La quatorzième édition du Festival international de La Roche-sur-Yon a indubitablement tenu toutes ses promesses. Un Festival aussi riche nous oblige forcement à faire des choix de séance parfois cornéliens – le don d’ubiquité ne nous étant pas encore offert par la folie des progrès technologiques -, mais nos quatre jours de présence sur les lieux nous ont permis d’apprécier la richesse et la complémentarité des différentes programmations – deux compétitions officielles et un volet Séances Spéciales. Évidemment, toutes les œuvres visionnées ne sauraient susciter le même enthousiasme, ainsi nous passerons très rapidement sur deux titres qui se sont révélés déceptifs, ne réussissant pas à dépasser le cadre de leurs intentions de départ et tournant rapidement à vide : Les Filles vont bien, le premier film D’Itssaso Ana (l’actrice d’Eva en Aout) qui convoque ses amies comédiennes pour une répétition théâtrale et Maret (Laura Schoerder), censé nous plonger dans les troubles de la mémoire par le biais d’un récit mêlant psychologie et science -fiction. Malgré leurs limites, ces deux longs-métrages n’en demeurent pas moins très personnels, guidés par une évidente sincérité d’auteur. Une exigence qui est incontestablement un critère de sélection du Festival. Ainsi, El Eco (Tatiana Huezo), propose un regard éloigné de l’image habituelle du Mexique, dans un documentaire aux lumières resplendissantes, nous partageons le quotidien de familles modestes ; vivant en harmonie avec leur environnement. La bienveillance parfois un peu appuyée de la réalisatrice a le grand mérite d’éveiller nos consciences en rappelant les fondamentaux qui devraient servir de fil conducteur à nos existences.
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À ce titre, La Pecera (Glorimar Marrero Sánchez), aborde avec douceur et crudité la question de la fin de vie. Atteinte d’un cancer bien avancé, Noelia refuse de nouveaux traitements médicaux et se réfugie sur son ile natale, à l’est de Portorico. Retour aux sources, proche de sa mère, ce dernier voyage établi un parallèle entre la maladie qui ronge la jeune femme et la pollution qui ravage son idyllique berceau aquatique. Cela ne vous aura pas échappé, les quatre films abordés jusqu’à présent sont l’œuvre de réalisatrices. Signe du renouveau du cinéma, dans l’ensemble des sélections la parité homme-femme se dessine. Autre preuve, un tandem mixte, Maria Alché et Benjamín Naishtat, est derrière la caméra d’El professor, une comédie Argentine qui aborde avec cynisme et philosophie le désengagement de l’état dans un domaine qui devrait être sa priorité : l’éveil des consciences par le savoir universitaire. Sur un scénario riche de situations aussi cocasses que signifiantes, le charme et la désinvolture de ses deux acteurs principaux, Marcelo Subiotto, Leonardo Sbaraglia font des étincelles. À l’instar de l’âge d’or de la comédie italienne, le tableau sans concession d’une société en déliquescence déborde d’énergies positives, la situation est grave mais jamais désespérée. Pas étonnant que le film est obtenu le prix Jury international Ciné+.
L’humour est aussi au programme de Vampire humaniste cherche suicidaire consentant (Ariane Louis-Seize). Le mythe du vampire, maintes fois visités et revisités, permet ici d’aborder, sans didactisme ni angélisme des thèmes actuels comme le harcèlement et les éternelles questions liées au passage à l’âge adulte. Les rires pendant la séance et les applaudissements finaux d’un public majoritairement collégien et lycéen laissent augurer un bel avenir au film qui doit sortir en avril prochain. Le film a obtenu le prix Trajectoires Parisbas.
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Deux gros coups de cœur à présent. Le premier, Ingeborg Bachmann – Journey into the Desert, marque le retour de la bien trop rare Margarethe von Trotta. La réalisatrice d’ Hannah Arendt (2012), nous offre un nouveau biopic, dans un registre qui associe classicisme et modernité, rêve et réalité. D’une beauté élégiaque, qui nous rapproche de Visconti (cité à deux reprises), la biographie de la poétesse allemande porte principalement sur sa liaison -et son impact affectif et sexuel – avec l’écrivain Max Frisch. On pense également à Antonioni pour la dimension introspective et transgressive du récit, porté ici par une Vicky Krieps tantôt radieuse, tantôt exsangue, mais toujours bouleversante. Notre deuxième coup de cœur, Sidonie au Japon, brille par son apparente simplicité – mais la simplicité n’est-elle pas des plus complexes à mettre en scène. Le troisième film d’Élise Girard déroute notre Isabelle Huppert nationale vers une autre planète, le Japon. Renaissance amoureuse, fantôme d’amour, cette douce et tendre parenthèse, sensuelle et sensible touche le cœur et l’esprit, enrichie par de savoureux moments burlesques.
Et enfin, La bête de Bertrand Bonello. Difficilement résumable en quelques mots, cette adaptation libre de la nouvelle d’Henry James en déroutera plus d’un. Fastueux, conceptuel, réflexif… c’est une expérience rare qui nous est donnée de vivre. On ne peut pas reprocher à un auteur de prendre des risques. Surtout lorsqu’il célèbre avec autant de ferveur toute la beauté et le talent d’une insaisissable Léa Seydoux. Prix du jury international.
Enfin, un petit mot sur l’ambiance, les salles copieusement garnies, tous les âges étaient au rendez-vous. Un accueil parfait. Un véritable bonheur que de fêter le cinéma dans ses conditions.
Le palmarès complet de cette édition 2023 :
GRAND PRIX DU JURY INTERNATIONAL CINÉ+
EL PROFESOR de María Alché et Benjamín Naishtat
PRIX SPÉCIAL DU JURY INTERNATIONAL
LA BÊTE de Bertrand Bonello
PRIX NOUVELLES VAGUES ACUITIS
Ex-Aequo SOBRE TODO DE NOCHE de Victor Iriarte / KNIT’S ISLAND d’Ekiem Barbier, Guilhem Causse et Quentin L’helgoualc’h
PRIX TRAJECTOIRES BNP PARIBAS
VAMPIRE HUMANISTE CHERCHE SUICIDAIRE CONSENTANT d’Ariane Louis-Seize
PRIX DU PUBLIC
GREEN BORDER d’Agnieszka Holland2e
2e MOI CAPITAINE de Matteo Garrone
3e RICARDO ET LA PEINTURE de Barbet Schroeder
COUP DE COEUR COLLÉGIEN
BOLIDE de Juliette Gilot
COUP DE COEUR DES CLASSES-JURYS
BOLIDE de Juliette Gilot /TÜMPEL de Lena von Döhren
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