Le chef d’œuvre de Brian de Palma ressort en copie restaurée et, tel son héros maléfique, Swan, ne prend pas une ride, voire se bonifie avec l’âge. Mieux que ça : comme ses héros tourmentés et ambivalents, le Phantom n’a pas d’âge et transcende le temps.
Ce qui est une sacrée gageure quand par ailleurs, le film de de Palma documente aussi bien son époque, que ça soit les looks, le name-dropping malicieux ( ainsi apparaissent dans les classeurs de la standardiste de Swan les noms de tout le show bizz de l’époque :Alice Cooper, Peter Fonda.…), les allusions à peine masquées aux groupes mi-70 : Kiss, The Doors , les Beach Boys et surtout que Swan est fortement inspiré du mentor du mur de son et des « girlsbands » des années 60-70, le fascinant et redouté, Phil Spector.
Mise en abyme plus que plaisante, de Palma remet au goût du jour le mythe de Faust qui est le sujet-même de la cantate d’une jeune musicien inconnu, Winslow Leach et le thème majeur de Phantom of the Paradise.
( Notons au passage que Winslow Leach est le nom du co-scénariste, co-réalisateur et co-producteur d’un de ses premiers longs,The Wedding party ). Leach, timide, physique ingrat (un grand frère du héros loser de Christine) se fait voler sa cantate par le puissant producteur musical Swan, à qui il a la naïveté de passer sa partition. Tenace, Winslow revient à la charge. Swan fait tout pour s’en débarrasser. Bien qu’il ait été défiguré suite aux manœuvres de Swan, Winslow revient assister aux auditions pour son opéra rock adapté de Faust. Swan s’apprête à jouer sa musique pour l’ouverture de son luxueux club le Paradise, en faisant passer Leach pour mort.
Celui-ci repère Phoenix, une chanteuse venue pour le casting et s’entiche de sa voix. Le compositeur obligé de porter un masque pour cacher son irrémédiable disgrâce physique conclue un pacte faustien avec le diabolique Swan en échange duquel Swan lui garantit que c’est Phoenix qui chantera son Faust-rock…
« Swan, son nom est un succès, son histoire un mystère… » Ainsi s’ouvre le film. Outre, l’allusion caricaturale à Phil Spector, Swan illustre parfaitement le cynisme des majors, prêtes à tout pour tirer du profit de leurs artistes. Jusqu’à vendre leurs âmes ; la musique de Winslow Leach est adaptée et « remixée » suivant la mode afin de rayonner large. L’apprentie chanteuse, Phoenix n’a guère plus de scrupules. Quand Swan lui demande ce qu’elle serait prête à faire pour chanter, elle rétorque dans un souffle « Tout ! » (nous n’en dirons pas plus par égards pour les petits chanceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de voir ce film-culte. Courez réparer ce manque en allant le voir en copie neuve !) Leach, c’est l’artiste pur, sans compromis, prêt à donner de sa vie pour son art. Comme le dit le pitch anglais de l’affiche « He sold his soul for rock’n’roll » (il a vendu son âme pour le rock’n’roll). De Palma parsème son Phantom de références littéraires et cinématographiques ludiqueset manie avec brio l’art du recyclage, de la variation jusqu’au vertige. Jeu de miroirs, de double- chers à de Palma qu’on retrouvera dans quasi toute sa filmographie (depuis Sisters réalisé juste avant en passant par Pulsions , Body Double …jusqu’à son dernier en date, Passion), Swan est une prophétie sombre de Leach, son pendant maléfique. Et n’oublions pas que William Finley, avec son physique si particulier est un des acteurs fétiches de de Palma, de Sisters à Furie. Altération de l’image important Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde dans les années 70 : les bandes-vidéo de Swan vieillissent à sa place ! Mythe de Frankenstein réactualisé, Leach est la marionnette de Swan, son jouet maudit. Les allusions thématiques ou littérales se poursuivent dans un humour ravageur, comme le moment truculent où un sbire de Swan voyant Winslow Leach rôder près des locaux de Death Records, lui demande « ce qu’il fait du côté de chez Swan ». Quand Swan fait signer Leach le contrat méphistophélesque de son propre sang, il prononce la même phrase que dans le Faust de Murnau : « L’encre n’a aucune valeur pour moi ». Outre le mythe de Faust détourné, de Palma va revisiter le roman de Gaston Leroux Le Fantôme de l’Opéra en remplaçant le décor de l’Opéra Garnier (où une représentation du Faust de Gounod était donnée !) par le temple branché, the Paradise, entre post rock et disco. Chez Leroux, Eric, le héros défiguré reviendra hanter les lieux pour être près de sa bien-aimée, la cantatrice Christine Daaé. Le nom de Philbin, le bras droit de Swan est un clin d’œil à Mary Philbin, l’actrice qui interpréta Christine dans la première adaptation cinématographique du Fantôme de l’Opéra en 1925.
Nourri à ces références, The Phantom va en devenir une également. Venu voir son ami de Palma sur le tournage, Georges Lucas, fut très impressionné par l’esthétique du film. Il écrivait alors Star Wars. Le masque lumineux par lequel Winslow parle et respire lui inspirera celui de Dark Vador. Selon Paul Williams, le même masque aurait donné des idées à Daft Punk. Paul Williams a été choisi pour interpréter Swan par de Palma, notamment pour sonapparence (« très petit, très étrange mais très intéressant » dixit Brian) et en raison de son métier : musicien, il a composé la musique du film. Quand Leach a perdu ses cordes vocales après l’accident, c’est Williams lui-même qui incarne sa voix qu’il s’amuse à trafiquer à l’aide de filtres. Mu par sa charge contre un certain show business mercantile et sans éthique, de Palma avait souhaité à l’origine nommer le label Swan Song. Il dut changer le nom contre Death Records, Swan songs records étant déjà le nom d’un véritable label de chez Atlantic records. Phantom of the Paradise ne fut pas un succès immédiat. Peut-être le grand prix au festival d’Avoriaz rallia quelques aficionados du fantastique ? Ne pas oublier qu’en 1975-76 de Palma était quasiment inconnu. Il gagna ses lettres de noblesse avec son film suivant, le très hitchockien Obsession. Déjà ici, de Palma donne un avant-gout de son penchant pour le cinéma du grand Alfred en le parodiant avec la profane scène de la douche de Beef dans Phantom of the paradise !
Baroque, prolixe et inclassable, Phantom of the Paradise dérouta à ses débuts.Rock opéra, film fantastique, drame, satire ?… Tout ça à la fois et même plus, il est devenu au fil des années un véritable film-culte, un jouissif kaléidoscope des obsessions du maestro.
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