Un père de famille doit annoncer à sa fille unique qu’il ne pourra pas être présent à son récital de violon. Dans le quotidien de la petite famille, une angoisse se diffuse peu à peu, jusqu’à provoquer cauchemars et hallucinations au caractère prophétique : une tragédie se prépare, dans un engrenage fantastique effréné.
Longtemps resté dans l’ombre, The Appointement peut enfin se voir dans de bonnes conditions, et cela tient du miracle : pour son réalisateur Lindsey C. Vickers, le sort réservé à son film ressemble à une étrange malédiction, à l’origine de l’arrêt brutal de sa carrière. Son sens de l’atmosphère, de la mise en scène et sa capacité à installer le fantastique suggestif teinté d’angoisse a mené Vickers au rôle d’assistant directeur chez la Hammer —Le Cirque des vampires (Robert Young, 1972) ; Une messe pour Dracula (Peter Sasdy, 1970) ou encore Les Cicatrices de Dracula (Roy Ward Baker, 1970).
Quatre ans après The Lake (1978), remarquable moyen métrage à l’étrangeté ouvrant déjà sur son imaginaire dans une forme occulte et livrée à l’inexplicable, le réalisateur se voir proposer le premier volet d’une série de treize téléfilms (A Step in the Wrong Direction). Sur cinq écrits, il n’en a réalisé que trois. The Appointment concrétise le premier, financé par le National Coal Board, tourné en 35 mm, avec un budget plutôt important pour un téléfilm, dans des lieux de location anglais superbes de mystère. Vickers a le champ libre, et compose un scénario intime, déroutant, respectant une certaine tradition du mystère à l’anglaise tout en imposant sa singularité. Les portes lui semblent grandes ouvertes, l’avenir tout tracé. Mais tout s’effondre suite à des désaccords avec l’équipe de production : la diffusion est annulée tout comme le projet des 13 films. À l’instar de Michael Wadleigh sur Wolfen, écœuré, Vickers abandonne tout projet cinématographique.
The Appointment fait quelques apparitions durant des festivals, sort furtivement en VHS, et passe par hasard à la télé dans les années 90, où, manque de chance, le cinéaste n’est même pas en mesure de revoir son film, à cause d’une coupure d’électricité dans sa région. The Appointment disparait dans les limbes pendant des décennies. Les tirages 35 sont perdus, et le négatif original aussi, dans un mystère égal à l’atmosphère du film. Il demeure introuvable ou dans de déplorables copies, jusqu’à ce que BFI mette la main sur une copie. C’est une révélation. « Après plusieurs années de recherche et de recherche dans les archives cinématographiques, les installations de stockage et les collections, nous avons trouvé une bande de diffusion d’un pouce, conservée dans les archives de Sony Pictures, vestige d’une émission télévisée oubliée depuis longtemps », explique Douglas Weir de BFI. Rappelons d’ailleurs —car cela peut sembler inconcevable— que les méthodes d’archivage de la télévision anglaise n’étaient pas les mêmes que maintenant, respectant bien moins les œuvres, et utilisant régulièrement les mêmes bandes en enregistrant les nouveaux téléfilms et épisodes de séries au détriment des les anciens, effacés à jamais. Ce qui explique qu’il y ait autant de séries d’épouvante anglaises des années 70 dont il ne subsiste que quelques épisodes et la mémoire de ceux —encore en vie— qui les ont vus ou créés. La copie retrouvée ici n’est pas d’une définition idéale, mais elle demeure la seule existante, et, curieusement, cette qualité d’image donne au film la patine d’une archive retrouvée et abîmée par le temps, plus fascinante encore.
