Fraîcheur de vivre, Hollywood chewing-gum !
c’est ainsi que l’on pourrait lire le dernier plan de Deux ou trois choses que je sais d’elle et c’est à peu près tout ce qui semble rester de la Cité des rêves, dans ce film mélancolique de 1967 et qui interroge sans cesse notre rapport aux choses, aux êtres, au langage. Est-ce d’ailleurs un film de fiction, ou l’œuvre d’un homme qui se définit comme peintre et écrivain ?
C’est, en tous cas, l’œuvre d’un artiste engagé, à la fois triste et facétieux. Triste de ce que la guerre sévit encore et toujours, au Vietnam cette année-là, triste de voir que l’on transforme en jouets pour enfant les mitraillettes qui déchirent les corps en Asie. Facétieux dans cette manière qu’il a sans cesse de jouer avec les mots et les images, par le biais de montages et de collages. Deux ou trois choses que je sais d’elle, c’est peut-être avant tout l’adaptation d’une nouvelle de Maupassant, où une femme, Marina Vlady dans le film qui nous intéresse, en vient à se prostituer pour s’offrir une fourrure, à laquelle elle préférera un vêtement plus au goût de l’époque. Ce sont aussi des êtres que l’on croise, dans cette ville en perpétuel changement, où les grues pullulent et semblent vouloir heurter « l’azur » — le mot, oui, celui de Mallarmé, apparaît à plusieurs reprises.
Et c’est bien évidemment un film sur le capitalisme, le consumérisme, le monde où le langage n’est plus renouvelé par la littérature ou la poésie, mais par les slogans publicitaires et c’est ainsi que de Griffith à Fuller, la matière cinématographique s’est métamorphosée en gomme à mâcher, un truc qui perd rapidement de sa saveur et que l’on crache sur le trottoir, jolie métaphore de ce que semble être devenu la culture, ou fait indéniable qui amène JLG à s’interroger, dans la solitude de son chuchotement : « Pourquoi tous ces signes parmi nous qui finissent pas nous faire douter du langage, qui me submergent de significations en noyant le réel au lieu de le changer en imaginaire ? »
Oublions donc la beauté plastique du film et la superbe photographie de Raoul Coutard, pour nous en tenir non au peintre, mais à l’écrivain inquiet, désespéré, presque, qui semble chercher dans l’art une raison de survivre, et convoque silencieusement un ministre gaulliste, Malraux, alliant sa pensée avec celle d’un cosmologiste des Lumières, Buffon, pour en parvenir à cette forme de vérité : « Qu’est-ce que l’Art. Ce par quoi les formes deviennent style, a dit quelqu’un. Or, le style, c’est l’homme et donc l’Art est ce par quoi les formes deviennent humaines. » Voilà pour l’espoir.
Quant au reste, la vie c’est se prostituer pour un vêtement à la mode, c’est choisir entre des vacances et une machine à laver, c’est réduire le langage à sa fonction phatique ; « Comment ça va, les enfants ?
— Ça va — ce que je dis avec des mots n’est jamais ce que je dis. »
Ou c’est encore, en un joli détournement, renverser l’opium de Karl Marx pour affirmer cette vérité nouvelle : « Si vous n’avez pas de quoi acheter du LSD, achetez-vous la télévision en couleur. »
Et c’est enfin et surtout ce plan superbe sur une tasse de café, ce noir univers où de minuscules bulles ocres, que le hasard a formé à sa surface, pourraient tout aussi bien être des constellations lointaines que les prémices d’une vie cellulaire et c’est donc de l’espoir pour toujours ; tant que l’œil vivra, tant que le regard sera fécond de tous les univers, la beauté triomphera.
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