Dans une mini-série de trois épisodes de vingt (petites) minutes, Camille Juza (déjà autrice du film L’Ecrivain et l’Assassin sur la genèse de L’Adversaire, le troublant roman d’Emmanuel Carrère, diffusé sur Arte en décembre dernier) décortique le mythe de l’hyper(?)-masculinité, de l’Antiquité à nos jours. Hasard du calendrier ou pas, la série est disponible depuis le 14 février sur la plateforme de la chaine Franco-Allemande, comme un pied de nez à la Saint Valentin.
A travers un enchainement de pastilles allant d’extraits de vidéos glanées sur les réseaux sociaux à des archives de l’INA, ponctué des commentaires d’intervenants, le propos se veut percussif. En cela, et malgré un rythme élevé, la volonté de l’autrice est d’avoir un discours qui soit le plus limpide possible.
La forme est donc dynamique et parfois simpliste tant le temps alloué à chaque idée est court. On pourrait justement regretter que certaines idées ne soient pas davantage développées, conflictualisées.
Sur le fond, l’angle d’approche se démarque à certains endroits des discours habituels. Par exemple, l’évolution des masculinités et virilités vu sous le prisme de la guerre se révèle très parlant : là où la femme ne peut contrôler le sang qui coule de sa culotte, l’homme fait couler son propre sang par son héroïsme à faire la guerre comme tout mâle qui se respecte (propos développé par Françoise Héritier dans son ouvrage « Le sang du guerrier et le sang des femmes, notes anthropologiques sur le rapport des sexes »).
Une double injonction est donc faite dès les prémices de notre civilisation : il s’agit de préparer les garçons à faire la guerre d’une part, et les filles à être l’objet d’un contrôle qu’elle sont incapables d’avoir sur leur propre corps et donc sur l’ensemble de leurs activités et de leur être.
Il est aussi question évidemment l’éternel couple passif-actif (procréation-filiation). Là où l’homme prend en main, domine, gouverne, la femme est objet de l’action de l’homme. La femme est pénétrée, l’homme la féconde. Elle est le berceau de l’enfant là où l’homme choisit de le porter par la reconnaissance de sa paternité.
A travers l’évolution du rapport à la guerre (la Première Guerre Mondiale et le Vietnam en particulier), l’imagerie cinématographique évolue, le modèle de virilité change. Comme en réaction aux multiples traumatismes, la réponse sociétale repose sur une réaction politique conservatrice : le modèle chevaleresque a été balayé par la mitraille dans les tranchés de Verdun ?
Les fascistes invoquent la figure du surhomme, demi-Dieu chez les Grecs, et appellent à plus de guerre encore. Le schéma se répète pendant l’ère Reagan aux Etats-Unis, dans laquelle se voit réhabilitée une figure héroïque alors même que la vague du Nouvel Hollywood, laquelle a livrée quelques chefs d’œuvres cathartiques sur le trauma de cette guerre de décolonisation, est tout juste passée.
Puis nous est conté la poursuite de cette histoire occidentale, en tant que modèle d’une « domination masculine » (comme le nomme Bourdieu puis Patric Jean dans un célèbre et magistral documentaire, traitant de mouvements masculinistes) comme modélisation de notre société et de ses domaines de domination.
Pour réussir, il faut être un homme, un vrai : dominant, réifiant la femme, subordonnant les racisés. Le modèle de la virilité est sans aucun doute l’homme blanc de classe sociale supérieure hétérosexuel.
Cette question, ce constat est celui de notre société actuelle, bien qu’en mutation. A l’heure où les valeurs virilistes se font d’une agressivité amplifiée par les réseaux sociaux et le contexte socio-politique, le message reste primordial. Il vient réaffirmer à quel point ces assignations du masculin mettent à mal hommes, femmes, non-binaires, d’autant plus s’ils sont racisés et/ou de classes sociales inférieures. Chacun est limité de manière rigide à ce qu’il doit être, en particulier ce poids du masculin, comme objet à vocation d’une domination qu’il impose aux autres.
Cette série documentaire utilise les armes de ses opposants : la rapidité, l’instantané, les formulations chocs et directes afin de toucher le plus grand nombre. Qu’est-ce être un homme aujourd’hui ? Comment se dégager de cette pression oppressante et oppressive ?
C’est donc un outil de sensibilisation, pédagogique, idéal pour ouvrir le dialogue. On peut imaginer des classes de collégiens ou de lycéens, des groupes de jeunes de quartier ou de protection de l’enfance accompagnés de professionnels. Pour des personnes en construction ou en marge de cette question, c’est un intéressant préliminaire favorisant l’échange et la discussion.
Le format et le propos permettent à ceux qui ne prendront pas deux heures consécutives pour regarder une émission ou un documentaire sur la question, a priori, d’accrocher quelque chose. Ce quelque chose sera peut-être – qui sait – l’amorce d’une prise de conscience d’enjeux de domination plus globaux.
In fine, l’outil est intéressant s’il est conçu comme un outil d’éducation populaire : accessible à tous, direct, ouvrant au débat, poussant à l’approfondissement.
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