The Appointment exploite la porosité entre la réalité et l’imaginaire, quelque part entre Julio Cortazar et les ghost stories anglaises à la MR James —on peut d’ailleurs voir des proximités avec la fabuleuse série de la BBC, Ghost Stories for Christmas. L’univers de Vickers a quelque chose de profondément mystique, suggérant un monde pris dans un labyrinthe surnaturel, soumis à de sombres forces occultes. On ne peut pas réellement parler d’imaginaire, car le cinéaste croit à ce qu’il montre, déclarant dans ses interviews vivre avec la conscience de ces forces. Le récit se confond dans une esthétique du cauchemar, où visions et répétitions mentales viennent construire une menace : les éléments prophétiques constituent les jalons d’une narration à la temporalité démantelée, comme si la linéarité du temps avait été aspirée par l’anticipation tragique. Dans une atmosphère peu éloignée de la folk horror, de forces obscures inexpliquées qu’on suppose païennes semble intervenir, mais tout reste diffus de l’ordre du fantasme permanent portée par une mise en scène étonnante, jouant constamment sur la rupture, l’interférence prémonitoire qui rappelle énormément Nicholas Roeg dans cette sensation d’inéluctable : ici aussi le destin semble envoyer des messages envoyés aux personnages qu’ils ne parviennent qu’à décrypter trop tard.
Le fantastique de The Appointment prend une forme diffuse, découlant intégralement du réel, d’un quotidien banal, souligné par une photographie extrêmement réaliste : le spectacle d’une petite vie pavillonnaire de classe moyenne britannique, qui va progressivement se fissurer et ouvrir sur l’inconnu. Le surnaturel est ici affaire de dérèglement au point qu’on se demande même si la peur découle des prémonitions ou du réel lui-même. Le quotidien est imprégné de malaise et d’une angoisse palpable : la simple scène où le père ordonne à sa fille d’aller se coucher a quelque chose d’à la fois terriblement trivial, mais aussi terriblement inquiétant. Les regards semblent figés, les paroles résonnent en boucle, comme si l’on était entré dans un figement temporel, annonciateur d’un drame. Ce tragique existentiel est souligné par la magnifique partition mélancolique de Trevor Jones, aux accents de Bernard Herrmann, qui rappelle celle qu’il composa pour The Sender.
Il faut dire que l’année de création de The Appointment correspond à une période très particulière dans l’histoire de l’épouvante britannique, où après les feux baroques des Dracula et Frankenstein, la Hammer, sur le déclin, réfléchissait à de nouvelles peurs plus contemporaines, découlant directement des vies prosaïques des citoyens. On a voulu minimiser cette période, parce que probablement moins ouvertement artistique, alors qu’elle est peut être l’une des plus fascinantes du cinéma fantastique britannique, comme en témoignent les scénarios de Nigel Kneale ou les films de Peter Sasdy de cette période. La terreur était différente, elle entrait désormais chez les gens en sonnant à leur porte avec l’apparence de l’ordinaire. Vickers compose avec le cauchemar du quotidien en jouant sur un montage fragmenté, répétant en boucle des scènes d’une violence traumatique, comme une directive dramatique : de nombreuses scènes sont filmées et refilmées jusqu’à épuisement de l’image, dans une mosaïque de recadrages, comme dans un cauchemar sans fin.
Des décennies après son oubli, The Appointment a donc eu enfin droit à une sortie salles et l’éditeur Les films du Camélia propose maintenant un blu-ray avec de très beaux suppléments, à commencer par The Lake son génial court métrage de 33 mn qui déjà affirmait la singularité de son univers fantastique, son inquiétante étrangeté, sa vision d’un monde envahi par les forces obscures. Il est triste de penser qu’avec The Lake et The Appointment vous posséderez l’intégrale de Vickers. En plus d’un livret de 100 pages et de la bande annonce, les trois autres suppléments sont passionnants car ils laissent la parole des années après Lindsey C. Vickers plus de quarante ans après avoir été mis au silence en tant que créateur :
– Vickers par Vickers : Le regard du metteur en scène sur sa vie et sa carrière (2021, 41 min)
– Le tournage de The Appointment : Lindsey C. Vickers partage ses souvenirs de la réalisation du film (2022, 19 min)
– Une rencontre partagée : Lindsey C. Vickers et sa femme Jan Vickers se remémorent le projet de ce « film hanté » (2022, 7 min)
Blu-Ray édité par Les films du Camelia
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).