The Hit est le second long métrage de Stephen Frears. Le premier, Gumshoe, a été réalisé 13 ans auparavant, en 1971. Dans l’intervalle, le natif de Leicester a travaillé pour la télévision. C’est avec The Hit qu’il entre de plain-pied dans le monde du cinéma – il conçoit son fameux My Beautiful Laundrette, le film qui l’a fait connaître mondialement, dans la foulée.
Willy Parker est un repenti britannique qui s’est réfugié en Espagne. Sorti de prison au bout de dix ans, Corrigan, l’un des truands que Parker a dénoncés, a engagé deux tueurs, Braddock et Myron, pour ramener celui-ci à Paris et se venger – donc l’exécuter. Le récit est celui de la traversée de la Péninsule ibérique en voiture par les trois hommes qui se retrouvent flanqués à un moment d’un otage espagnol, la jeune et belle Maggie.
The Hit est un road movie. Un road movie sanglant, car les tueurs rencontrent des obstacles, des témoins gênants, et rien ni personne ne peut et ne doit leur barrer la route. Les paysages arides qu’ils traversent, avec leur voiture faisant tourbillonner la poussière, confèrent à l’oeuvre des allures de western – la musique sèche de Paco de Lucia lui apporte un cachet folklorique.
The Hit vaut pour la confrontation psychologique entre les trois hommes, pour les différences qui se révèlent entre eux, davantage que pour l’action.
Willy Parker n’oppose pas de résistance, se montre digne et sage, accepte stoïquement son sort. Il est parfois comme dans un état de méditation. Il s’amuse cela dit des situations qu’ils traversent, lui et ses compagnons de route. Il cherche à les monter l’un contre l’autre, mais sans qu’on sache si c’est simplement par jeu ou pour en tirer un réel profit – se libérer, s’évader.
Myron, campé par un Tim Roth blond dont c’est le premier rôle pour le grand écran – après le téléfilm d’Alan Clarke, Made In Britain (1982) -, est jeune, fougueux et un peu bêta. C’est sa première mission et, même s’il ne craint pas de bastonner autrui, il a des états d’âme quand il s’agit de tuer. Braddock, lui, est plus âgé que Myron. C’st un tueur apparemment aguerri et froid, qui ne recule pas devant les assassinats, mais qui semble en même temps las, comme au bout du rouleau. Avec son visage ridé, maussade, nul ne pouvait probablement mieux camper ce personnage que John Hurt.
Parker et Braddock se connaissent. Ils ont vécu des aventures en commun dans le passé – sans que l’on sache quoi ; un mystère entoure Braddock. Et pourtant leur caractère est diamétralement opposé. Braddock est morne et taiseux. Parker est bavard, spirituel et lumineux.
Le film, qui commence comme une comédie un peu pataude – j’ai craint au début de voir un Georges Lautner à l’anglaise -, se transforme en une œuvre à dimension métaphysique, mais aussi en une aventure picaresque, en une tragédie de l’absurde…
Par deux fois, Parker à l’occasion d’expliquer ce qu’est pour lui la Mort et d’affirmer qu’il ne la craint pas. Face à Myron, d’abord, puis face à Braddock, à qui il lit le début d’un poème qui défie, nie la camarde, chante l’éternité. Il n’en cite ni le titre ni l’auteur. Il s’agit de Death Be Not Proud (1609) du poète et prédicateur John Donne (1572-1631). Donne fut le chef de file d’un groupe appelé les « poètes métaphysiques ».
L’équipée ne mènera nulle part… les personnages masculins ne brassent que du vent et n’ont aucun horizon, serrés de près qu’ils sont par la police – dont le chef est incarné par le bunuelien Fernando Rey – , sans s’en rendre compte.
On est un peu entre les Monty Python et Miguel de Cervantes. Ayant remarqué la présence des moulins à vent dans le paysage filmé par Frears, Vincent Ostria a raison de mentionner Don Quichotte dans l’article qu’il consacre au film ; et d’écrire : « En poussant un peu, on pourrait comparer le lugubre Braddock au chevalier à la triste figure et l’hystérique Myron à son compagnon Sancho Pança… Référence mythique qu’on retrouve quand Myron s’étonne du nombre des châteaux en Espagne ? Il n’en connaît pas la connotation chimérique. Parker lui répond en homme cultivé : « Ce sont les témoins de siècles de défense contre l’invasion étrangère. Jadis, les chevaliers se battaient et trouvaient la mort à côté de leurs compagnons ». Sentence à peine déguisée du destin fatal qui unira les trois malfrats » (1). Parker évoque précisément le Col et la bataille de Roncevaux, l’amitié héroïque qui unit Roland le Preux et Olivier le Sage jusque dans le trépas.
L’ironie mordante, dans The Hit, réside d’abord dans le fait que Parker se révélera terrorisé quand viendra pour lui le temps de mourir. L’écrivain Peter Prince qui a composé le scénario du film s’est inspiré d’un récit de l’écrivain et journaliste américain Ambrose Bierce (1842-1914) : Parker Adderson, Philosopher (1891) (2). Le nom donné au personnage incarné par Terence Stamp vient donc de là. Pendant la Guerre de Sécession, un espion nordiste, Parker Adderson, est fait prisonnier par les Confédérés et va être exécuté. Parker discute durant la nuit avec l’officier sudiste qui a signé l’arrêt, le Général Clavering. Parker, tel Épicure, devise sur l’inexistence de la Mort face à son interlocuteur hébété et qui, lui, la craint manifestement. Mais quand il apprend qu’il ne sera pas pendu, mais exécuté, et avant l’aube, il est pris d’effroi, se rebelle et blesse le Général. Il est passé par les armes. On est loin de The Red Badge Of Courage de Stephen Crane (1894) porté à l’écran par John Huston en 1951 !
L’ironie mordante réside ensuite et enfin dans le fait que Braddok – qui s’est révélé lui aussi avoir des états d’âme quand il s’est agit d’éliminer Maggie… avec qui on peut considérer qu’il a eu l’équivalent symbolique d’une relation charnelle intense – semble accueillir sa fin avec résignation, soulagement peut-être, et une légèreté malicieuse… Dans le récit d’Ambroise Bierce, le Général Clavering est pris en charge par un chirurgien, mais il ne peut être sauvé : « Les yeux du patient se fermèrent lentement, et il resta ainsi quelques instants ; puis, son visage imprégné d’un sourire d’une douceur ineffable, il dit, faiblement : « Je suppose que ça doit être la mort », et ainsi mourut » [notre traduction].
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Note :
1) Vincent Ostria, « The Hit », Les Inrocks, 30/11/1994.
https://www.lesinrocks.com/cinema/films-a-l-affiche/the-hit/
2) On peut lire ici la version originale de ce récit :
https://americanliterature.com/author/ambrose-bierce/short-story/parker-adderson-philosopher
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