Derniers chyrsanthèmes est l’un des deux inédits de Mikio Naruse sortis en salles cette semaine – l’autre étant À l’approche de l’automne (1960).

Le film mêle trois courts récits de l’écrivaine féministe Fumiko Hayashi (1903-1951) :  la nouvelle homonyme datant de 1948 ; Narcisse (Suisen, en écriture rômaji) et L’Aigrette (Shirasagi) datant de 1949. Fumiko Hayashi, une autrice sur des œuvres de laquelle Mikio Naruse a eu d’autres occasions de travailler. Notamment pour Le Repas (1951) et Nuages flottants (1955).

Les personnages de Derniers Chrysanthèmes sont hantés par l’argent. Il n’y a pratiquement pas une scène, au cours du film, où il n’en est question. Au risque d’être étouffant et verbeux, Mikio Naruse veut montrer que la pécune régit tout dans les relations humaines.

Trois chrysanthèmes sur le retour sont filmés par le cinéaste. Des femmes ayant cessé l’activité de geisha qui était la leur quelques années auparavant, que l’âge commence à faner, qui sentent leur vitalité et leur santé décliner.

Tomi et Tamae se sont mariées, ont eu chacune un enfant, mais ont perdu leur époux – peut-être durant la guerre. Elles vivent maintenant dans le même logement, et ont du mal à joindre les deux bouts. Elles pourraient se (re)faire une beauté et trouver un amant ou un nouveau mari. Elles n’en ont cependant pas la force ou le désir. La fille de Tomi et le fils de Tamae acquièrent leur indépendance, ce qui crée une forte inquiétude chez leurs mères respectives.
Ces deux fleurs en train de sécher vivent dans la nostalgie de leur jeunesse – dont une partie a été passée en Mandchourie (*) – et noient dans le saké leur chagrin, leurs contradictions et leurs difficultés à s’adapter aux temps présents.

© Les Acacias

Kin n’a pas eu le même parcours que les deux autres femmes. Elle n’a pas été mariée, elle est sans enfants. Mais elle a vécu des amours passionnés. Elle considère d’abord que sa situation est moins enviable que celle de Tomi et Tamae, puis, finalement, le contraire.
Kin semble avoir comblé ses manques, avoir remplacé ses excès affectifs passés par une activité fébrile autour de l’argent. Elle passe son temps à vendre et acheter. À prêter – sur gages – et à courir après ses débiteurs et débitrices pour se faire rembourser. À économiser et à compter son argent tel un Harpagon nippon – là où Otomi, elle, est dans la dépense excessive et inconsidérée. Est développé ici, dans Derniers Chrysanthèmes, ce dont il est question indirectement dans À l’approche de l’automne à propos du Japon d’après-guerre : la spéculation sauvage. Il est d’ailleurs amusant de voir que les enfants jeunes courant dans les rues sont comme filmés – rejetés – à la marge dans ce film ici évoqué.

© Les Acacias

Kin est un être froid et orgueilleux, impitoyable en affaires. Elle méprise ceux qui lui ont nui, qui lui résistent, qui la critiquent. Elle a pourtant quelques secrets que sa servante sourde-muette ne pourra jamais révéler. Parmi eux, un amour toujours vif pour Tabe, un homme qu’elle a connu lorsqu’il était soldat. Tabe revient la voir, mais la déçoit profondément. Le désir s’est évanoui, il disparaît de part et d’autre. Tabe ternit aux yeux de Kin et à jamais l’image de la gent masculine – dont elle imite pourtant les vices, comme par esprit de vengeance et de survie : « Les hommes sont des vampires ».

Le monde de Derniers Chrysanthèmes est terriblement étroit, sombre et sec – seuls les plans narusiens de la pluie expriment de l’extérieur la tristesse qui étreint l’esprit des personnages. Un moment très court vient cependant extraordinairement illuminer d’un sourire coquin et coquet ce tableau désespérant, à la toute fin… quand Tomi imite, un peu moqueuse, la démarche chaloupée de Marilyn Monroe, à la mode chez les jeunes nippones.

Note :

(*) Un regret transparaît à travers, sinon le regard de Naruse, du moins celui de ses protagonistes, concernant le Japon d’avant 1945, pays glorieusement et agressivement conquérant. Il pose évidemment question. Dans le texte de Fumiko Hayashi, il est raconté que c’est à la suite d’un viol que Kin est devenue geisha. Un détail qui a son importance et que n’a malheureusement pas retenu le cinéaste. Hayashi écrit : « Because of a chance joke, Kin was violated by Torigoe [un spéculateur]. In desperation, she fled the house and came out as a geisha from an establishment in Akasaka » [Cf. la traduction anglaise de la nouvelle, consultable ici : https://vdocuments.mx/reader/full/hayashi-fumiko-late-chrysanthemum].
Il faut cependant ajouter, pour compliquer le problème, que Fumiko Hayashi a été correspondante de guerre, notamment en Corée et en Mandchourie – lors du conflit Sino-japonais. Et que cet engagement a plus tard été critiqué.

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