Sam Peckinpah raconte en son film la longue traque menée par le shérif du comté de Lincoln, Patrick Garrett, contre le bandit surnommé Billy le Kid. Elle se termine à Fort Sumner où celui-ci réside de temps à autre. Le 14 juillet 1881, Garrett y tue le Kid.
L’intérêt de l’œuvre réside dans le lien que crée le cinéaste entre les deux protagonistes, dans la mise en relation de leur figure. Les deux hommes se connaissent, auraient été amis, auraient tous deux été des hors-la-loi. Pour des raisons personnelles et existentielles, Garrett est passé du côté de la Loi, de l’Ordre établi, et cette traque est donc traitée aussi comme un acte de félonie. Le shérif trahit son ancien ami et se trahit lui-même. Il a vendu son âme à l’Autorité. En tuant le Kid, il tue celui qu’il a été, il se suicide ; il signe par anticipation son arrêt de mort – mentionnons cette scène où lorsque Garrett tire sur le Kid pour le tuer, il tire aussi sur le miroir qui le reflète, lui, Garrett.
Garrett sert les intérêts des politiciens, des militaires, des propriétaires terriens, des éleveurs qui colonisent l’Amérique et transforment cette terre ouverte, sauvage, en une « prison à ciel ouvert » – comme le dit l’un des comparses du Kid.
Sous les yeux de Peckinpah, le bandit représente cette partie de l’Amérique que les susmentionnés veulent dompter, éliminer, et qui est plutôt nomade, libre, un peu cosmopolite, contestataire. Beaucoup de critiques ont noté que la population de Fort Sumner forme une communauté comparable à celles des années 1960, libertaires ou hippies. Peu ou aucun ont relevé à quel point Kris Kristofferson, la rock star jouant le rôle du Kid, ressemble dans ce film à Jim Morrison.
Garrett, qui atteint un âge certain, sent que son univers disparaît et il ne veut pas disparaître avec. Il veut se poser, s’assurer une vieillesse confortable et tranquille. Le Kid est un symbole de ce monde finissant et dangereux pour la civilisation. Il en est un symbole, car lui est encore jeune. Peckinpah oppose cette jeunesse qui connaît l’amour et la liberté, qui est nue et innocente, et une ombre, une silhouette solitaire, noire, froide, et parfois un peu titubante, celle de Garrett… rongée par la mauvaise conscience et les contradictions. Garrett, dont l’existence conjugale de caractère petit-bourgeois est un désastre.
En digne chantre de ce que l’on appelle le western crépusculaire, Peckinpah construit des personnages complexes, et rompt avec le manichéisme habituel du genre dans lequel il inscrit certains de ses films. La Loi est représentée par des hommes veules, sans scrupules, ou d’anciens hors-la-loi qui ont retourné leur veste, et n’est en aucune manière garante d’une justice véritable. Certains de ceux qui la servent, comme Garrett, ne le font pas de complète gaieté de cœur. On sent que le shérif souhaiterait bien que le traqué lui échappe, traîne parfois la patte pour accomplir sa mission. Les hors-la-loi peuvent avoir été momentanément du côté de la Loi. Ils peuvent se montrer relativement intègres, dignes, courageux, avoir un sens fort de l’amitié. Le Kid n’est, cependant et bien sûr, pas un enfant de chœur. Il tue de manière déloyale, avec cruauté, et sans aucun état d’âme ; dans le dos s’il le faut.
Le film est globalement assez fluide… mais il débute par une construction extra-ordinaire, à la fois éclatée et permettant à la structure d’ensemble d’acquérir une dimension circulaire. Les premières images, qui sont datées « 1909 », représentent une anticipation au niveau du continuum diégétique. Elles évoquent l’assassinat de Pat Garrett qui se déroulera bien après le moment où le film se clôturera et qui est celui de l’exécution du Kid. C’est un flash-forward. Une prolepse de dimension complétive et externe, pour reprendre la terminologie savante du narratologue Gérard Genette. Elle montre le futur tragique de Garrett qui, effectivement, tout au long du film, semble donner la mort, bien sûr, mais aussi – parce que n’étant pas à sa place, et n’étant pas en accord avec lui-même et avec les autres -, la porter en lui et aller droit vers elle. Le traître est trahi par ceux avec lesquels il a voulu s’associer, mais qui ne sont définitivement pas du même monde. Des plans de cette séquence sont montés avec des plans d’une séquence qui constitue par rapport à la première un saut dans le passé – un flash-back -, et qui est en fait le moment par lequel le récit plein et présent va commencer. Cette deuxième séquence correspond à l’année 1881 et représente le Kid tirant au pistolet et Garrett tirant au fusil, à Fort Sumner. Cette alternance très artificielle, le montage productif qui permet l’association des deux séquences, donnent l’impression que c’est aussi le Kid qui tue – par vengeance ? – le shérif. Les teintes bouleversent les rapports temporels, donnent un sens particulier et paradoxal à chaque séquence. La séquence future est en sépia, la séquence passée est en couleurs. Garrett est passé, trépassé, il appartient au temps lointain. Le Kid est vivant au-delà de la vie et de la mort, il est entré dans la légende, appartient à l’éternité. Et l’on peut parler de Légende Dorée car il est comme un Saint, rapproché verbalement et figurativement de Jésus Christ dans le film.
On ne peut manquer de noter la présence de deux acteurs tout à fait particuliers dans Pat Garrett et Billy le Kid. Sam Peckinpah, dans le rôle de Will, qui, lors de la dernière visite de Garrett à Fort Sumner, discute un instant avec le shérif qu’il connaît, et le pousse à accomplir sa mission. Will est en train de finir de construire un cercueil d’enfant, de Kid. Le metteur en scène met en relation de parallélisme sa propre figure et celle de Garrett. Bob Dylan joue le rôle d’un imprimeur de Lincoln qui choisira le camp du Kid, l’accompagnera un temps. C’est lui a composé la musique du film, qui a écrit les chansons que l’on y entend : notamment Knockin’ On Heaven’s Door et Billy’s Song. Dylan, qui se fait appeler Alias dans le récit, est comme un témoin anonyme, un narrateur à la fois intra et extradiégétique ; celui qui écrit, écrira la vie du Kid sous forme de morceaux de musique, donc… de chansons de geste, en quelque sorte.
La réflexivité, l’auto-réflexivité sont des caractéristiques du « sur-western » – pour reprendre mutatis mutandis une expression bazinienne des années cinquante -, du western crépusculaire, qui aurait parmi ses prototypes le fameux chef d’œuvre de John Ford traitant du rapport entre réalité historique et légende : L’Homme qui tua Liberty Valance (1961).
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