On peut s’étonner d’une découverte aussi tardive de la cinéaste majeure qu’était Binka Jeliazkova, figure emblématique de la Nouvelle vague bulgare, si l’on excepte quelques festivals et notamment le festival de La Rochelle en 2022. Grâce à Malavida qui sort deux de ses films et le documentaire que lui consacra Elka Nikolova en 2006 (Binka : to tell a story about the silence) nous espérons enfin que cette mise en lumière réparera cette injustice.
Comme le précise Eugénie Zvonkine, le cinéma de l’anxiété morale dans les anciens pays communistes n’arrive qu’au cours des années 60, faisant de Binka Jeliazkova, une des premières cinéastes critiques de la différence entre idéologie marxiste et réalité du système soviétique appliqué aux pays frères. La question est ici importante. Il s’agit du legs des idéaux de la résistance. Que reste-t-il des utopies de jeunesse dans une vie d’adultes entrés dans le jeu politique ? Si au delà de son importance historique La vie s’écoule silencieusement (1957), son premier long métrage, pouvait paraître encore très sage en regard de l’œuvre à venir, avec Nous étions jeunes (1961), Binka Jeliazkova passe à la vitesse supérieure, le lyrisme ne s’y contient plus : elle s’y laisse aller à tous les débordements. Mais la première chose qu’on remarque est d’abord la très impressionnante gestion de l’espace par une réalisatrice utilisant fréquemment et au mieux les plans à la grue qui vont découper cette petite ville pour en faire un théâtre à ciel ouvert.
De son côté, le scénario de Hristo Ganev (son scénariste attitré) est d’une grande force, ce qui concourt à faire du film l’un des plus réussis jamais consacrés à la résistance durant la seconde guerre mondiale. Nous étions jeunes contient son lot de mini climaxes à couper le souffle, bien servis par une mise en scène inventive mélangeant classicisme (montage parallèle, découpage parfois acéré et osé) et modernité (nombreux travellings courts mais aussi intenses que chez Kalatozov, style narratif à l’emporte pièce). Ces envolées font corps avec les personnages, plus particulièrement avec le désir de mobilité de la jeune handicapée en fauteuil. On apprécie aussi comment la réalisatrice use avec intelligence du thème de la photographie dont l’utilisation à des fins de surveillance est artistiquement pauvre, voire mauvaise, alors qu’elle a pour fonction de révéler les êtres comme lors de la magnifique scène de la mort de la jeune fille.
Parmi les idées de mise en scène qui deviennent chez Binka figures de style, l’éloignement d’une caméra (toujours très mobile) pour laisser les personnages à leurs tourments (scène superbe de la « forêt de la trahison »). Mais l’idée la plus belle a à voir avec le titre et le thème central du film : la jeunesse sacrifiée, ce qui nous vaut notamment ce moment quasi abstrait de lucioles qui se rapprochent – soient deux ronds de lampe torche -, motif que la réalisatrice poussera jusqu’au stade terminal. Il y a aussi une manière suprême de valoriser les visages comme de purs esprits pour des personnages en quête de sens. Communiste lyrique, Binka Zheliazhkova dénonce ici l’idée même d’oppression et la nécessité de résister comme de vivre l’instant présent. Un film manifeste donc pour une cinéaste souvent entravée dans son travail, censurée et inquiétée. Nous étions jeunes était donc l’un des sommets cinématographiques de la cinéaste.
Changement de ton et de cadre pour la fable Le ballon attaché (1967), adaptée d’un auteur bulgare considéré comme atypique, un cousin des films tchécoslovaques du printemps de Prague. Un ballon d’observation militaire (à la forme phallique des plus patriarcales, d’où quelques pannes gaguesques) dérive à travers la campagne d’un état imaginaire mais au pouvoir ubuesque. S’ensuit un film poursuite choral où le ballon fait figure de personnage principal et d’idéal de toutes les projections, le second étant, personnage d’autant plus fort et libre qu’il se passe lui de toute interprétation, une jeune fille en fuite par monts et par vaux, allégorie poursuivant le thème de la jeunesse et pouvant représenter également le cauchemar d’une auteure en situation inconfortable dans son propre pays (elle est admirée et reconnue, mais pas défendue).
La forme du film sera une longue cavalcade à la manière du cinéma muet, mais rythmée ici par des dialogues savoureux et un jeu volontairement excessif, à la démesure du projet. Cette mise en boite de la condition humaine, du comportement de meute et des rapports de force, chante les libertés individuelles et ne pouvait encore une fois être présenté en l’état et librement en Bulgarie, bien qu’il eut été reconnu dans les pays socialistes et les festivals.
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Boissel Ghislaine
J’ai admiré ce film et je voudrais savoir de qui est la musique du ballet qui est si émouvant que le jeune Dimo en oublie sa mission; jeter des tracts.