Personnage à part dans le paysage du cinéma français, Tony Gatlif est l’auteur d’une œuvre conséquente, riche d’une vingtaine de films. À la fois réalisateur, scénariste, acteur, dessinateur, et même compositeur, il s’est fait le porte-voix d’une communauté gitane bien souvent invisible à l’écran, à laquelle il a redonné ses lettres de noblesse. Sa filmographie, qui débute en 1975 avec La Tête en ruine, est constituée de plusieurs opus consacrés à cette minorité, qu’il s’agisse de Corre Gitano (1981), tourné en Espagne, des Princes (1983) ou encore de Latcho Drom (1993), œuvre cosmopolite qui se déroule dans huit pays différents afin de retracer le parcours des Roms, ainsi que leur histoire. Cette carrière, dont l’engagement politique se manifeste également à travers d’autres volets consacrés à la guerre d’Algérie (La terre au ventre, 1978) ou au mouvement des Indignés en Europe (Indignados, 2012), livre donc une représentation empreinte d’authenticité, et presque documentaire, de cette société des gens du voyage, soulignant notamment l’importance de la musique dans leur culture. La ressortie par Malavida Films de Swing, sorti en 2002, nous invite donc à nous replonger dans l’une des compositions les plus remarquées de ce cinéaste singulier.
Max, un jeune garçon de dix ans en vacances chez sa grand-mère, se rend dans une cité de gitans afin d’acheter une guitare et d’y apprendre le jazz manouche. À partir de ce postulat de départ relativement simple, Gatlif orchestre un récit d’apprentissage où se mêlent dans un même mouvement la découverte de l’amour, de la mort et de la nature, le tout sur un fond de mélange des cultures. La musique fonctionne ici comme une porte d’entrée vers cet univers diégétique, comme en témoignent les premières notes de guitare qui accompagnent l’ouverture où l’adolescent franchit la frontière qui sépare son espace domestique, la maison de sa grand-mère dans de beaux quartiers résidentiels, de cet autre monde qui l’attire et le façonne dans une même dialectique. Elle donne également son rythme à Swing, tourné caméra à l’épaule et monté sur un tempo rapide, qui opère par coupes sèches et par de brusques changements de rythme, avant de s’arrêter lors des scènes de concert dans les caravanes. Le réalisateur parvient à filmer cet espace étroit surpeuplé avec toute la fluidité qu’il convient afin de retranscrire au mieux l’intensité et l’harmonie qui résulte de ces compositions collectives. Ces séquences qui sont autant de suspension de la narration visent aussi à célébrer la diversité de cette communauté, où un arabe et un juif se retrouvent au son de la mélodie, et où le jeune Max est accueilli sans réserve.
Le jazz apparaît donc pour le jeune protagoniste comme une ouverture vers un univers presque mythologique, fonctionnant ainsi comme le terrier d’Alice au pays des merveilles. On peut y voir ici un parallèle avec Mud (Jeff Nichols, 2013) qui raconte le même voyage initiatique de l’adolescence en se structurant autour d’une opposition entre deux espaces : l’extérieur, source d’onirisme et d’aventures, et l’intérieur, lieu des contraintes familiales et du réel dans sa définition la plus morne. On retrouve dans les deux récits l’importance du fleuve qui figure ce passage d’un monde à l’autre et qui donne forme à cette traversée de l’enfance candide vers l’adolescence consciente. Car c’est dans cette forêt préservée et secrète que Max et Swing, la jeune fille vivant dans la cité, partagent leurs premiers émois amoureux, donnant au film ses plus belles séquences. Un vent de poésie souffle alors sur l’histoire racontée, notamment lors de ces séquences en plongée où les paysages défilent à toute allure, rendant sensible le mouvement d’élévation et de transcendance qui naît chez l’être humain lors de sa rencontre avec ses sentiments les plus intenses. Une autre séquence de montage, constituée d’une multitude d’inserts sur divers éléments de la flore et de la faune, souligne quant à elle la dimension magique de la nature ainsi que sa capacité à stimuler l’imaginaire, ce qui renforce encore davantage le lien avec Mud. Les deux œuvres se referment d’ailleurs de la même manière, par le départ de l’adolescent, qui se doit de renoncer au pays des merveilles pour retourner au réel. À la fois témoignage aux vertus documentaires sur la communauté gitane et récit d’apprentissage, Swing est aussi, et surtout, une ode à l’anticonformisme, à l’effacement des hiérarchies et des préjugés qui régissent encore la société, vingt ans après la sortie de ce long-métrage.
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