incarnée par Stuart Fox, semble être un personnage inventé de toutes pièces – un possible clin d’oeil au parrain du punk, Iggy Pop, qui fait d’ailleurs une apparition éclair à un moment du film. Le jeune punk au blouson rouge dénommé Wally a, lui, bien existé : c’est Wally Nightingale, l’un des musiciens qui, en 1972, ont fondé The Strand (connu aussi sous le nom de The Swankers), le groupe qui allait devenir les Sex Pistols après son éviction, dans l’été de l’année 1975.
Il faut savoir que Nancy était une très jeune groupie américaine. Elle a fréquenté, entre autres, les membres d’Aerosmith et des NY Dolls, s’étant plus ou moins entichée du batteur Jerry Nolan. Les NY Dolls avaient d’ailleurs été un temps managés par celui qui allait s’occuper des Sex Pistols à partir de l’été 1975 : Malcolm Mc Laren. Nancy est arrivée à Londres vers la fin du mois de février 1977, pour tenter de rejoindre Jerry Nolan qui est alors dans les Heartbreakers de Johnny Thunders – les deux musiciens ayant quitté les NY Dolls en mai 1975. Les Heartbreakers ont participé à la fin de l’année 1976 à la chaotique tournée The Anarchy in the UK – avec, entre autres, les Sex Pistols et les Clash.
Nancy est toxicomane et se prostitue. Elle a des problèmes de santé mentale, a fait plusieurs tentatives de suicide. Elle est considérée par beaucoup comme une personne à ne pas fréquenter, comme ne pouvant apporter que des ennuis. Leee Black Childers, qui manage les Heartbreakers à l’époque, évoque en des termes très durs sa rencontre avec Nancy à Londres : « J’étais terrifié. Je ne pouvais pas imaginer un truc plus horrible que l’apparition de Nancy Spungen. C’était comme si le diable était descendu sur Carnaby Street (…) Elle avait une très, très, très, très, très mauvaise influence sur les gens qui avaient déjà des problèmes. C’était une embrouilleuse et une fouteuse de merde de première » » (1). Malcolm McLaren, qui tient un magasin de vêtements et accessoires sur Kings Road : « Quand Nancy Spungen est arrivée dans ma boutique, c’était comme si le Docteur Folamour nous avait envoyé cette redoutable maladie tout spécialement en Angleterre, et tout spécialement dans mon magasin » (2). Iggy Pop : « J’ai connu Nancy Spungen (…) J’ai passé la nuit avec elle une fois. Ce n’était pas une beauté, mais elle me plaisait bien. Elle avait un sacré cran, ça se sentait. Mais j’étais déjà un grand garçon à ce moment-là. Alors ce que je me suis dit, c’est : attention, embrouilles » (3).
Dans la capitale britannique, Nancy essaye d’accrocher Johnny Rotten, mais celui-ci ne l’apprécie guère. Sid succombe, lui. Il est généralement admis que c’est Nancy qui a fait découvrir au jeune homme la sexualité et l’a fait sombrer dans l’héroïne. Leee Black Childers a déclaré : « Si les Heartbreakers ont amené l’héroïne en Angleterre, c’est Nancy qui l’a fait goûter à Sid. Quand les Heartbreakers étaient dans le coin, ça l’intéressait pas. Soudain quand Nancy est venue, bang. C’est la puissance de l’amour. Son monde à elle, c’était l’héro » (4).
Très vite, Sid devient un problème extrêmement difficile à gérer au sein d’un groupe qui, de toute façon, est constamment déchiré par des conflits de personnes, lesquels sont parfois orchestrés par McLaren. Non seulement il n’arrive pas à jouer de la basse, et ce malgré l’aide que lui a apportée Lemmy Kilmister – Hawkwind, Motörhead -, mais il est d’une instabilité incontrôlable.
Le groupe se sépare le 17 janvier 1978, à la fin d’une courte tournée aux États-Unis.
