Antonio Pietrangeli – « Adua et ses compagnes » (1960)

Adua et ses compagnes est le cinquième long métrage d’Antonio Pietrangeli, scénariste et metteur en scène dont nous avons publié une notice biographique à la fin du texte que nous avons consacré à son premier film : Du soleil dans les yeux (1953). Il s’agit d’une production italienne, mais on peut y voir jouer Simone Signoret et Emmanuelle Riva.
Le producteur, Moris Ergas, d’origine grecque, a toujours travaillé en Italie. Il a cependant eu des relations avec les Français : il a co-produit Un témoin dans la ville d’Édouard Molinaro, Signé Arsène Lupin d’Yves Robert, La Jument verte de Claude Autant-Lara – trois films datant de 1959.

Adua et ses compagnes, qui raconte le devenir de quatre prostituées – Adua Giovanetti (Simone Signoret), Lolita (Sandra Milo), Marilina (Emmanuelle Riva), Caterina (Gina Rovere) – est réalisé dans un contexte socio-politique particulier. En 1958, les Maisons Closes sont réellement closes en Italie. C’est la conséquence de la loi que fait passer la Sénatrice Angelina Merlin au Parlement, et qui met fin à la régulation de la prostitution par l’État. Environ 560 établissements et 2.700 prostituées sont concernés.

Le quatuor quitte donc les bordels dans lesquels il travaillait jusqu’alors, et commence à réaliser un projet qui a germé en son esprit : ouvrir un restaurant – une trattoria – dans les environs de Rome, quasiment à la campagne, au calme. Dans un premier temps, les quatre femmes veulent y travailler exclusivement comme cuisinières et serveuses. Puis, dans un second temps, y reprendre leur activité antérieure – à l’étage, en coulisses.

Adua et ses compagnes est donc en prise avec l’actualité. Pietrangeli dénonce une réalité douloureuse, problématique que connaissent son pays et une partie de sa population. C’est ce qui fait qu’on relie le film, généralement, en partie, au courant néo-réaliste. Mais à personne n’échappe sa dimension de comédie : certaines situations sont piquantes, plusieurs personnages hauts en couleur – comme l’escroc Piero Silvagni (Marcello Mastroianni) ou le bon Frère Michele -, et les discussions souvent menées sur un mode caustique, humoristique.

Le parcours est difficile, semé d’embûches. Il faut trouver de l’argent, mettre en état la maison choisie – qui est grande -, apprendre à cuisiner et à faire le service. Chaque protagoniste a sa situation particulière, son caractère. Ensemble, les quatre amies peuvent rire à gorge déployée, se détendre, mais aussi se crêper âprement le chignon.

Et les gros ennuis arrivent rapidement. Adua et ses compagnes ont été – sont restées – fichées comme prostituées et elles ne peuvent obtenir la licence souhaitée pour ouvrir le restaurant. Elles sont alors aidées par un homme d’affaires, Ercoli, qui entend bien faire fructifier son investissement.
Finalement, pour différentes raisons, elles renonceront à la seconde partie de leur projet, qui serait pourtant, bien sûr, la plus lucrative. Ercoli ne l’entend pas de cette oreille, et, jouant de son influence, met hors d’état de nuire Adua, Lolita, Marilina et Caterina, jette l’opprobre sur elles.

Comme à son habitude, Pietrangeli se concentre sur le sort des femmes italiennes de son époque et ne dresse pas un portrait flatteur de la gent masculine. Ercoli a des airs de mafieux. Piero a une relation amoureuse avec Adua, mais on ne sait jamais s’il est sincère, et il ne manque pas de fréquenter en même temps quelque autre donzelle. Le compagnon de Lolita la mène en bateau, ne lui donnant pas l’argent qu’il lui aurait promis, et dont elle a besoin pour participer à l’entreprise Trattoria. L’homme qui a eu un enfant avec Marilina a disparu. Stefano, un ouvrier qui envisage de se marier avec Caterina, se défile quand la situation des quatre femmes est étalée dans la presse.

Pietrangeli filme son quatuor avec empathie, grande humanité. Il ne schématise jamais les situations et les personnalités. Adua, Lolita, Marilina et Caterina ne sont pas sûres d’elles. Elles sont partagées entre, d’une part, le souhait de retrouver leur activité de prostituée, qui ne leur déplaît pas plus que celles, aussi asservissantes, et plus fatigantes à leurs yeux, de cuisinière et de serveuse, et, d’autre part, le désir de vivre comme toutes les autres femmes, au grand jour. Mais les hommes de pouvoir, les autorités, la Société les ont marquées au fer rouge, les bannissent, et de la façon la plus hypocrite qui soit. Impossible pour elles, quand bien même elles le voudraient, d’être autre chose que ce qu’elles ont été. Elles doivent porter leur fardeau, indéfiniment.

Et c’est ici que l’on perçoit une autre dimension importante du film de Pietrangeli, à côté de laquelle on ne doit pas passer. La tragédie. Il y a une fatalité – laïque, sociale – qui plombe, ruine l’existence des personnages principaux dans Adua et ses compagnes. Il est terrible de voir les quatre femmes s’épanouir, retrouver une certaine jeunesse, découvrir ou redécouvrir l’amour et ses jeux, avoir espoir en la Vie, et finalement être re-jetées dans le caniveau, et, pour certaines, renvoyées à leur âge relativement avancé…
Il y a quelques beaux moments de rébellion en ce film, assez jubilatoires. Mais dans le contexte, et aux yeux du réalisateur, ils sont vains, désespérés.

Adua et ses compagne est très dialogué. Les quatre héroïnes sont volubiles – on regrettera d’ailleurs un sous-titrage parfois un peu difficile à suivre. L’action est concentrée dans des lieux clos. Pietrangeli évite cependant que son film soit statique grâce à de beaux mouvements de caméra, accompagnant ou pas les personnages. Il ne faut pas rater le panoramique à 360° qui renvoie au regard d’Ercoli, quand celui-ci découvre avec colère les chambres à coucher de ses protégées et futures victimes. Grâce, aussi, à une musique jazz entraînante, à la fois discrète et omniprésente, signée par le grand compositeur Piero Piccioni.

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