A la présentation de la copie restaurée du Bateau-Phare à la Cinémathèque, Jerzy Skolimowski, nous livre cette anecdote savoureuse : deux ou trois semaines avant le début du tournage, lors d’une fête arrosée, un des responsables du studio propose comme une boutade au réalisateur polonais d’intervertir les rôles entre Klaus Maria Brandauer et Robert Duvall. Skolimowski trouve l’idée géniale et s’en va prévenir les acteurs. Si l’acteur américain, ravi, accepte illico, incarnant alors ce méchant « bigger than life », ça n’est pas le cas de Klaus Maria Brandauer, désarçonné, qui va se venger sur toute l’équipe : faute de pouvoir être odieux dans la fiction, il le sera durant tout le tournage ! Si souvent, l’histoire d’un tournage influe sur la lecture d’un film, le cinéma du grand Skolimowski, confirme cette croyance. Des acteurs réellement sous hypnose dans Le Cri du Sorcier au jeune candide, vraiment novice dans Deep End ou encore, au fils de capitaine joué par le propre descendant de Skolimowski, Michael Lyndon, la réalité infuse les films de Jerzy S, d’une façon à la fois insidieuse et explosive.
Loin de lui conférer un aspect naturaliste, elle nimbe son cinéma d’une couche de mystère, alliage à la fois percutant et délicat du fantasme et de la frontalité, de la brutalité et de l’inconscient.
Ici, ce bateau-phare que le capitaine va défendre vaille que vaille contre l’invasion de deux bandits écervelés au service d’un dandy psychopathe est une métaphore d’un des cinémas les plus singuliers qui soit. Comme si le cinéaste polonais qui tourne ici pour la première fois aux Etats Unis, nous signifiait sa nécessité de garder toujours son cinéma ancré dans sa spécificité, de ne jamais céder aux sirènes du système.
Le bateau phare reprend deux thèmes déjà magnifiquement explorés par le cinéaste : le lieu clos – comme dans Le couteau dans l’eau de Polanski, dont il avait signé le scénario, ou dans Deep end où une piscine était le décor principal – et les rapports de force : séduction éconduite dans le film cité ou Roi Dames valets.
Huis-clos viril, Le Bateau-phare invoque les plus grands Losey, tels Accident ou The Servant dans sa peinture sans concession de jeux du pouvoir masculin et de sa violence irrépressible. Dans ce film claustrophobe et tendu au cordeau, le réalisateur élimine l’horizon et donne peu à voir l’étendue de l’océan, multipliant au contraire les lieux confinés, les barrières, les couloirs.
La ressemblance entre Klaus Maria Brandauer et Jerzy Skolimowski, doublée de celle de son fils renforce le trouble. Une fois de plus, le cinéaste montre combien il est passé maître dans l’art de distiller une tension à la fois sourde et paroxystique.
La bande-son épatante de Stanley Myers y contribue grandement.
On ne saurait être plus gré aux vaillants distributeurs de Malavida de ressortir en copie neuve un des meilleurs films du cinéaste polonais (après, notamment, Signes particuliers : néant et Travail au Noir)
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