Concernant Sid Vicious, les témoignages sont la plupart du temps loin d’être flatteurs, et notamment quand il s’agit d’expliquer la façon dont il est tombé sous la coupe de Nancy et sous l’emprise de la drogue dure. On peut renvoyer le lecteur au portrait incroyablement sévère que fait de lui Nick Kent : « Sid Vicious : autodestruction d’un crétin » (5). Mais il faut savoir que le journaliste du New Musical Express avait un contentieux à régler avec celui qui l’avait tabassé en juin 1976, au 100 Club de Londres – le film de Cox représente cet événement en transformant Nick Kent en Dick Bent. Citons le photographe américain Bob Gruen : « Sid ne cherchait rien, mais les choses venaient à lui, tu vois ? C’était une sorte d’aimant, genre : zoum ! Tout et n’importe quoi lui tombait dessus. Il y avait toujours des trucs bizarres qui arrivaient à Sid » (6). Et Cheetah Chrome, qui a été guitariste du groupe punk Dead Boys : « Sid, c’était une catastrophe. Il attirait l’attention, il attirait les emmerdes (…) tout le monde se foutait de la gueule de Sid, il se cognait dans les téléphones publics, Nancy lui balançait des saloperies (…) » (7).
Alex Cox réussit assez bien à restituer l’état d’esprit, le comportement basiques des punks. Avec force pets, rots, crachats, jurons, doigts d’honneur, invectives contre les hippies et le star-system, coups de poings et de pieds. En montrant aussi l’attirail vestimentaire des membres du mouvement.
Gary Oldman n’a pas le charme enfantin et piquant de Ritchie, mais il s’en sort plutôt bien dans un rôle difficile. Il donne de sa personne – il s’est même préparé en faisant un régime-minceur drastique. Chloe Webb est impressionnante dans le rôle de Nancy. Sa vulgarité simulée est impressionnante.
Nous sommes personnellement beaucoup plus sceptiques concernant la prestation de l’acteur Andrew Schofield et la façon dont est construit le personnage de Rotten qu’il incarne. Le chanteur des Pistols selon Cox est fade et n’a rien du diablotin sarcastique que l’on connaît. Mais si on peut regretter et ne pas excuser ce choix de casting, on peut le comprendre. Les projecteurs et caméras sont tournés vers Sid et Nancy.
Un autre point nous semble regrettable : le fait de ne pas montrer la fascination de Sid pour l’univers du nazisme. Le pseudo-bassiste est célèbre aussi pour son tee-shirt à croix gammée. Le Sid de Cox se contente de porter un tee-shirt avec la faucille et le marteau. On sait que l’utilisation de la swastika était avant tout une provocation chez les punks. Mais ce signe a bien représenté la pulsion destructrice et autodestructrice du sale garçon (8).
On ne trouve pas de grandes séquences dans Sid & Nancy, mais plutôt des instants intenses, des images poétiquement réussies. Souvent, en fait, des plans filmés au ralenti.
Il y a la montée sur une passerelle des deux protagonistes, à la fin du concert du Jubilé de la Reine, en juin 1977, alors que la police charge les punks… Le couple semble – se sent – intouchable, en pleine ascension, ne touchant quasiment plus terre. Ce mouvement est en opposition avec celui de la chute de Sid dans les escaliers du Chelsea Hotel, à New York, quand la drogue aura eu définitivement raison de lui.
Il y a le moment où, à San Francisco, Sid éclate et traverse une porte vitrée, sans le vouloir, et s’écroule par terre au milieu des débris de verre. On retrouve le Sid Vicious tragi-comique, un peu burlesque, décrit par Cheetah Chrome.
Et il y a aussi ce plan où Sid et Nancy s’embrassent dans une rue de NY, alors que des détritus divers tombent sur et autour d’eux. L’image fait écho à un ou deux plans où, plus tôt, on voyait Sid répéter – tant bien que mal, et plutôt mal que bien – « sa » musique, et une pluie de billets de banque tomber. Sid et Nancy étaient persuadés, en arrivant à New York, que le jeune homme pourrait rester/devenir une star… la jeune femme se chargeant de le manager. Ils ont donc atrocement déchanté.
La déchéance irréversible, la désintégration par le feu et le sang d’un couple qui n’arrive pas à se détacher de l’héroïne sont bien et clairement montrées. Précisément dans la partie où il loge au Chelsea Hotel de New York, à partir de la fin du mois d’août 1978 – après, donc, la séparation des Sex Pistols.
