Dans la foulée de la rétrospective qui lui a été consacrée à la cinémathèque française, Jean-Paul Rappeneau est à l’honneur avec la restauration de cinq de ses films (La Vie de Château / Le Sauvage / Tout feu tout flamme / Cyrano de Bergerac / Le Hussard sur le toit), tous de retour en salles pour l’occasion.
Un dimanche soir à la fin des années 70, Le Sauvage, qui fut quelques années plus tôt un très beau succès, est diffusé à la télévision. Le lendemain matin, son réalisateur, Jean-Paul Rappeneau, reçoit un coup de fil inattendu, émanant d’une certaine Isabelle Adjani, laquelle lui dit « j’aimerais jouer dans une comédie et votre film correspond exactement à ce que je voudrais faire maintenant ». Une rencontre s’en suit, l’actrice très demandeuse, l’interroge au sujet des projets sur lesquels il travaille. Rappelons qu’elle vient d’enchaîner des œuvres qui ne se distinguent pas tellement par leur gaieté ou leur légèreté comme L’histoire d’Adèle H. (François Truffaut), Le Locataire (Roman Polanski), Driver (Walter Hill) ou Les sœurs Brontë (André Téchiné). Il se trouve qu’à cette époque, le metteur en scène planche sur une histoire, qui n’en est alors qu’à l’état d’ébauche, visant à traiter les débuts d’une carrière en politique en suivant un jeune homme récemment sorti de l’ENA. Après plusieurs nouveaux échanges avec la comédienne, lui viendra l’idée de changer le sexe de son protagoniste et de remplacer l’ENA par polytechnique, ce qui permet au passage un raccord avec l’actualité, l’année précédente pour la première fois une femme est sortie majeure de sa promotion dans la prestigieuse école. La comédienne est immédiatement emballée, tandis que dans le même temps, Yves Montand, qui malgré une collaboration parfois tendue et houleuse sur Le Sauvage (il se serait adouci en découvrant la réception unanime), ne cesse de manifester au cinéaste son envie d’un nouveau travail commun. Rappeneau a alors l’intuition que l’acteur pourrait parfaitement incarner le père d’Adjani au cinéma, ce dernier est séduit par la proposition. Se retrouvant ainsi dans la situation inédite où il dispose de ses deux têtes d’affiche, sans même avoir de scénario finalisé, il ne reste donc plus qu’à rédiger. L’écriture se fait à six mains, en compagnie de sa sœur Elisabeth Rappeneau et de Joyce Bunuel, avant que n’intervienne sur la partie concernant les dialogues, Jean-Claude Carrière (non-crédité au générique). En définitive, Tout feu tout flamme nous présente Pauline Valence (Isabelle Adjani), polytechnicienne, attachée au ministre des Finances. Elle s’occupe tant bien que mal de toute sa famille, composée de deux sœurs cadettes et d’une grand-mère, vivant toutes les quatre dans un vieil appartement parisien. Après environ une quinzaine d’année d’absences, réapparaît Victor Valence (Yves Montand), leur père, son retour chamboule le quotidien de Pauline et de sa famille…
Coincé entre Le Sauvage et Cyrano de Bergerac dans la filmographie de Jean-Paul Rappeneau, Tout feu tout flamme, malgré un succès des plus corrects à sa sortie (plus de deux millions d’entrées) a tendance à être minoré, mis de côté. Un sort quelque peu injuste, pour une œuvre qui, si elle n’est pas forcément aussi flamboyante que d’autres de ses réussites majeures, se démarque, par un désir d’explorer de nouveaux territoires cinématographiques tout en amorçant une évolution réelle, préfigurant les films ultérieurs. Comme une continuité avec son prédécesseur, l’action se déroule à l’époque contemporaine, à la différence qu’elle n’est plus délocalisée à l’étranger, se situant, cette fois-ci quasi intégralement en France. Les premières images en noir et blanc, observant un défilé militaire sur l’avenue des Champs-Élysées, avant de laisser apparaître un drapeau floqué « République française école Polytechnique », pourraient passer pour des archives documentaires si elles ne laissaient pas apparaître en conclusion, le visage d’Isabelle Adjani. Le signe d’une volonté de renouvellement formel ainsi qu’une indication concernant l’ancrage réaliste dans lequel va se mettre en place le récit, duquel va progressivement émerger la fantaisie. La science du mélange des genres qui a pu caractériser les trois précédents longs-métrages du réalisateur est toujours en vigueur mais elle s’ouvre dans le cas présent sur de nouveaux horizons. D’une part, les deux protagonistes étant désormais un père et sa fille, cela induit d’entrée de jeu des changements dans la nature de leurs conflits et de leurs