Lina Wertmüller est une scénariste et réalisatrice italienne née en 1926 à Rome. Elle est d’origine suisse. Son nom de naissance est Arcangela Felice Assunta Wertmüller von Elgg Spanol von Braueich.
Wertmüller a travaillé pour le cinéma, bien sûr, mais aussi pour la télévision. Elle a la chance de rencontrer Fellini vers 1962, et devient son assistante sur Huit et demi (1962-63). Elle réalise son premier long métrage en 1963. Un succès. Mais c’est avec son septième film, Mimi métallo dans son honneur (1972), qu’elle se fait vraiment et pour longtemps remarquer. Elle y dirige les acteurs Giancarlo Giannini et Mariangela Melato, lesquels obtiennent plusieurs distinctions pour leur prestation. Après avoir sorti, en 1973, Film d’amour et d’anarchie avec les mêmes acteurs principaux, et Tutto a posto e niente in ordine (Tout à sa place et rien en ordre) en 1974, elle réalise, toujours en 1974, Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l’été. Un autre film qui va compter dans sa carrière et pour lequel elle bénéficie encore de la présence et du talent de Giannini et Melato.
Wertmüller est l’une des rares femmes italiennes – avec Liliana Cavani – a avoir significativement percé dans le cinéma transalpin des années soixante-dix et quatre-vingt.
Elle est généralement considérée comme une cinéaste politiquement engagée, et une combattante pour le droit des femmes. Même si elle a pu parfois être attaquée par certaines franges du féminisme.
Des gens de la haute se payent une superbe croisière estivale, en yacht, sur la Méditerranée. La musique est plaisante, romantique. L’eau est d’un bleu azuréen. Le soleil est éclatant. L’image se nappe parfois d’un flou artistique, notamment lorsque la caméra filme le visage de la protagoniste féminine, une superbe blonde platine. On appréciera aussi quelques beaux contre-jours.
Le pa-ra-dis ! Au moins pour les riches.
Un conflit va pourtant se cristalliser entre cette belle blonde, Raffaella Pavone Lanzetti, la femme d’un industriel, et l’un des marins du yacht, Gennarino Carunchio, d’origine méridionale. Raffaella représente le capitalisme. Elle est réactionnaire, méprisante, hautaine, provocatrice. C’est une grande gueule, intarissable. Lui, il est un homme du peuple, fruste. Activiste communiste semble-t-il. Raffaella prend un malin plaisir à le commander, le réprimander, l’humilier. Gennarino bout, enrage, mais se contient, la maudissant dans sa barbe. S’il n’en tenait qu’à lui, elle aurait depuis longtemps pris son café pas assez froid ou ses pâtes trop cuites dans la figure. Mais il y a un patron qui veille au grain, un travail à accomplir.
Les yeux de Raffaella et Gennarino sont perçants et se croisent souvent. Il est évident que quelque chose se passe sur le plan des affects, même si c’est d’abord au niveau du rapport et de la violence de classes que les choses se jouent.
Subtilité.
Oui, subtilité… Car si la trame de ce film est des plus simples, si les quelques bouleversements dramatiques que l’on va y voir à l’oeuvre sont réalisés à coups de brosse, les situations sont un peu plus complexes qu’il n’y paraît. Sur le bateau, il y a beaucoup d’hommes. Raffaella est une rebelle parmi eux. Un peu fasciste, certes, mais subversive quand même. Eux qui, tous, lisent l’Unità et dont certains défendent ardemment les idées communistes, mais à un niveau purement théorique. Sa fonction dans le récit, à ce moment, et entre autres fonctions ? Dénoncer l’hypocrisie de cette classe sociale, de cette caste politique à laquelle elle appartient… sans tout à fait lui appartenir. Ne parle-t-elle pas à un moment de l’importance du divorce et de l’avortement ?… De la collusion possible entre le PCI et le Vatican ?
Les circonstances font que Gennarino et Raffaella vont se retrouver sur une île déserte. Un renversement se produit alors dans les rapports entre les deux protagonistes, dans leurs fonctions respectives. Gennarino, habitué aux terres arides, est en mesure de s’adapter aux nouvelles conditions de vie. Raffaella, une citadine, non. Elle devient dépendante de son compagnon de fortune. Gennarino peut donner libre court à son machisme, que l’on avait déjà senti poindre lors d’une discussion nocturne, sur le bateau, entre le jeune homme et son patron. La guerre de classes glisse vers une guerre de sexes, se combine à elle. Raffaella devient l’esclave de Gennarino, est obligée de se soumettre à lui, et celui-ci ne se prive pas de la frapper, de la dominer. À la fois parce que c’est dans sa culture d’homme latin d’agir de la sorte et parce qu’il a des comptes à régler. Gennarino veut montrer et démontrer à Raffaella comment elle le traitait quelques jours auparavant et comment les gens de sa classe à elle se comportent en général avec les gens de sa classe à lui.
