Miklós Jancsó – « Les Sans-Espoir »

Cinéaste renommé puis oublié,  Miklós Jancsó voit l’intégralité de son œuvre projetée à la Cinémathèque française et jouit d’une réédition chez Clavis des Sans-Espoirs,   film qui marquera le début de la reconnaissance internationale pour le réalisateur hongrois.  L’occasion de découvrir une œuvre importante et méconnue.

En seconde partie de XIXe,  au cœur d’une Budapest en disette, résonne la rébellion des sans-espoirs. Les paysans aux nécessités de révolte pourchassés jusqu’à la mort par un pouvoir conservateur aux accents de répression font de ce film à la froideur maladive une impressionnante démonstration d’un savoir faire théorique mais dont l’austérité que le sujet impose rend la vision ardue.  La mise en scène d’une évidente qualité réduit le sentiment à son plus infime et laisse ses forces oppressantes pour unique ressenti.

L’action,  se déroulant principalement dans un fortin isolé au milieu du néant,  donne une impression de  huis clos à ciel ouvert fait de sous espaces.  On y enferme les corps prisonniers dans des cellules dont la petitesse défie toute humanité,  les trajectoires des personnages semblent être dictés par les perspectives du décors,  comme la fibre horizontale du bois pousse à l’avancement,  les colonnes dressées tout autour de la bâtisse coupent toute velléité,  possibilité de fuite.  L’idée amenée jusque dans les placements des acteurs et figurants de manière géométrique comme un cadre dans le cadre délimité par ces poteaux humains.  Une chorégraphie morbide.  On devrait frôler l’insoutenable – qui parfois se pare de sublime – mais cela,  à nouveau,  reste bien théorique. Une scène d’une violence inouïe montre une jeune femme nue mourir sous les coups de ses tortionnaires,  on pense alors à sa contemporaine dans Twelve Years A Slave de Steve McQueen dont l’aura émotionnelle est toute différente.  Deux écoles,  deux approches de cinéma différentes,  l’une plus proche de l’esprit,  l’autre des tripes.  Le débat reste ouvert.

Des cadres qui suggèrent l’enfermement donc,  et des mouvements qui décrivent avec finesse la manière méthodique de combattre,  enfermer,  guerroyer.  Des cadres aussi déformés par une focale courte offrant au film une valeur quasi mystique et la possibilité d’embrasser les paysages et murs dans toute leur imposante largeur.  Mais aussi pour éviter de s’attarder sur un personnage en particulier,  ici,  n’existe que la communauté,  la conception commune d’une insurrection.  Aucun personnage ne fonctionne dans son individualité.

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Follement maîtrisé et cliniquement reconstitué mais si austère que la moindre empathie,  le moindre ressenti deviennent compliqués.  La mise en scène aussi disposée que la guerre qu’il s’emploie à démontrer faite de longs et durs plans séquences (que l’on pourrait,  peut-être trop aisément,  associer à un cinéma moderne nordique s’ils étaient moins mobiles et presque virevoltants) donne un cinéma qui puise sa liberté dans l’horreur (ou peut être serait-ce l’inverse).  Voilà une démarche qui,  pour l’époque,  restera résolument moderne et qui – si pesante soit-elle – n’est jamais dénuée d’intérêt.

Mais outre,  les réticences sur sa sécheresse formelle et son systématisme hiératique un peu vain, subsiste la belle obsession d’un cinéaste culte,  quoi qu’un peu oublié,  pour l’histoire de son pays qu’il dit aimer et questionner par le biais de sa caméra.  Une forme de beauté jamais voilée que l’on serait en droit d’attendre systématiquement du cinéma. Un film patriotique en somme mais d’une patrie biaisée que l’on pourrait nommer liberté.

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A propos de Lucien Halflants

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