« Ce sont mes semblables les bourgeois de Parme,
ceux de la messe de midi.
Je me demande s’ils sont jamais nés.
Si le présent résonne en eux comme il résonne en moi
Sans pouvoir se consumer. »
PP Pasolini
A l’époque de Prima della revoluzione, Bertolucci sort de l’expérience formatrice de La commare secca, co-écrit avec Pasolini. Il attaque le récit par ces vers de Pier Paolo en voix off, qui tombent à pic pour contredire la citation bancale de Talleyrand placée en exergue. 1 Avec ce grand écart, le jeune Bertolucci veut faire table rase 2 et dit lui-même que le film sera l’occasion de tenter de répondre à cette question fondamentale : que signifie filmer ? 3
Bien que le contenu résulte d’une préoccupation personnelle contemporaine de l’écriture et du tournage du film, c’est moins une œuvre sur l’idéologie que sur le cinéma, qui traduit mieux qu’aucun autre art, les mouvements du cœur, l’ambiguïté, l’incertitude et l’impossibilité. 4 Selon son auteur, « Prima della revoluzione est un film qui accepte la cinéphilie », et qui déclare à travers Une femme est une femme que l’esthétique, la collision des formes romanesques et poétiques, picturales et photographiques, de l’immobilité et du mouvement, sont engagement.
En premier lieu, le récit romanesque est travaillé, contrarié par un questionnement plus profond. Aldo Tassone y voit d’abord « l’autoexorcisme courageux d’un jeune réalisateur de 23 ans». 5 Il contient une double critique de ce que deviendront la démocratie chrétienne (« gare à qui ignore que la foi chrétienne est bourgeoise ») et le PCI à l’époque des compromis de Berlinguer. Politiquement visionnaire, il est assez mal perçu en Italie. 6 Normal avec un héros qui crache d’abord sur les privilèges, où il ne voit que reddition et servitude et fait sien le pêché de lèse certitude quotidienne. Dans son impétueuse naïveté, Fabrizio confond allègrement son ressentiment face à un parti communiste attentiste et celui à l’encontre de ce premier véritable amour, Gina. Le Parti, c’est d’ailleurs cette entité sur laquelle vient buter l’emballement premier de la caméra. Quant au discours sur la nécessité de construire un «homme neuf », il résume les aspirations des années 60 et dépasse de loin l’échec personnel du protagoniste.
La sortie parisienne du film en janvier 68 va faire justement écho à la remise en cause des syndicats et du parti communiste, à Parme comme partout ailleurs (et de l’autre côté des Alpes, on pense à La contestation et notamment au Discutiamo, discutiamo de Bellocchio) et plus généralement au conflit des générations : Fabrizio ne veut pas l’Unita mais « des fils pouvant servir de père à leur père ». Dans un monde en effervescence, le film va être encensé par la critique, confirmant ainsi ses Prix de la Nouvelle Critique et de la Jeunesse. Et si parfois la forme inventive prime les idées, ce film très important des années 60, n’influence pas directement par ses fulgurances et ses partis pris si personnels, si ce n’est dans un appel à chercher ailleurs et à assumer un regard subjectif sur le réel. Un credo qu’embrassera, en toute liberté, le cinéma underground à venir ( Pierre Clémenti tourne à Paris, puis en Italie après Partner ). « A quel niveau de conscience politique et esthétique est-on confronté ? Cette question ne peut en aucun cas être évacuée si l’on veut viser correctement l’élévation du niveau de conscience. Ce qui veut dire qu’il faut tenir compte du rapport émotionnel au monde. Aucun spectateur n’est un être abstrait. Le film d’intervention fictionnel et expérimental doit intégrer dans sa démarche les facteurs rationnels, affectifs et sensuels qui spécifient tout spectateur. Outre bien sûr son être, sa position et son attitude de classe. Outre bien sûr son insertion historique et géographique ». Cet extrait du Manifeste pour un cinéma d’intervention, fictionnel et expérimental rédigé par Alain Aubert et paru dans CinémAction 1 en 1978 7, dédié au cinéma de contestation né dans la foulée de mai 68, pourrait décrire les enjeux de Prima della revoluzione et ce malgré le fait qu’Aubert dénonçait dans sa première partie les origines sociales, les fonctions « doublement commerciales » et « la thématique généralement désespérée et négative du cinéma d’auteur ». Une critique que semble partager Bertolucci mais qu’il applique à son seul cas et à son bagage culturel, quinze ans auparavant ! Aujourd’hui, ce film arraché à l’instant dans un geste salvateur, garde lui aussi un aspect de manifeste cinématographique qui frappe le spectateur.
