When we were Kings ressort dans les salles françaises le 30 octobre 2024, en version restaurée, à l’occasion du 50ème anniversaire du combat mythique – « Rumble in the Jungle »- qui opposa Mohamed Ali et George Foreman à Kinshasa.
On sait depuis longtemps le lien d’attraction qui unit le cinéma et la boxe. Arts du mouvement et de la fabrique du héros, ils se sont constitués au même moment comme des objets culturels majeurs, aux États-Unis en particulier. L’invention du premier Kinétoscope par Edison est contemporaine de celle du combat de boxe tel que nous le connaissons. En 1976, le phénomène Rocky coïncide avec l’invention de la Steadicam. Chaplin, Houston, Wise, Visconti, Eastwood, Scorsese, de Palma et tant d’autres ont su exalter les puissances dramatiques, esthétiques et critiques d’un sport qui, dans le temps et l’espace quasi tragiques d’un match, semble pouvoir embrasser toutes les grandes questions: celles du genre, de la race, des réalités socio-économiques, de la loyauté et de la trahison, de la violence bien sûr, pour n’en citer que quelques unes. La richesse allégorique est telle qu’en 2002, Walter Hill déclarait au sujet de son film Undisputed (Un seul deviendra invincible) : «c’est vraiment un film sur la boxe; pas une métaphore ».
When we were Kings est un vrai grand film sur la boxe. Je défie quiconque de ne pas être complètement happé par le fascinant duel qu’il donne à voir dans sa partie finale, quand bien même il en connaîtrait l’issue. Et bienheureux ceux qui, comme moi, n’en savaient rien.
1974: trois hommes noirs en quête de reconnaissance font de Kinshasa le point de convergence de tous les regards. Mobutu, arrivé au pouvoir en 1964, est avide de notoriété sur la scène internationale. Mohamed Ali, prince déchu de la boxe, n’est plus que l’ombre de lui-même. Empâté, déclassé et mal-aimé depuis qu’il a refusé de servir son pays pendant la guerre du Vietnam et s’est converti à l’Islam, il se lance dans une mission suicide: regagner son titre de champion du monde poids-lourd face au géant Foreman, plus jeune, plus fort, au faîte de sa gloire. Don King veut devenir le roi de l’événementiel. Ainsi s’échafaude ce projet fou: combiner un événement sportif majeur opposant deux Afro-Américains et un festival musical autour d’artistes noirs, en terre africaine. Des cohortes de journalistes et de professionnels du spectacle affluent dans ce jeune pays, le Zaïre, dont certains ne parviennent même pas à prononcer le nom. Le suspense est grand: Mobutu se montrera-t-il? Ali se fera-t-il anéantir ( «nous regardions un homme qui allait à l’échafaud» dit un des témoins de l’époque) ? Et il est bientôt décuplé: le match est repoussé de 6 semaines pour cause de blessure. Dans le même temps, on apprend que sous le stade dans lequel il se déroulera sont emprisonnés pas moins de 1000 « criminels notoires ». Kinshasa est un chaudron en ébullition.
Le projet originel de Leon Gast était de tourner un documentaire sur l’événement musical que l’on appela le «Black Woodstock». Mais, lors de son séjour prolongé au Zaïre, le réalisateur fut marabouté, comme tant d’autres, par la personnalité ultra charismatique d’Ali. C’est cette fascination magique que raconte -et retransmet, ô combien!- le film. Il s’ouvre sur un numéro musical qui a tout d’un chant d’envoûtement. Dès lors, la part belle sera faite aux fulgurances poétiques ou drolatiques du boxeur histrion: « Je me suis battu contre un alligator, j’ai lutté contre une baleine, j’ai attrapé un éclair, emprisonné la foudre… la semaine dernière, j’ai tué un roc, blessé une pierre, envoyé une brique à l’hôpital» ; « hier soir, j’ai éteint la lumière; j’étais au lit avant qu’il ne fasse noir! ». Mais aussi aux émotions qui le saisissent et qu’il sait partager avec lyrisme et chaleur. Deux qualités dont est dépourvu le pauvre Foreman, héros comique du documentaire malgré lui. Il commet faux pas sur faux pas; ses blagues tombent à plat. Il assiste impuissant à ce tour de passe-passe sidérant : dans ce duel contre un homme « moins noir que lui », il est devenu l’emblème de l’oppression blanche! « Ali, boma ye » -Ali, tue-le- entonnent en choeur les Zaïrois.
Dérouté de sa trajectoire initiale, dont une trace est cependant gardée dans de superbes moments musicaux, Gast se retrouve donc à faire un film de boxe, de sorcellerie et de politique. Il restitue la rare intensité du combat du siècle. Mais, accroché aux gants et aux basques de celui qui s’auto-proclame représentant du peuple noir sur deux continents, il n’a d’autre choix que de se projeter aussi en-dehors du ring pour épouser l’étendue des luttes de son héros et restituer son pouvoir de persuasion. Dès lors s’entrêmelent images d’archives et séquences filmées en 74-moments pris sur le vif lors de conférences de presse, rencontre avec la population locale, match final- ou encore témoignages glanés vingt ans après par ceux qui ont assisté à l’événement.
La boxe n’est plus tant une métaphore que le creuset dans lequel, par le truchement du sorcier Ali, viennent se mêler les histoires, les cicatrices et les espoirs qu’elles charrient. L’ampleur de propos est telle qu’il aura fallu plus de vingt ans à Gast pour achever son film, sorti en 1996. S’il est un témoignage sur les splendeurs du montage, c’est bien When we were Kings. Lesté d’une matière d’une incroyable densité, composé d’un assemblage hétéroclite d’images, porté par l’énergie volubile de son protagoniste comme par celle des numéros musicaux de James Brown, B.B King et tant d’autres, il devient une rhapsodie au tempo endiablé.
La fin est plus sombre cependant. Outre qu’il fut une tribune offerte à un jeune dictateur, le match laissa chez tous de terribles séquelles. Foreman fit une sévère dépression. Et Ali, peut-être à cause des coups infligés, fut victime d’un inexorable déclin cognitif et moteur. Un ultime montage retrace sa carrière et l’on comprend alors que When we were Kings est devenu, au fil du temps, le magnifique tombeau de Mohamed Ali.
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