S’il est un cinéma qui a généré des monstres sacrés atypiques, des personnalités frondeuses et hors circuit, c’est bien le cinéma italien. Plus que Hollywood, le système de Cinecitta, lorsqu’il tournait à plein régime entre 1955 et 1975 (âge d’or où se croisèrent mainstream et auteurs), tendit les armes à une garde offensive, fière (parfois jusqu’à l’arrogance) et aventureuse. Et si Leone est un parangon de cette garde, Once Upon A Time In The West en est sa chanson de geste.

Ce qui frappe dès les premières minutes, à revoir en 2010 le film de Leone, c’est bien l’aspect expérimental résolument intact de l’œuvre. Il faut bien se souvenir que, si aujourd’hui, une certaine sophistication de la narration prévaut dans la moindre production basique (offrant à moults rogatons les apparats d’une pièce montée avant que le soufflet ne retombe dès le deuxième acte), l’ouverture du film fit en 69 l’effet d’une bombe. Célébrant les fastes d’une Camera Primadonna encore inédite dans son élan outré jusqu’à l’écoeurement (cf. ces inserts sur les visages devenus d’un coup des continents arpentés par des mouches qui indisposent, jeu de loupe entre le micro et le macro, la poussière des atomes et l’univers dans sa globalité), Leone fait sien le sens aigu du découpage d’un certain cinéma asiatique, jouant à tout bout de champ de l’élasticité du plan, de sa longueur, autant focale que temporelle. Mais Leone ne se contente pas de reprendre ces procédés à de simples fins d’efficacité et de nouveauté, il effectue une remise à zéro des compteurs, simulant avec sa scène d’intro (celle où trois tueurs attendent dans une gare, pour le descendre, un mystérieux homme à l’harmonica) la naissance du cinéma en offrant un reboot de la séquence primordiale du 7ème art, soit l’arrivée du fameux train filmé par les frères Lumière en gare de la Ciotat. Riche idée de Leone de commencer ainsi aussi symboliquement son film, en territoire vierge, ou plutôt sur les cendres d’un monde où tout est à reconstruire. En commençant par les hommes, thème central de ce film hautement politique. Leone expose ainsi en moins de dix minutes son projet : reconstruire la forme comme le fond, les imbriquer, dire des choses sur le réel tout en triturant l’imaginaire, faire enfin du cinéma.

Un projet d’une présomption faramineuse, synchro du portrait que l’on fait du réalisateur, souvent décrit en génie jaloux. On se souvient des propos de Tonino Valeri, accusant avec un certain amusement distancié Leone d’avoir tenté de pourrir son Nom est Personne – que Leone produisait – en le forçant à intégrer des scènes d’humour balourde, ayant pris peur en voyant les premières scènes montées que le film de Valeri ne soit meilleur que ses westerns. Et ce alors même qu’il détestait ce que le genre était devenu avec les Trinita & compagnie, un simple terrain de jeu où se distribuent joyeusement mandales et coups de savatte. Leone n’avait pas non plus la réputation d’être un fin lettré, laissant à ses multiples coscénaristes (soit, ici, Bernardo Bertolucci et Dario Argento) l’astreignante recherche de la véracité. Une véracité à laquelle curieusement Leone tenait. Manière sans doute de contrebalancer ses élans esthétiques, de les ancrer dans le réel. De se permettre donc toutes les outrances. Et c’est ce qui fait en partie la qualité de son oeuvre puisque l’italien, loin d’une érudition compassée, s’empare des archétypes avec une force illustrative naïve et puissante, en douanier Rousseau de la mythique et cruelle conquête de l’Ouest. Et si nous assistons bien à une longue cérémonie, elle est sans nul doute païenne et loin de tout dogmatisme. Leone réinvente le cinéma en réinventant le Monde. Et vice et versa.

Once Upon A Time In The West repart donc de zéro à tous les niveaux, nous montrant un nouveau langage s’articuler, pendant qu’une nouvelle société des hommes émerge devant nos yeux, avec des rôles sociaux redéfinis. Aux personnages ensuite de s’adapter ou de crever. On reconnaît bien là la patte de Bertolucci, son sens de l’imbrication du singulier et de l’historique, de la particularité et du global. On voit ainsi dans le Leone un monde solder ses comptes et un autre tenter d’émerger du chaos qui s’en suit (quand les premiers Leone ne faisaient qu’enregistrer des mondes en train de mourir). Le personnage de Claudia Cardinale, en ce sens, est la pierre angulaire du film, étonnant personnage combatif qui gagnera en dignité et en vivacité, quand la mort et la mélancolie triompheront partout ailleurs. Etonnant personnage féminin dans un genre, le western, prompt à réduire la femme à une potiche affolée, simple argument de luttes testostéronées. Et une des révolutions que compte le film, pas avare en inversion de sens (Peter Fonda en tueur psychotique) et de valeurs (l’évolution de Cheyenne, passant du bandit de grand chemin grossier à celui d’être déraciné, en souffrance). Toute cette dimension crûment et cruellement joueuse s’incarne évidemment dans la trajectoire de l’homme à l’harmonica, anti-héros mutique que l’on connait bien chez Leone, mais qui revêt ici une dimension tragique virant souvent au pur sadisme, voir ces flashbacks insistants sur la scène traumatique de la potence. Un procédé scénaristique au symbolisme fort que l’on peut raisonnablement mettre au compte de Dario Argento, toujours sensuellement prêt à triturer les corps. Et un procédé que le réalisateur Argento reprendra dans le giallo 4 Mouches de Velours Gris, et son batteur de rock obsédé par une décapitation en public. Mais plus qu’un simple catalyseur d’action, celui par qui le scandale arrive, le personnage joué par un Charles Bronson admirable de minéralité concentre la véritable révolution de ce film dans la filmographie de Leone, à savoir celle d’enfin recoller aux roues de l’Histoire, d’assumer un passé (même si c’est pour ne pas pouvoir envisager un avenir, en ce qui concerne Bronson) que Leone oblitérait jusqu’ici, se bornant avec talent à orchestrer un ballet opératique où des hommes revenus de tout (et n’allant nulle part) se tirent la bourre en rivalisant de détachement mélancolique et de cynisme. Un regard en arrière qui vaut pour un mouvement vers l’avant, une avancée thématique qu’enregistre aussi le personnage de la Cardinale, qui se décidera à assumer un passé qu’elle n’a même pas connu, se révélant à partir de ce moment en s’incarnant par choix dans quelque chose de plus grand qu’elle. Un thème (celui de la mémoire, du souvenir et de ce que l’on en fait) que continuera de creuser Leone avec Il était une fois la Révolution et Il était une fois l’Amérique, les deux ultimes chefs d’oeuvre de l’italien. Mais pour l’instant, profitez donc de cette reprise car Il était une Fois Dans l’Ouest est loin d’avoir perdu de son pouvoir de fascination sidérée.

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A propos de Cyril COSSARDEAUX

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