Le film met en scène une série d’effondrements intellectuels et psychologiques qui jalonnent l’itinéraire de celui, qui né bourgeois, périra bourgeois. Fabrizio ne fait que reproduire une vision schématique, qui est son fantasme de la pensée marxiste. Au point de se sentir chez Cesare, le philosophe communiste, non orthodoxe mais conscient, comme dans sa niche ! Dès les premiers plans, Fabrizio nous interpelle face caméra, plus pour nous implorer que pour nous convaincre, comme il s’adressait autrefois à Dieu. S’il doute, car en porte à faux avec ce monde militant, c’est toute une génération à venir qui va entamer cette refonte dans l’action des idéaux marxistes léninistes. Paradoxalement, Fabrizio en devient encore plus dogmatique. Il tente ainsi de convaincre le jeune Agostino de rejoindre le Parti et son mentor. Enfermé dans sa dialectique, Fabrizio n’a aucun égard pour les problèmes familiaux concrets du jeune homme, dont le penchant autodestructeur va s’exprimer dans la vertigineuse scène à bicyclette, et sa série de chutes, superbement montée.
Au cinéma, Fabrizio n’est guère plus avancé. Il ne jure que par La rivière rouge ( et le classicisme, mais on peut se demander si ce n’est pas qu’à cause de son titre… Le film de Hawks fait aussi office de symbole qui annonce la tragédie) et n’a pas accédé la modernité. Hors, Bertolucci l’affirme à plusieurs reprises, on ne peut pas vivre sans Rossellini. Et à regarder l’œuvre dans sa globalité, c’est bien du Voyage en Italie qu’on est tenté de rapprocher ce second film du jeune prodige. Dans la scène douloureuse au bord de la rivière après la mort d’Agostino, dont l’ellipse engloutit même le corps physique et perfore la narration, vie et mort (déjà passée) se mélangent. Le cinéaste plante Fabrizio au carrefour entre les ragazzi pasoliniens et un paysage mental antonionien. « Si tu te trompes, tes erreurs auront un sens » martelait-il… Mais justement la mort violente de son ami n’en a aucun. S’ « il arrive que des choses qui n’ont pas de sens nous bouleversent », Fabrizio est en effet dévasté.