Johnny Rotten – alias John Lydon – a accusé Cox de complaisance : « To me this movie is the lowest form of life. I honestly believe that it celebrates heroin addiction. It definitely glorifies it in the end when that stupid taxi drives off into the sky. That’s such nonsense. The squalid New Hotel scenes were fine, except they needed to be even more squalid » (9).
Cox a, lui, déclaré : «We wanted to make the film not just about Sid Vicious and punk rock, but as an anti-drugs statement, to show the degradation caused to various people is not at all glamorous » (10). Nous penchons personnellement du côté du cinéaste. Que l’on pense à la scène où un fonctionnaire chargé de fournir aux drogués de la méthadone lance à Sid et Nancy : « Smack is the great controller. Keeps the people stupid… when they could be smart / You guys got no right to be strung out on that stuff. You could be selling healthy anarchy. But long as you’re addicts, you’ll be full of shit ».
Cox a d’ailleurs expliqué, à ce propos : « The most important scene in the film, from the perspective of [co-screenwriter] Abbe Wool and myself, was in the methadone clinic, where Sy Richardson plays the guy who won’t hand over their dose of methadone until he’s delivered a lecture about how they’re screwing up. Essentially, Sid and Nancy betrayed the punk movement. They should have been out there on the barricades, but instead they became another example of junkie rock stars getting high in a hotel room » (11).
Le cinéaste choisit de montrer ce qui se serait déroulé le matin du 12 octobre 1978 selon la version officielle. Sid et Nancy sont en manque et se traînent lamentablement dans leur chambre. Au moment d’une dispute, Sid plante un petit couteau dans le ventre de Nancy – à moins que ce ne soit celle-ci qui fonce sur l’arme que brandit le punk. La jeune fille perd son sang et son agonie est longue. Sid ne réagit pas. Il n’est pas là.
Mais il est finalement arrêté par la police et accusé de meurtre. Plus tard, il est libéré sous caution.
En réalité, on ne sait pas vraiment ce qui s’est passé au Chelsea Hotel dans la nuit du 11 au 12 octobre 1978, et au matin du 12. Le procès de Sid n’a jamais eu lieu. Des témoignages contradictoires ont été donnés. Quatre versions sont généralement considérées comme plausibles. Sid a poignardé volontairement Nancy. Sid a blessé accidentellement Nancy. Nancy a commis un acte suicidaire. Nancy a été poignardée par un dealeur… Un dealeur qui aurait pu lui subtiliser l’argent qu’elle a gagné avec Sid lors du concert que celui-ci a donné dans la célèbre salle Max’s Kansas City, quelques jours auparavant. On cite plusieurs noms, parmi lesquels celui d’une figure très connue du trafic de drogue à Manhattan : l’acteur Rockets Redglare, né Michael Morra – il aura l’occasion de tourner sous la direction de réalisateurs comme Jarmush ou Scorsese.
Le film se termine de manière onirique, en une scène où le damoiseau de la chaîne à vélo rejoint sa dulcinée SM dans un taxi jaune. Un carton explique lapidairement que Sid mourra d’une overdose d’héroïne le 2 février 1979. Est probablement signifié ainsi que l’ex-Pistols a fait aboutir un pacte scellé avec Nancy : celui de mourir avec elle.
Cox fait une lecture romantique du parcours de Sid et Nancy. Dès sa sortie, des critiques ont vu dans le film une version punk de Roméo et Juliette. Il y a du vrai. Le réalisateur passe sous silence un certain nombre d’événements sordides vécus ou subis par Sid après sa libération et dont la représentation aurait compliqué le tableau idyllique qu’il entendait proposer au spectateur. Des tentatives de suicide, une liaison avec une groupie du nom de Michelle Robinson, un retour en prison après le tabassage peu glorieux du frère de Patti Smith dans une boite de nuit.
Mais, comme on l’a dit, Cox ne manque quand même pas de montrer le caractère fort glauque de l’existence des deux amants. D’autre part, il ne faut pas oublier que, selon de nombreux témoignages, Sid et Nancy s’aimaient véritablement, tout voyous qu’ils étaient. Le fameux manager et producteur Terry Ork a déclaré : « Sid et Nancy étaient géniaux. Ils avaient une authentique affection l’un pour l’autre. Évidemment, il y avait l’aspect « amour punk », qui faisait qu’ils se foutaient sans arrêt sur la gueule (…) Ça se voyait qu’il y avait un profond courant d’affection entre eux. Et ça se voyait aussi que Sid était comme un poisson hors de l’eau. En fait il ne comprenait rien au grand méchant monde. C’était comme un enfant qui dépendait de Nancy » (12).
