Deuxième long-métrage du réalisateur et clippeur controversé, Romain Gavras, Le Monde est à toi détonne dans le paysage cinématographique français par son outrance, son goût du spectacle plus fréquent chez les anglo-saxons qu’au pays de Bresson, son sens du dialogue et sa maîtrise esthétique.
Outre des publicités haut de gamme, Romain Gavras réalise les très médiatisés clips de Justice et Mia qui font parler d’eux pour leur goût parfois gratuit pour la provocation, ce que n’a pas démenti son premier film, Notre jour viendra. Il garde son appétence pour l’insolence, mais cette fois-ci le réalisateur doué appuie sa farce pop sur un scénario bien ficelé, co-écrit avec Karim Boukercha et Noé Debré, une équipe de vedettes, enchantées de jouer avec leur image et une esthétique ludique.
Le rêve de François, petit dealer est de devenir le distributeur officiel de Mr Freeze au Maghreb. Cette vie, qu’il convoite tant, vole en éclat quand il apprend que Dany, sa mère, a dépensé toutes ses économies. Poutine, le caïd lunatique de la cité propose à François un plan en Espagne pour se refaire. Mais quand tout son entourage à la ramasse s’en mêle, rien ne va se passer comme prévu !
Romain Gavras dit avoir voulu faire un film de gangsters. Il s’agit plutôt d’une relecture de la mythologie du film de gangsters depuis le titre, clin d’œil ironique au Scarface de De Palma, jusqu’aux personnages plus barrés les uns que les autres, échappés d’un Guy Ritchie et pinaillant des heures avec le plus grand sérieux sur les plus petits sujets, à la façon de Quentin Tarantino. Isabelle Adjani s’en donne à cœur joie en mère abusive, mante religieuse, mama gangsta, voleuse en chaDior, pardon : en chador.
Plus sobre, Vincent Cassel compose un petit bandit dont la fin de parcours est soudain illuminée par les Illuminati, ce qui génère quelques morceaux de bravoure hilarants. De même, le vieux briscard qui fait une exégèse philosophique d’un morceau de Johnny à François. La culture du terroir est convoquée et malmenée de façon vivifiante comme la mise à sac de l’appartement de François et Dany sur le sirupeux Cœur grenadine de Laurent Voulzy.
La force – et parfois – la limite de Gavras est de coller à son époque, d’avoir intégré les codes de l’image et les mœurs de son temps et de savoir s’en moquer. Les premiers plans révèlent un indéniable sens du cadre et du décor, à l’instar de ce terrible jeu vidéo grandeur nature qu’est Benidorm où se déroule la quasi intégralité du film. Dans l’air du temps, sans faux semblant, Romain Gavras évoque avec humour et frontalité les über et autres nouveaux métiers (ou plus vieux métiers du monde : la copine michetonneuse de François), les dealers et gangsters cheap des cités, l’instrumentalisation des migrants, l’islamisation en pleine expansion et la hantise du terrorisme. Un savoureux switch final joue sur ce dernier thème.
C’est assez jubilatoire de voir Adjani camper la femme arabe dans tous ses états, de la milliardaire des émirats jusqu’à la soumise en burkini.
Ambigu, Gavras joue sur la fascination de l’image, non seulement celle exercée sur les caïds à deux balles, comme ledit Poutine et ses sbires qui ont l’air de se croire dans un film de Tarantino, mais sur lui-même. En cela, il est bien un cinéaste très contemporain. Ce qui soulève une interrogation : un film qui touche à ce point le zeitgeist d’une époque n’est-il pas menacé de péremption ? Mais la modernité n’est-elle pas d’être un chouïa plus inclassable, moins calé sur des marqueurs temporels ? Souvenons-nous de la phrase de Ionesco: Vouloir être de son temps, c’est déjà dépassé.
Dans une interview, Gavras évoque l’angle universel du Monde est à Toi, la fibre humaine qui manque parfois aux films de gangsters et qu’il a voulu y injecter. Pari moitié gagné car le cinéaste est plus happé par sa fascination et son don pour l’image qu’en empathie avec ses personnages. Son sens du rythme privilégie le « beat » du film à ses paroles, à l’image de la scène Coeur grenadine : rit-on avec François ou contre lui ? Ce qui convie le souvenir d’un génial échange dans Happiness de Todd Solondz :
« I’m not laughing at you, I’m laughing with you, dit la sœur ravissante et auréolée de succès à sa loseuse d’ainée.
– But, I’m not laughing ! rétorque celle-ci, effondrée.
Ceci dit, l’étonnant Karim Leklou donne une colonne vertébrale au film, lui insufflant ce qu’il faut d’humanité et d’universalité.
Une chose est sûre : Romain Gavras est un vrai cinéaste, et quand le « jour viendra » où il aura encore gagné en maturité, il dynamitera le cinéma français grand public, souvent trop timoré sur l’esthétique et bien-pensant sur les thèmes. Le talent et l’audace du jeune réalisateur sont indéniables ; un peu plus d’empathie avec ses protagonistes, un tout petit moins de prédilection pour le potache et le spectaculaire et hop ! sa bombe explosera.
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