La ressortie en salles le 8 novembre de Rêves en Rose, est l’occasion de (re)découvrir cette jolie romance tournée en 1977 dans une Tchécoslovaquie en pleine « normalisation ». Le film suit Jakub le facteur et Jolanka la tzigane dans leur volonté de vivre librement leur amour malgré la pression de leurs communautés respectives. Le réalisateur, Dušan Hanák, dresse le portrait d’une nation déchirée qui, au nom de ses valeurs de progrès social, exclue toute forme de marginalité mais aussi l’idéal chimérique que ce modèle peut néanmoins représenter pour les parias et les exclus du système. C’est dans ce contexte que l’on découvre les deux adolescents, enfermés dans des cadres imposés. Jakub, pourtant rêveur et oisif, vit dans une famille qui le pousse à travailler pour subvenir aux besoins d’un père hypocondriaque et d’une mère raciste. Jolanka, jeune et jolie tzigane, ayant grandi dans une communauté qu’elle juge misogyne et archaïque, qui l’empêche de devenir une femme libre de ses choix professionnels et sentimentaux. Lui, le maladroit, las des valeurs véhiculées par son entourage, idéalise la liberté des tziganes. Elle, enfermée dans les traditions séculaires de sa communauté, ne rêve que de modernité, de shopping et de pouvoir aimer un gadjo. Hanák, choisit un symbolisme discret pour évoquer cette claustration qu’il retranscrit ainsi littéralement à l’image en enfermant très souvent ses deux héros dans des encadrements de portes ou de fenêtres lors de scènes se déroulant chez eux. Prisonniers de carcans qui, bien qu’opposés, représentent un modèle dont il faut s’affranchir. Les deux amoureux ne se retrouvent ainsi unis dans le même plan que lorsqu’ils sont seuls, loin de leurs familles, enfin libres de partager le même cadre. La société isole les rêveurs, l’amour les unit.
Bien que tournant avec de vrais tziganes, pour la plupart des acteurs non professionnels, le réalisateur se détourne de la chronique réaliste au profit de saynètes tour à tour drôles et poétiques, émouvantes et satiriques, aidé en cela par la superbe bande-originale de Petr Hapka. Une poésie surréaliste, réminiscence de Jiří Menzel et de ses Trains Étroitement Surveillés, inonde le film, au travers d’une galerie de personnages souvent touchants (comme Anton, l’oncle de Jakub, sorte d’ermite anarchiste qui collectionne les billets de banque dans un classeur) ou d’images en forme de rêves éveillés, à l’instar de ce vieillard perché dans une baignoire au sommet d’un arbre. La poésie de Rêves en Rose ne se limite pas à de simples vignettes cocasses, Dušan Hanák créé ainsi un monde, celui de Jakub et Jolanka, à partir de petits détails aussi simples et bouleversants que le chant des oiseaux (symbole de liberté récurrent tout au long du film) remplaçant le brouhaha ambiant pendant une danse entre les deux amants.
Dans une scène extrêmement sensuelle, Jolanka coupe ses poils sous les aisselles afin d’envoûter Jakub selon une vieille superstition tzigane, une certaine trivialité se retrouve ainsi insufflée dans la romance. Loin de la tragédie façon Roméo et Juliette, le réalisateur donne à son histoire d’amour, une légèreté et une candeur bienvenues. Plutôt que l’indignation, Hanák fait le choix de l’humour et de la satire afin de critiquer l’hypocrisie de la société tchécoslovaque. De nombreux plans d’insert incongrus ainsi que des effets de montages biens sentis appuient cette logique d’ironie. A l’image de cette scène où le visage en gros plan de Jakub avouant son amour pour la jeune tzigane à ses parents est suivi d’un plan d’une maison en train de s’écrouler. L’amour détruit l’ordre établi.
Poésie et légèreté ne signifiant pas niaiserie, le réalisateur choisit de donner à son film une amertume inattendue. Malgré une parenthèse enchantée pour les deux amoureux , la société finit par les rattraper, comme un passage obligé de l’enfance à l’âge adulte. Dur retour à la réalité cristallisé dans cette scène où, après s’être acheté les vêtements dont elle rêvait, Jolanka perd sa chaussure en fuyant la police. Le bal est fini, Cendrillon doit rentrer chez elle. Même les contes de fées ont une fin. Le happy-end lui étant refusé par les autorités soviétiques, qui voyaient d’un très mauvais œil cette idée de mariage mixte, Hanák trouve une échappée au pessimisme et au fatalisme facile. Au-delà de la mélancolie évidente dont est imprégné le film, il maintient coûte que coûte son optimisme et sa foi en un avenir meilleur pour ses personnages et son pays tout entier, quand bien même cette foi ne serait qu’illusoire. Tant qu’il y a de l’amour il y a de l’espoir car comme le dit l’oncle Anton : « On doit tous renaître chaque jour ».
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