rapports. Ensuite, en partant des deux cadres délimitant le quotidien de Pauline, l’un privé (le domicile), l’autre professionnel, vont se déployer une multiplicité d’intrigues, familiale, policière, sentimentale et même de façon plus secondaire, politique. Le choix d’une construction par couches complémentaires afin de créer une unité d’ensemble, traduit un désir de se confronter à un matériau teinté de romanesque. À cette profusion d’enjeux, le cinéaste fait le choix étonnant d’opter pour un rythme plus posé qu’à l’accoutumée, sensation véhiculée dès le générique par la partition de Michel Berger, distillant d’entrée une forme de mélancolie. En ce sens, la rapidité de la mise en place (le retour du père arrive par exemple très tôt) est une sorte de leurre, trahissant la « sérénité » avec laquelle la suite va se développer. Si Tout feu tout flamme appartient au registre de la comédie, ses instants de légèreté permettent, dans un premier temps, de désamorcer les difficultés d’un quotidien, qui par un autre traitement serait à même de déboucher sur un film d’une tout autre teneur. On assiste à une « cohabitation » équilibrée avec un registre plus tendre, plus sérieux, pouvant donner l’illusion d’une efficacité moindre, qui se justifie a minima par cette mutation de cap. Rupture en douceur, qu’épouse la mise en scène en refrénant les mouvements de caméra au profit de scénographies et compositions de cadres visant à maximiser l’espace, le plan. Qu’il s’agisse de l’immeuble familial au début ou plus tard du casino fraîchement acheté, Jean-Paul Rappeneau s’évertue à définir l’état et la situation de ses personnages, par leur placement dans le décor, leur façon de l’occuper, se l’approprier, lesquelles évoluent au fur et à mesure.
Après avoir mis en avant, son rôle déterminant dans l’élaboration du projet il convient de revenir sur la prestation, comme souvent fabuleuse, d’Isabelle Adjani. À l’image du film, son protagoniste Pauline, s’inscrit dans la continuité des héroïnes intrépides et énergiques qu’affectionne le cinéaste, tout en se distinguant par des évolutions réelles. Introduite dans une position de pouvoir, de poids professionnel croissant et de responsabilités familiales, elle apparaît, raisonnée, réfléchie, brillante, la tête sur les épaules. La rupture et le décalage comique viennent de ce point de départ et d’une perte de contrôle progressive où la jeune femme pressée et froide, va dévoiler ses failles et fragilités, acquérir une dimension plus humaine. On pouvait s’en douter, la rencontre entre une comédienne surdouée et un grand directeur d’acteur fait des étincelles. La précision de la partition qui lui est confiée, trouve en réponse un abattage qui tend à tout emporter sur son passage, par sa rigueur, sa justesse et son intelligence de chaque seconde. Le metteur en scène parvient également à capter et merveilleusement utiliser les spécificités de son jeu, on pense à son visage très expressif et ses regards intenses, afin de les réinventer en véritables moteurs comiques. On est prêt à parier que cette prestation, n’a pas laissé insensible Romain Gavras qui dans le récent, Le Monde est à toi, lui a offert une nouvelle occasion de briller dans ce registre. Face à elle, Yves Montand, prenant le contre-pied du Martin qu’il incarnait dans Le Sauvage, se laisse aller dans le cabotinage contrôlé pour camper une figure charmeuse, baratineuse, gentiment roublarde mais attendrissante. Entre les deux, se construit d’abord un rapport d’affrontement qui va s’ébranler à au fur et à mesure, parsemé de répliques d’une simplicité et d’une vérité désarmante, parachevant la mue de la légèreté sophistiquée vers l’amour sincère, l’émotion brute. Cette tonalité plus sensible, parfois à fleur de peau, doit certainement à l’apport de Jean-Claude Carrière, qui s’il n’est ici que dialoguiste sera par la suite co-scénariste sur Cyrano de Bergerac et Le hussard sur le toit, deux œuvres venant concrétiser les changements amorcés. Tout feu tout flamme, s’il s’avère peut-être intrinsèquement moins virtuose que ses prédécesseurs, d’une richesse moins évidente au premier abord, se révèle profondément attachant et précieux quand à l’appréhension des films à venir. À noter que Jean-Paul Rappeneau retrouvera Isabelle Adjani une vingtaine d’années plus tard à l’occasion de Bon Voyage (2003) et qu’il réinvestira le monde contemporain en 2015, pour ce qui reste à ce jour sa dernière réalisation, Belles Familles.
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