Depuis la fin des années 90 et le Godzilla de Roland Emmerich, le plus emblématique des kaijus n’était plus seulement ce monstre personnifiant le traumatisme Japonais des bombardements atomiques de la deuxième guerre mondiale, mais une véritable figure Hollywoodienne. D’autres blockbusters suivront (dont le réussi Godzilla de Gareth Edwards en 2014) et remporteront un certain succès dans les années 2010. Ces œuvres incluent de la nuance dans le comportement des kaijus, jusqu’à positionner la prodigieuse créature reptilienne comme une alliée de l’Humanité.

En parallèle, dans les années 2000, de manière beaucoup plus confidentielle, des cinéastes Japonais continuent régulièrement de sortir des films de kaijus, mettant Godzilla aux prises avec d’autres monstres plus ou moins convaincants et laids. Loin des moyens Hollywoodiens, ces films regorgent de combats aussi kitsch qu’homériques, d’effets spéciaux approximatifs et de scénarios improbables.

Shin Godzilla se trouve à la croisée de ces univers, entre un monde peuplé de monstres de latex, souvent grotesques voire enfantins, et une approche plus adulte, plus complexe, injectée par les réalisateurs occidentaux. Le film Shin Godzilla, produit par la célèbre Toho (société par laquelle est sorti le premier film de la série en 1954), refonde une nouvelle fois le mythe du Roi, et réaffirme ce que le monstre est à la base : un trauma avec lequel il faut co-exister. Les réalisateurs Hideaki Anno (connu chez les fans de manga pour son chef d’œuvre Evangelion) et Shinji Higushi semblent envoyer de plus un autre message fort : Godzilla est un mythe avant tout nippon. Le duo d’auteurs rappelle d’ailleurs tous les éléments constitutifs de la légende : Godzilla est un mutant dopé aux déchets nucléaires (l’humanité est donc responsable du caractère monstrueux de la créature), la baie de Tokyo est son terrain de jeu favori, son nom lui confère un statut de divinité dans les coins reculés de l’archipel, et enfin non, il n’est pas « gentil »…

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https://fr.web.img4.acsta.net/r_1920_1080/pictures/17/04/07/17/22/546587.jpgLe film est tourné à la manière d’un documentaire, et alterne entre sidération devant la destruction aveugle des paysages urbains et analyse clinique de la réaction de la société des hommes. La bestiole ne cesse de muter et son aspect grand-guignolesque (yeux exorbités, pattes atrophiées, branchies monstrueuses…) contraste avec le sérieux et le calme qui règnent dans les cabinets ministériels, accentuant l’idée d’un pouvoir arrogant, coupé des réalités, incapable de prendre la mesure de la situation. Dans ses premières formes, le monstre évoque tout à fait des abominations vintage propre à l’imaginaire Japonais. En pleine partie de chamboule-tout entre autoroutes et gratte-ciels, le spectateur se retrouve au cœur d’un jeu d’enfant, lequel s’amuserait à détruire sa ville de jouets avec sa figurine favorite. Cette impression est encore plus accentuée lorsque sont lancés contre la bête des dizaines de trains à pleine vitesse ou que les missiles pleuvent. Face à cette menace qui dépasse l’entendement, se dessine très vite une critique acerbe de la bureaucratie Japonaise. En confrontant, disséquant, analysant l’(in)action politique des dirigeants face à ce qu’ils ne peuvent même pas imaginer, les réalisateurs se moquent ouvertement de leur gouvernement et de leur gestion jugée calamiteuse suite à la catastrophe de Fukushima. Tout est là (l’enjeu nucléaire, le souvenir d’Hiroshima rappelé sans cesse, le tsunami…) pour rappeler cet événement bien précis qui a eu lieu à peine 5 ans auparavant.

Shin Godzilla peut être vu de différentes manières : d’abord comme la réappropriation d’un patrimoine culturel, ensuite c’est un spectacle de destruction jubilatoire et enfin l’air de rien, le film se révèle être un pamphlet sévère fustigeant l’organisation du pouvoir politique Japonais. Traité ainsi, Godzilla a de beaux jours devant lui et reste universel lorsqu’il renvoie l’Humanité à sa faiblesse, son impuissance et sa médiocrité. Dans le même temps, le Roi des Monstres excelle dans son rôle favori, joué inlassablement dans le Japon moderne en ne cessant de détruire Tokyo, celui de toujours permettre la reconstruction.

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