Cinéaste mexicain prolifique, longtemps resté dans l’ombre de son contemporain Buñuel, Rogelio A. González s’est illustré dans une myriade de genres : du drame romantique —Vainilla, Bronce y Morir (Una mujer más)—, 1957 à la comédie musicale (Amorcito Corázon, 1961), en passant par le western (Los bandidos de Río Frío, 1956) comique (Los fanfarrones, 1960), le thriller (Las vírgenes locas, 1972), ou encore la science-fiction —Le Vaisseau des Monstres (1959) et México 2000 (1983). Les Films du Camélia propose la découverte du Squelette de Madame Morales, classé 19e dans la liste des 100 meilleurs films mexicains (revue Sommes, 1994), nous plongeant au cœur une comédie flirtant avec l’horreur, où l’humour noir culmine au service d’une satire sociale et anticléricale désopilante, teintée de malice. Par un art de la mise en scène particulièrement moderne, empruntant à l’expressionnisme allemand et au film noir, Rogelio A. González invite à l’exploration des méandres des jeux de pouvoir, de la manipulation et de la perversion cléricale, dans le décor macabre d’un cabinet de taxidermie. Tiré de la nouvelle fantastique « The Islington Mystery » de Arthur Machen (1927) par Luis Alcoriza, fidèle scénariste de Buñuel (Le Grand Noceur, Los Olvidados, Él, L’Ange exterminateur…) Le Squelette de Madame Morales puise dans la littérature gothique britannique et y intègre un sens de la caricature et de l’exubérance.

À Mexico, Dr Pablo Morales, un taxidermiste renommé, subit chaque jour la tyrannie bigote et les complaintes de sa femme Gloria, et trouve refuge dans son cabinet en s’adonnant à ses activités d’empaillage, au milieu d’ossements épars, d’oiseaux sidérés et de son attirail de couteaux. La vie conjugale, de plus en plus invivable, finit par donner au Dr Morales une idée.

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Le Squelette de Madame Morales, au carrefour des genres, sonde les mécanismes psychologiques de la manipulation et de la tyrannie conjugale, en posant la taxidermie comme toile de fond symbolique. Dès l’ouverture du film, dans la maison de Dr Morales —quelle ironie— et sa femme, la voix de Gloria se lamente en hors-champ auprès du curé, buvant scrupuleusement ses paroles : « Il trouve toujours le moyen de me torturer ; c’est un monstre (…) il se moque même de vous ! », sanglote-t-elle, sous le regard scandalisé de son interlocuteur. Seul le Dr Morales se montre incrédule face à ses incessantes complaintes, et, désabusé par la victimisation tyrannique de sa femme, se délecte en lui manifestant un cynisme et une ironie redoutables. Rogelio A. González dépeint l’enfer de cette vie conjugale avec une savante maîtrise du burlesque, où chaque dispute oppose le sadisme des grandiloquentes jérémiades —Gloria— à celui du sarcasme effronté —Dr Morales : une véritable comédie de caractère baroque, que le cinéaste mexicain émaille grâce à sa patte fantaisiste, s’exprimant autant par le contexte narratif que par le phrasé cinématographique.

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Dans ce théâtre de la comédie —au sens propre comme au figuré—, le climat d’hostilité, d’emprise et d’exaspération s’exalte notamment par la représentation du personnage de Gloria, en tant qu’instance omni potente et présente. Sa tyrannie s’immisce jusque dans les cavités du quotidien,  par son obsession puritaine aseptique —son mari doit systématiquement se désinfecter les mains à l’alcool en sa présence— ; et envahit le hors champ même : de certains plans mettant en scène le Dr Morales s’élève inopinément la voix acariâtre de Gloria, et la caméra épouse son point de vue impérieux en plongée. À ce pouvoir insidieux et manipulateur —Gloria n’hésite pas à jouer la comédie larmoyante auprès de son entourage, telle une despote endoctrinant son peuple— répond la désinvolture caustique à toute épreuve de son mari. Suite à un méfait de Gloria à son égard, le Dr Morales l’interroge quant à sa volonté de supériorité et invoque le péché de la vanité en cherchant l’approbation du curé (l’argument d’autorité personnifié favori de Gloria), qui ne peut réprimer un timide acquiescement bredouillé.

Par son décor du cabinet taxidermiste, Le Squelette de Madame Morales illustre avec humour grinçant les rivalités perverses et sordides du mariage entre Dr Morales et Gloria, où la vie conjugale côtoie les cadavres d’animaux éventrés et les squelettes recomposés. Si Le Squelette de Madame Morales emprunte à l’expressionnisme allemand, c’est par la mise en scène et la composition des images, qui joue avec les fondus et les transitions —on pense à ce faux raccord dans le mouvement, où Gloria s’affaisse sur la table, qui devient la table du bar d’où se redresse un ami de Dr Morales—, manie les plongées et contre-plongées pour illustrer la menace, et l’obscurité, les ombres, et les visages expressifs pour installer la peur —bien que Rogelio A. González use davantage de ces procédés stylistiques au service de la comédie que de l’horreur.

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Le film de Rogelio A. González met en scène la décrépitude d’un mariage régi par l’hostilité, que Dr Morales conjure par l’entretient et la préservation des animaux morts : la taxidermie s’élève alors comme un antidote métaphorique, profondément ironique, inscrivant Le Squelette de Madame Morales dans le registre de la comédie noire. Une comédie noire fantaisiste, oscillant entre le film policier et l’expressionnisme allemand, portée par un humour macabre et audacieux, au service d’une astucieuse satire anticléricale. Le cinéaste manie l’humour dans ses variations les plus délectables, allant du comique de répétition, avec le désinfectant de Mme Morales ou son amie incontinente depuis son opération de la vessie, au comique de mots avec l’historien bègue, et, surtout, avec cette scène faisant suite à la mystérieuse disparition de Gloria : où, en réponse à un personnage déclarant sentir quelque chose de louche, le curé concède, l’air grave et consciencieux « Oui, il y a une terrible odeur ».

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La caricature et le comique de geste intègrent également la comédie à l’œuvre dans Le Squelette de Madame Morales, notamment grâce aux personnages des deux commères, archétypes participant à la caricature, qui passent leur journée à épier le Dr Morales depuis leur fenêtre, ou encore les amis du Dr, ivrognes chevronnés. Tel un magicien de l’ironie, des ruptures et du jeu avec les attentes, Rogelio A. González convoque un humour noir savamment maîtrisé, dont l’audace transparaît dans des séquences de provocation éhontée :  comme lorsque le Dr Morales, prêt à décarcasser la dépouille de sa femme, prend le soin de se désinfecter les mains. La verve comique se manifeste bien souvent par des touches d’humour blasphématoires, profondément anticléricales, notamment grâce à la caricature du curé et de la bigoterie de Gloria, constamment tournés en dérision par Dr Morales : « Sauver l’âme d’un pêcheur doit être bien plus difficile que d’empailler un iguane », professe-t-il à l’égard  du curé, l’air faussement solennel.

Théâtre du cynisme et du blâme social, Le Squelette de Madame Morales n’en finit pas de réjouir par son art du dialogue, sa fantaisie du montage, sa modernité stylistique, et son ironie mordante.

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A propos de Eléonore VIGIER

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