Tout a déjà été dit et écrit sur le génial studio Aardman, encore sous les projecteurs il y a peu pour un double programme qui voyait la sortie de leur superbe Shaun le mouton s’accompagner d’un adoubement en bonne et dûe forme en une classieuse exposition (avec maquettes taille réelle à la clef et reconstitution d’un tournage) au musée des Arts Ludiques. Originaux, couillus (il fallait oser imposer une technique comme la pate à modeler dans un monde gouverné par le celluloid et bientôt la 3D), inventifs, sensibles, etc. : la liste est longue et aujourd’hui presque une marque de fabrique.
Que dire alors de ses deux mascottes, le tête-en-l-air-pépère et vaguement égoïste Wallace, pas-si-génial inventeur et amateur fou de fromage, et de son fidèle et intelligent chien, Gromit, le véritable héros de la série, dont les aventures les propulsent depuis plus de trente ans hors de leur quiétude toute anglaise dans des situations rocambolesques agrémentées de crackers ?
- Have you seen this chicken ?
C’est les deux premières épopées laitières et crackersières que propose aujourd’hui de redécouvrir pour la première fois en numérique HD le studio Folimage, détenteur aujourd’hui de la licence, et qui espère jouer à plein son rôle de passeur entre les générations.
Car ce qui saute au regard, au-delà du classique « dis donc, ca n’a pas pris une ride », c’est à quel point la grande pauvreté de la technique a immédiatement été vécu comme une force, organisant progressivement la mythologie Aardman.
Pas de décors baroques (pour le moment, la suite donnera une autre ampleur), personnages caractérisés à traits peu nombreux mais précis, bande son minimaliste : tout vire à l’épure presque mythique du conte. Jusqu’aux dialogues, très vite réduits à néant (une gageure quand on sait qu’il faut sans cesse renouveler l’intérêt du jeune public) pour d’immense tunnels de séquences purement muettes absolument fabuleuses, préfigurant déjà le tour de force de Shaun le mouton, où pas une seule parole ne sera prononcée.
- « Jules Verne n’a plus qu’à bien se tenir »
Pas étonnant alors que le premier court métrage du duo, Une Grande excursion, qui conte un voyage improvisé pour cause de frigo vide sur une lune dont « tout le monde sait qu’elle est faite de fromage », se place sous le haut patronage de Mélies : c’est un cinéma des premiers temps, de fantaisie, de bricoleur, d’invention, de surprise, où on joue à juxtaposer des rêves de gosses et des réflexions logiques d’adulte. Un cinéma de la candeur aussi, où la magie prend justement source dans l’imperfection de la représentation.
Mais c’est dans le chef d’œuvre Un mauvais pantalon que la technique et sa narration prennent leur envol, faisant feu de tout bois en exploitant ces codes dans lesquels la série s’amuse à piocher depuis le début.
Véritable déclaration d’amour au cinéma de genre, dont il joue des passages obligés avec un plaisir rigolard, du film de casse (avec pingouin) au western (en train miniature), c’est un pur instant de magie absurde (have you seen this chicken ?), aussi déférent envers Hitchcock que les Monty Python, et qui voit nos deux compères affronter un diabolique pingouin braqueur de musée et un pantalon mécanique et maléfique, alcidé (ndlr : on avoue, on a regardé sur wiki) qu’ils finiront par mettre en bouteille en jouant de la mollesse du matériau pate à modeler. Pop.
Amusant d’ailleurs comme, à notre époque technologique, ces deux courts résonnent en racontant finalement le soulèvement des machines : c’est la solitude du lave-vaisselle sur la lune, le pantalon technologique et les toasts automatiques ici (avant la tonte automatisée dans le suivant), et le monstre dans le téléphone portable dans le très dispensable court métrage d’ouverture.
Difficile d’en dire beaucoup plus, tant les deux films ici présentés font aujourd’hui presque parti du patrimoine. Si le gap est déjà flagrant entre l’un et l’autre, la courbe de progression du duo Park/Lord ne fera que s’accélérer ensuite, avec Rasé de près ou Sacré Pétrin (et son tueur en série de boulangers), mais surtout leurs longs métrages délirants Chicken Run ou Le mystère du Lapin-garou, dont on assiste en quelque sorte ici à la proto-histoire.
Mais il y a quelques détails qui ne trompent pas : un frisson de l’échine lorsque résonne le générique (essayez de vous en défaire pour la journée ensuite), un sourire permanent aux lèvres, et la sensation de retrouver de vieux amis en tweed. Si on peut regretter la durée bien trop faible du programme (moins d’une heure, il faut pas pousser), force est de constater : en HD ou pas, la magie opère toujours à plein. Les crackers sont décidément éternels.
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