Présenté en 1981 dans le cadre du festival du film de Montréal, sorti en salles en 1982 et demeuré invisible durant les quatre décennies suivantes, L’élu (The chosen) ressort ce 19 janvier dans une version restaurée offrant au spectateur l’occasion de (re)découvrir l’un des plus beaux films de ce cinéaste quelque peu oublié qu’est Jeremy Paul Kagan.
Prolifique metteur en scène de cinéma et de télévision depuis les années 1970, Jeremy Paul Kagan est l’auteur d’une oeuvre traversée par des thèmes politiques et humanistes. Son accointance pour la jeunesse, il l’abordera notamment par le prisme d’autres sujets tels la guerre du Viet-Nam (avec l’excellent Heroes), le racisme ou l’antisémitisme…allant même jusqu’à adapter librement Notre Dame de Paris à destination du public adolescent. Mais l’un de ses plus beaux films reste sans doute son Natty Gan production Disney mais grand récit d’initiation inspiré par l’univers de Jack London dans lequel une jeune fille par à la recherche de son père accompagnée d’un loup dans l’Amérique de la Grande Dépression. Une filmographie éclectique, populaire et subtile, au sein de laquelle L’élu s’impose en grande partie grâce à la sensibilité de son propos.
N’abusant jamais de la puissance de sa toile de fond, sans pathos, L’élu choisit de centrer son récit sur ses protagonistes dont les parcours respectifs lui permettent d’aborder plusieurs thèmes essentiels : l’amitié, la culture, mais également l’amour filial et par-dessus tout l’importance de l’altérité.
L’Elu sera donc avant tout l’histoire d’une rencontre : celle de deux solitudes juvéniles, prélude à la naissance d’une amitié. Celle-ci part de la volonté de Reuven de dialoguer avec Danny qui s’étant trouvé très seul toute sa vie, ne comprend l’attitude de son interlocuteur, refuse dans un premier temps de lui répondre, le blesse physiquement, avant de maladroitement lui présenter des excuses quelques temps plus tard. Cette interaction marque le début d’un rapport fraternel fondé sur le partage et permis, comme miraculeusement, par la culture : Danny se révèle en effet surdoué et doté d’une mémoire photographique, impressionnant Reuven qui, de son côté, entreprend de l’ouvrir au monde moderne dont la vie pieuse l’a tenu éloigné, en l’emmenant dans les musées et au cinéma. Loin de tout manichéisme, le film démontre ainsi l’importance de la confrontation des idées et la possibilité que la vérité se trouve entre les deux pôles que constituent traditions et modernité… Jeremy Kagan prend alors le temps d’observer les nombreuses étapes de la relation entre les deux amis en soulignant sans cesse que les différences entre Danny et Reuven – et les milieux dont ils sont issus – sont le ciment de leur amitié car elles leur permettent d’entretenir un rapport d’émulation et de constamment apprendre l’un de l’autre…
Comme beaucoup de films sur le judaïsme, L’élu traite également les paradoxes d’une culture traditionnelle dont il exalte brillamment la richesse intellectuelle et spirituelle – cette dernière promouvant toujours la quête de connaissances – tout en critiquant certains de ses aspects, parmi lesquels le patriarcat ou des coutumes telles que les mariages arrangés… difficile alors de ne pas songer un court instant au non moins bouleversant – bien que différent sur la forme – Yentl de Barbra Streisand, sorti deux ans plus tard… Les deux films présentent par ailleurs des similitudes esthétiques, à commencer par leur photographie aux tons ambrés, à la lumière douce et atmosphères ombragées, donnant à l’ensemble un aspect pittoresque et profondément intime…
Outre son traitement de la soif de connaissance et de la confrontation des points de vue – présentés comme autant de moteurs existentiels – L’élu propose un émouvant discours sur l’héritage, le rapport père-fils et le besoin de tracer sa propre route malgré l’éducation reçue et les attentes parentales, construisant à cet égard un puissant nœud dramatique. Le père amical et solaire de Reuven et celui plus rigoriste de Danny, – désignant son fils comme son digne successeur et l’ayant tenu éloigné de lui pendant des années – définissent deux conceptions radicales de l’éducation et de la morale.
Récit d’apprentissage à deux voix, L’élu s’attache à la construction de deux identités : celles de deux jeunes adultes liés tels des frères malgré des origines censées les opposer. À l’image de l’une de ses dernières scènes résumant de manière bouleversante le propos du film, L’Élu étonne dans sa propension à infuser tout en délicatesse un optimisme salvateur, laissant grand ouvert le champ des possibles à l’âge où chacun doit choisir sa route ou se la laisser imposer. Dans son approche dénuée de tout cynisme, quasi candide, d’une totale bienveillance, le cinéma de Jeremy Paul Kagan montre ce que le bon sentiment a parfois de bénéfique lorsqu’il est distillé sans lourdeur, comme en témoigne cette œuvre superbe sur le dialogue, la connaissance et la filiation.
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