On comprend rapidement que Gina, sa jeune tante énigmatique et paumée, va l’entraîner (et ce sera l’unique transgression du garçon) vers la dolce vita ou la névrose. Leur amour sera une descente au tombeau des illusions. Et ce malgré la beauté de la mise en scène en guise de parade amoureuse ( zooms avants et arrières intuitifs, entrecoupés de plans fixes, dans la scène des lunettes) ou le naturel du visage d’Adriana Asti, traversé de sentiments intenses et sans calculs. Bertolucci filme les gros plans comme personne depuis Dreyer, les figures de Francesco Barilli (Fabrizio), Adriana Asti (Gina) ou Allen Midgette (Agostino) s’exposent en livres ouverts. A la déraison de leurs expressions – au-delà du bien et du mal pour le couple incestueux qui s’embrasse sur le « Vivre encore une heure pour voir sur ton visage l’amour que je t’ai donné »-, le cinéaste ajoute les ébats sur un lit éclatant, qui éclaire la pièce toute entière. Des corps filmés dans les clairs obscurs, avec une grâce presque impressionniste et qui se détachent sur la rugosité du monde extérieur. La composition du décor « funéraire » de leur nid d’amour, à l’écoute des bruits du monde, laisse à Bertolucci la possibilité de creuser encore les contrastes et de donner libre cours à son obsession pour la lumière. Comme une béance dans la veine lyrique qui nous irriguait depuis le début et nous maintenait dans un présent laiteux. Une dissonance, d’autant que les amants ne sont jamais, outre ce moment, sur la même longueur d’onde. Ils jouent toujours sur deux partitions différentes. Elle, larguée, effrayée, surexcitée, impulsive et menteuse, mais aussi vivante et intègre. Lui, sérieux, pompeux, cérébral, coincé et ingénu comme un jeune homme de sa condition peut encore l’être. « Les riches sont plus fragiles » dira le jeune prolétaire William qui lui, ne connaît pas l’hésitation.
Le troisième effondrement, c’est la rupture avec son Garibaldi, Cesare et qui achoppera sur le départ de Gina. A chaque travelling avant où la caméra s’apprête à les rattraper – et y parvient un bref instant – pour recommencer en boucle, puis finalement s’en extirper d’un mouvement sec et rejoindre son contraire, atterrissant à la fête de l’Unita. La séparation des deux hommes n’est d’abord qu’historique, Cesare étant un ancien résistant issu de la génération de 1945. Puis théorique car celui-ci croit fermement comme Pavese, que maturité rime avec totalité, quand Fabrizio crie lui, nouveauté. En réalité, le fossé qui s’ouvre entre eux est dû à l’impatience de Fabrizio, dévoré par la frustration et la perte de Gina. Désormais, ils seront séparés dans le cadre. Leur joute intellectuelle sur un banc expose d’abord en champ contre champ chaque idée, les plans successifs tombant comme une réplique déconnectée de la réalité. Le découpage se fait plus complexe, la caméra accompagnant le cheminement du protagoniste, en recadrant par un travelling latéral sur ce qui semble une profession de foi, pour enregistrer ensuite ses revirements dans les déplacements lorsqu’il change de banc au gré de sa réflexion. Parfois, c’est un éloignement spatial dans la scène : le philosophe rejoint le point de vue du peintre naturaliste, Fabrizio s’enfonce dans une lutte aussi absurde qu’injuste contre un autre bourgeois ( un autre père ), ce qui lui vaudra une correction administrée à la volée par Gina.
Enfin, l’ultime renoncement, c’est le retour de Fabrizio à Clelia, la belle oie blanche, glacée, simplette et gentille, qui cristallisait si bien la ville, la religion et le milieu social de Fabrizio. Bertolucci orchestre les jeux de regards, en une mise en scène opératique ébouriffante : Fabrizio qui rejoint Clélia et sa mère dans la loge familiale, Cesare qui regarde froidement Fabrizio depuis les cimes du poulailler (dans une agitation similaire aux Chaussons rouges), au parterre, les parents qui observent le futur couple, vu comme ascension sociale, Fabrizio qui assiste à l’arrivée de Gina et se réfugie progressivement dans l’ombre de Clelia, Gina qui cherche et devine Fabrizio, plaqué contre la porte. Le cinéaste compose avec ces seuls personnages, les lumières qu’on éteint et rallume sur le merveilleux décor du théâtre royal, une séquence virtuose qui dépasse tout ce qu’on a pu apprécier dans la fin de L’homme qui en savait trop (ou dans le futur Opéra de Dario Argento). C’est aussi une des plus belles mise en image de Verdi.