En ce sens, le film de Cox est aussi une métaphore simple sur les ravages produits par la passion amoureuse. « Love kills » est une expression prononcée dans le film, qui devait à l’origine donner son titre à celui-ci. C’est aussi le nom d’une chanson écrite par Joe Strummer pour le projet de Cox, et que le cinéaste a utilisée.
Malgré quelques réticences, au début, la mère de Sid, Ann Beverley, a accepté d’aider Cox dans la réalisation de son film. Elle a discuté avec Gary Oldman de son fils, a prêté à l’acteur le petit pendentif avec cadenas qu’il avait l’habitude de porter – objet qui donne lieu à une scène intéressante où l’on comprend combien le jeune punk est dominé par Nancy, littéralement à ses pieds, et comment elle l’emprisonne dans son monde.
Cette aide a significativement orienté le récit. Sid est montré comme admirant sa mère, lui étant reconnaissante. Mais rien n’est dit sur le rôle extrêmement néfaste qu’elle a joué dans la vie du garçon. Ann était dealeuse et toxicomane. Elle est soupçonnée d’avoir fourni une dose de smack à Sid dans la nuit où celui-ci est mort d’une overdose… La nuit du 1er au 2 février 1979.
—
Post Scriptum :
En 2016, Cox a fait amende honorable concernant la facçon dont il a représenté Sid et Nancy (13). À la question « What else would you would do differently if you remade Sid and Nancy today ? », il a répondu :
« I’d do just what Lydon told me to. I’d have Drew Schofield play Johnny as a Scouser. I’d have Sandra Bernhard play Sid. I wouldn’t have the happy ending, you know, the taxi to heaven stuff, because I think that’s very compromised. It’s sentimental and dishonest, because we were trying to make a film that condemned Sid and Nancy for their decadence. The punk movement was essentially a positive movement that was supposed to be forward-looking. You can’t do that if you’re a junkie rock star in a hotel room. The scene in the film that was the important one for my co-writer, Abbe Wool, and I was the scene where they go to the methadone clinic, and the character played by Sy Richardson gives them a lecture. (…) That was the point of the film, but I think that gets forgotten, and gets undercut by the quasi-happy ending. If I was to remake it, I would end it with Sid dying in a pool of his own vomit ».
—
Notes :
1) Cité in Legs McNeil & Gillian McCain, Please Kill Me – L’Histoire non censurée du punk racontée par ses acteurs, Allia, Paris, 2014 (Publication originale : 1996), p.378.
2) Cité in Ibid., p.378.
3) Cité in Ibid., p.493.
4) cité in Jon Savage, England’s Dreaming – Les Sex Pistols et le punk, Allia, Paris, 2002 (Publication originale : 1991), p.356
5) Cf. Nick Kent, The Dark Stuff – L’Envers du décor, Naïve, Paris, 2006.
6) Cité in Legs McNeil & Gillian McCain, op.cit., p.467.
7) Cité in Ibid., p.494.
8) Cité in Jon Savage, op.cit., pp.279 et sq.
9) John Lydon with Keith and Kent Zimmerman, Rotten – No Irish, no blacks, no dogs, Picador, New York, 1994, p.148.
10) Cité in Max Furek, The Death Proclamation of Generation X: A Self-Fulfilling Prophesy of Goth, Grunge and Heroin, iUniverse, Bloomington, 2008, p.90.
11) « Friends in high places: Alex Cox on Sid and Nancy at 30 », BFI Film Forever, 8 february 2017.
http://www.bfi.org.uk/news-opinion/sight-sound-magazine/features/friends-high-places-alex-cox-sid-nancy
12) Cité in Legs McNeil & Gillian McCain, op.cit., p.493.
13) « Alex Cox : ‘I’m more sympathetic to Lydon’s point of vue than ever » (Interview : Sophie Monks Kaufman), Little White Lies, (non daté)
http://lwlies.com/interviews/alex-cox-sid-and-nancy/
—
Re-sortie : 14 février 2018 (Tamasa Distribution)
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).