On sent que pointe, ici, quelque chose de la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave.
Cela dit, on perçoit aussi et assez vite autre chose… Le plaisir pris par les deux personnages à un retour à la nature, vécu entre candeur et sauvagerie, et à un lâcher-prise par rapport aux impératifs de la fausse civilisation. Gerranino décide que l’amour et la passion – spirituelle et charnelle – remplaceront la violence sexuelle à laquelle il était d’abord tenté de recourir. À un moment, il a l’occasion de dire : « Hé, chère Madame Panzetti, cette expression de satisfaction complète, tu ne l’avais pas sur le yacht ». Et elle : « Je suis pleine de sensations primordiales »… et encore : « Oh ! Amour, tu es l’Homme qui devait être comme la Nature était avant que tout soit déformé… Oh ! Amour, le premier… C’est vrai, tu sais… Cela aurait dû être toi… Le premier… ».
L’é-den !
On sent que pointe, ici, quelque chose de l’état de nature selon Jean-Jacques Rousseau.
Mais tout cela est impossible et tourne finalement court assez vite. La civilisation se rappelle aux bons souvenirs des deux Robinson. Et elle profite du manque de confiance du jeune marin.
Finalement, Raffaella abandonnera Gerranino pour s’envoler dans son monde de parvenus et d’exploiteurs. Wertmüller, la féministe, a eu l’occasion de dire que, « à la fin du film, la personne qui a été violée, c’est lui, non elle ». Refusant les visions trop schématiques, elle déclare : « Et il représente (…) les femmes. Et elle représente les hommes » (Citée par Josette Déléas dans sa monographique sur Wertmüller – cf. la référence de l’ouvrage en fin de texte).
Les ficelles de Wertmuller apparaissent parfois un peu grosses, malgré les subtilités dont nous avons parlé. Les personnages ont un côté hystérique qui peut irriter. Le traitement filmique n’est pas toujours d’un grand intérêt – mais il ne faut pas laisser passer le très beau et rapide regard-caméra de Raffaella vers la fin du film. Un charme opère pourtant… Finalement, assurément…
La lumière est dorée à souhait. La musique est doucement envoûtante. Les acteurs sont beaux, même fascinants. Vivants, drôles et émouvants. La comédie caustique cache mal, heureusement, quelque chose qui évoque le drame de la condition humaine.
De toute façon, la réalisatrice revendique le fait voulu travailler dans l’excès – cet hubris assez typique du cinéma italien des années ’70 -, d’avoir chercher à faire un film « grotesque, satirique, érotique, romantique, politique, sentimental, social, amer, amusant » (Citée par Josette Déléas).
Il faut prendre cette oeuvre – dont le titre, comme le nom d’origine de sa réalisatrice et comme beaucoup d’autres titres de ses films, est déjà tout un roman – comme elle est… Sans barguigner…
Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l’été a probablement été le plus gros succès commercial de la Wertmüller.
En 2002, le réalisateur britannique Guy Ritchie tourne un remake de ce film en Italie, dans les mêmes lieux, avec Madonna et Adriano Giannini. Sa réputation est exécrable. Le voir ? Même pas en rêve !
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Conseils de lecture :
Lina Wertmüller, Tutto a posto e niente in ordine – Vita di un regista di buon umore, Arnoldo Mondadori Editore, Milano, 2012.
Une autobiographie où la réalisatrice parle de sa vie et de sa carrière. Elle y explique comment l’idée de Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l’été lui est venue, et y raconte les difficultés de tournage – Mariangela Melato s’étant gravement blessée au pied.
Josette Déléas, Lina Wertmüller – Un rire noir chaussé de lunettes blanches, Trafford Publishing, Bloomington, 2009.
L’auteur parle des réactions du public à la vision du film – des femmes ayant été choquées de voir Raffaella battue par Gennarino et y prendre un certain plaisir -, et de la façon dont Wertmüller a justifié ses choix. Elle parle du féminisme problématique et atypique de la cinéaste, de ce qu’elle considère être les contradictions et les confusions de celle-ci – notamment quand elle s’exprime sur son propre film. Déléas fait par ailleurs un compte-rendu détaillé de la réception critique de Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l’été.
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