Comme le montre la scène suivante, où Fabrizio et Gina se cherchent dans les couloirs puis l’entrée, la scénographie de Bertolucci est au service de l’humain. Son utilisation de la profondeur de champ est incroyable, l’acteur devenant aussi matière comme chez tous les grands maîtres. Un simple plan où Fabrizio renonce à réchauffer Gina pour s’en éloigner, de plus en plus flou et fermer la fenêtre, provoque une grande émotion plastique. Plus tard, à la fin de La luna, la majesté de l’espace scénique rivalisera avec les personnages en une logique interne, qui annonce la prise de pouvoir du décorum dans les décennies suivantes, face à des caractères qui ne retrouveront que trop rarement la profondeur de ce duo originel.
Le montage alterné final enfonce le clou : Cesare continue à affûter l’esprit critique des écoliers en leur lisant Moby Dick ( la Révolution devenant une insaisissable baleine…), pendant que Fabrizio trahit ses idéaux dans un mariage conventionnel. La sortie de l’église, en plans courts et mouvements chaotiques, exhale plus de répugnance que de bonheur. Seuls les baisers de Gina sont encore sincères parmi cette caste hors du temps, prématurément moribonde, où l’on n’aime finalement qu’en famille. Le plan final est à ce titre une prière à la prochaine génération, qu’il exhorte à ne pas réitérer la même infamie et à quitter le sérail.
« Le canot de l’amour s’est brisé contre la vie courante. Comme on dit, l’incident est clos ». 8
Au cours de cette longue dérive, Bertolucci s’efforce de trouver une forme qui traduise à la fois l’état de Fabrizio et qui lui soit propre : l’alliance de la recherche la plus moderne et l’acceptation d’une préciosité formelle, obéissant toutes deux aux émotions, dans un ballet, parfois érotique, de l’un dans l’autre. Ses citation sont plutôt d’ordre poétiques : « Notre seul devoir envers l’histoire est de la réécrire » n’appartient pas à Marx mais à Oscar Wilde. Car l’amour est une énergie qui dépasse leur simple rapport. Il est la force qui sépare Fabrizio de Cesare, qui empêche le dialogue avec le copain fou de cinéma mais plus encore, ce qui guide la Révolution, d’abord intérieure, puis mouvement de masse. Une pulsation…
Bertolucci fait entrer le cinéma italien des années 60 dans une tourmente qui le portera jusqu’à mai 68. Il fait sien les préceptes des cahiers jaunes et affirme que le style est affaire de morale. Il assume donc toutes les ruptures de ton, les grands bonds en avant et les digressions. L’entrée en matière magistrale sur travelling avant avide de découvrir le monde, la violence primitive de la scène où la petite Evellina monte dans un arbre chanter une comptine amoureuse qui remplit d’effroi Gina, la tentation du roman photo sur une chanson de Paoli où Gina et Fabrizio se cherchent l’un l’autre sur une place publique bondée ( et qui dialogue avec la scène charnière de L’avventura), l’aliénation de la famille et du couple, l’élégie poétique de la nature, le lyrisme discret de la fête de l’Unita, la séquence mortifère du mariage final et au pinacle, ce jaillissement audacieux de la couleur sortie d’une chambre noire. Un cache naïf, en forme de bouche, exprime alors le peu d’engagement révolutionnaire réel de Fabrizio. Un hiatus puisque cet effet magique, une fois élargi à la mesure de la vie réelle, représentera l’automne de leur liaison et non la vitalité amoureuse !
« Restituer la notion de l’écoulement du temps – une idée à la base de certaines de mes poésies de jeunesse – est une autre chose qui me passionne beaucoup. Toute relation entre les gens a sa périodisation, différente de celle de l’horloge ou du calendrier. Le cinéma a cette extraordinaire capacité de recréer un temps intérieur, dialectique. Ne me demandez pas comment on y arrive, je ne le sais pas. C’est une question de rythmes, de pulsions. » 9
Il faut saluer la musicalité et la fluidité du langage de Bertolucci, même dans les transitions les plus abruptes. Sa façon de cartographier Parme en longs plans aériens ou dans ce formidable travelling avant circulaire qui balaie la piazza. Après la futilité de « Ricordati », il y a la force et la simplicité de la scène où le couple danse sur une autre chanson de Gino Paoli, « Vivere ancora ». Et la légèreté d’un chant populaire lombard, « Avevo 15 anni », sous la voix rocailleuse d’Ennio Ferrari qui tranche alors avec l’éloignement de Fabrizio (si ce n’est dans ce « je ferai de ta vie ma doctrine », plutôt une interprétation des paroles qu’une traduction ) que la mort de Marilyn n’émeut même plus.
Outre ces moments chantés, incantatoires, la musique d’ Ennio Morricone est essentielle à l’harmonie de l’ensemble: des arpèges entêtants au clavecin sur les scènes avec Gina, la mélancolie des guitares, de la mandoline et les ambiances de Gato Barbieri sont plus que des contrepoints. Des discordances qui évoquent les compositions contemporaines ultérieures de Morricone. Elles emboîtent le pas aux valses hésitations de Fabrizio, corroborant ce sentiment qu’il est toujours à contretemps. Le montage est l’œuvre de Roberto Perpignani, qui après avoir débuté avec Orson Welles, monte ici son premier long-métrage et aura la fastueuse carrière qu’on lui connaît auprès de Bertolucci, Bellocchio et surtout des Taviani. La musique y précède souvent la scène et décide de son rythme propre. Influencé par Godard, Bertolucci a également travaillé la bande sonore par séquences autonomes, « 20 coupes dans le son maximum ». 10
Le cinéaste et son monteur jouent sur la durée des plans, allant du plutôt long au fugace et raccordent avec dextérité dans la course de la caméra. Dans la magnifique séquence sur Agostini à vélo, ils jonglent aussi sur l’échelle des différentes vues, ce qui accroît d’autant l’instabilité du ragazzo.
Malgré toutes les différences photographiques, l’image d’Aldo Scavarda (et de l’opérateur Camillo Bazzoni, assisté d’un Vittorio Storaro débutant) trouve sa cohérence dans la diversité. Contrastes violents des scènes idylliques, léger voile des années 60 sous-exposées, brumes fluviales, matin clair de la fête de l’Unita, choc des matières (Fabrizio ne dit-il pas « je suis une pierre » ? ) confrontant l’immuabilité au remous. Enfin, la virtuosité maîtrisée du cadrage se laisse ébranler par des débordements trop grands pour lui…
Bertolucci a appris de Renoir 11 le goût de l’improvisation. Il considère le plateau comme un espace libre, seulement dirigé par « le labyrinthe invisible constitué par la présence et les mouvements de la caméra (…) un tracé préétabli par le rapport entre la caméra et l’espace ». 9 Il cherche à capter une « idée née avec le film lui-même », « quand tout devient clair finalement, au moment où la caméra entre en contact avec la réalité, cette réalité qui selon les mots de Pasolini est déjà elle-même un long plan séquence ». 3
On a l’impression que Bertolucci peut tout tenter, que la justesse du ton et du regard autorise toutes les envolées. 12 Ainsi quand le mentor de Gina, esprit facétieux et conscience artistique, ce Puck de la plaine fluviale envahie par les eaux, s’enflamme pour la défense du paysage, s’adressant aux arbres et aux pêcheurs, il déclenche le surgissement miraculeux d’une barque dans la brume, plus sublime encore qu’un Guardi (son tableau Gondola…). Bertolucci n’hésite pas à monter au ciel pour immortaliser cette immensité terrestre. Il y a bien une mystique du cinéma qui se révèle dans ces mouvements, ( comme dans un panoramique à 360° de Nicholas Ray ! ), ou dans les yeux de sa comédienne, l’Anna Karina de Fabrizio-Bernardo. Jusqu’aux intertitres stendhaliens qui débarquent à l’impromptu pour remettre le littéraire et l’intime au centre de ce récit d’éducation sentimentale ou appuyer le décalage d’une situation (le « scandale » de la grasse matinée pascale).
La fièvre nous gagne et l’on songe au graffiti parisien réinventé par Damouré Zika et Jean Rouch dans Petit à petit : « Plus je fais l’amour, plus je fais la révolution. Plus je fais la révolution, plus je l’aime… ». Un espoir qui explose par tous les pores de l’écran, avec tous les moyens du cinéma. Sans doute que le sens du temps et de la lumière de Bertolucci, 13 son amour de la beauté (voir son Beauté volée, fragile et touchant avec Liv Tyler), le place du côté des peintres et des grands contemplatifs plus que des hommes d’action. Il a cette inspiration qui permet de filmer la joliesse, un peu trop majestueuse de Clélia, glissant sur l’existence à la sortie de l’église, tout en découvrant là, dans les frises chrétiennes, des personnages archaïques arborant faucille ou marteau ! Même s’il a déjà deviné que l’Histoire n’est qu’un grand cycle, pour Bertolucci, la Révolution comme le Sexe, ont une morale, un style, une dimension artistique. Il tournera donc des films mais chérira toujours les rêveurs qui érigent des barricades et pratiquent l’amour dans le même battement.
1 : « Qui n’a pas vécu les années avant la Révolution ne peut comprendre ce qu’est la douceur de vivre »
2 : « redécouvrir le cinéma à partir de zéro » in L’ambiguïté et l’incertitude au miroir, l’Avant-scène cinéma n°82 juin 1968
3 : L’ambiguité et l’incertitude au miroir, l’Avant-scène cinéma n°82 juin 1968, repris dans Bernardo Bertolucci, Mon obsession magnifique
4 : « Prima della revoluzione, c’est l’ambiguïté et l’incertitude qui se regardent dans un miroir » in L’ambiguïté et l’incertitude au miroir, l’Avant-scène cinéma n°82 juin 1968, repris dans Bernardo Bertolucci, Mon obsession magnifique, p43
5 : Le regard d’Aldo Tassone, Dossier de presse 2015
6 : « Je voulais donc exprimer ce qu’était la réalité du parti communiste dans ces années. Le début des années 60 était une période de transition entre les années mythiques, staliniennes de l’après-guerre, et ce que serait plus tard l’époque de Berlinguer. C’étaient vraiment des années qui auraient fait mourir ensuite Togliatti. Dans cette période, le parti communiste italien manquait un peu de style » in Le cinéma italien, Jean A Gili, tome 1
7 : Ecran 78 hors-série, « Dix ans après mai 68, aspects du cinéma de contestation », CinémAction 1
8 : début de son épitaphe, par Vladimir Maïakovski, 1930
9 : Le cinéma italien parle, Edilig
10 : L’ambiguïté et l’incertitude au miroir, l’Avant-scène cinéma n°82 juin 1968, repris dans Bernardo Bertolucci, Mon obsession magnifique
11 : « Il faut toujours laisser une porte ouverte sur le plateau, car on ne sait jamais qui peut entrer, on ne sait jamais ce qui peut arriver, et il faut qu’il trouve la porte ouverte » cité par Bernardo Bertolucci in Le cinéma italien parle, Edilig
12 : Tassone parle d’une « structure ouverte » typique du réalisateur et Morando Morandini (Cesare) de « blocs lyriques », Le regard d’Aldo Tassone, Dossier de presse 2015
13 : « les deux éléments qui pour moi sont les plus poétiques, émouvants, essentiels pour le cinéma sont le temps et la lumière. » in Le cinéma italien parle, edilig. En 1968 dans l’Avant-scène, le cinéaste nomme ses influences. Pour l’élément temporel : O ‘Haru femme galante, Straub, Frontière chinoise, Godard, et pour la lumière : La règle du jeu, Voyage en Italie, L’avventura, A bout de souffle
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