Sorties de deux nouveaux titres en DVD dans la collection « Viva L’italia » de Tamasa. « Le dingo (Lo svitato) » (1956) de Carlo Lizzani avec Dario Fo, et « Boulevard de l’espérance (Viale della speranza) » (1953) de Dino Risi – avec Marcello Mastroianni, encore débutant, dans un second rôle important. Ce sont deux comédies italiennes de la première moitié des années 50, avec un fond populaire et social toujours issu du Néo-Réalisme. Elles amorcent le foisonnement créatif d’un « genre » (en fait très ouvert et diversifié) qui va finir de s’épanouir à l’approche de la décennie suivante.
Le premier titre tire vers le genre burlesque, tentant de composer avec Dario Fo – dans l’une des rares apparitions au cinéma du futur dramaturge et metteur en scène de théâtre – un nouveau personnage de pauvre diable excentrique, candide et rêveur, doté de ressources athlétiques improbables, mais tout autant, d’une indécrottable maladresse.
Le second, l’un des premiers films de Risi, reprend les ingrédients de la comédie sentimentale et du récit d’apprentissage, mais en les transportant à Cinecittà, le grand complexe cinématographique de Rome, dont il s’amuse à dresser une satire pittoresque, avec de vieux professeurs dramatiques qui en sont encore restés à l’art du mime, et des industriels qui s’improvisent producteurs, afin de mieux promouvoir la carrière d’actrice de leurs jeunes maîtresses.
Ces deux films ne sont pas aussi essentiels que certains grands titres de la collection (on pense évidemment aux deux films bien plus tardifs de Petri, au « Mafioso » de Lattuada, à « Séduite et abandonnés » de Germi…), mais ils restent des curiosités d’autant plus appréciables, qu’ils documentent un période de recherche intermédiaire comprise entre deux modernités, le Néo-Réalisme de l’après-guerre et l’avant-gardisme des années 60, et préfigurent l’avènement de la « grande comédie à l’italienne », détonante et satirique, dont Risi sera lui-même un représentant éminent. Il s’agit aussi de deux œuvres « de jeunesse » de la part des deux cinéastes : le quatrième long-métrage pour Lizzani, un réalisateur déjà assez aguerri ; et le deuxième film de fiction pour Risi, qui a derrière lui une production conséquente de courts-métrages.
« Lo svitato » traduit approximativement par « Le Dingo » (il n’y a pas d’équivalent littéral mais le titre français évacue la part de rêverie du personnage) est une œuvre atypique dans la carrière de Carlo Lizzani. Le réalisateur est d’abord connu pour avoir été l’assistant de Guiseppe De Santis sur « Riz Amer » en 1947, et de Roberto Rosselini sur « Allemagne année Zéro » en 1948. Lizzani fait partie des figures importantes du cinéma italien de cette période, assez méconnue ici, dont l’influence s’étend bien au-delà de sa filmographie grâce à ses ouvrages sur le cinéma, et l’histoire italienne, mais également pour son enseignement et ses prises de fonction au sein de festivals et d’institutions prestigieuses (le « Centro Sperimentale di Cinematografia », la Mostra de Venise…). Réalisateur engagé, inscrit dans la lignée du Néo-Réalisme, membre du parti communiste italien, Lizzani a souvent évoqué le fascisme et la résistance italienne à travers ses films de fiction historiques (de « Attention bandits ! » en 51 jusqu’aux « Derniers jours de Mussolini » en 73), mais il est également l’auteur d’une œuvre protéiforme (documentaire, films de télévision…), qui a emprunté de nombreuses fois les chemins du cinéma de genre : comédie, western, policier, voire film érotique.
« Lo svitato » est la première bifurcation de sa carrière en direction d’un cinéma de divertissement ; une réorientation qui serait redevable aux pressions politiques exercées sur le réalisateur (des « persécutions de nature maccarthiste » selon Gualterio De Santi, cité dans le livret du DVD). Le film vaut – outre la tentative d’un burlesque « à l’italienne » en cinéma parlant – pour la présence de Dario Fo, devant l’écran, mais également derrière, à l’écriture du scénario et à la mise en scène. Le célèbre dramaturge, qui deviendra en 1997 prix Nobel de Littérature, était alors au début de sa carrière : auteur et interprète de revue, à la radio, à la télévision, au cabaret, et en dernier lieu au cinéma pour une carrière très éphémère. Le physique dégingandé de Fo, qui interprète Achille à l’écran, reporter-coursier dans un journal à sensation, et sorte d’homme à tout faire, casse-cou candide plein d’effronterie et de fantaisie, évoque forcément, le son aidant, un Jacques Tati teinté de régionalisme italien. C’est aussi la réactualisation d’une bouffonnerie issue de la Commedia dell’arte, avec un surcroît d’extravagance et d’insolite dans les situations. Le récit garde encore une forme feuilletonesque, agglomérant avec plus ou moins de liaison et de réussite les épisodes incongrus, du concours de chiens de race jusqu’au championnat de baby-foot. On y sent la volonté de composer un personnage populaire qui aurait pu se prêter à de nombreuses suites si le succès populaire avait été au rendez-vous : un mixte de Charlot et Buster avec la sensibilité de Fo.
« Boulevard de l’espérance (Viale della speranza) » (1953) est aussi une œuvre des débuts, un peu plus accomplie, mais encore sage comparée à la verdeur comique ou grotesque des futurs films de Dino Risi, même si la verve bouffonne du cinéaste transparaît au détour de saynètes d’un mordant un peu plus satirique. Selon Jean A. Gili, le spécialiste du cinéma italien, qui signe une nouvelle fois les livrets de la collection, Risi reprend presque à l’identique le casting d’un film de Luciano Emmer, « Les fiancés de Rome » daté de 1952, dont il réalise une espèce de « sequel », en espérant sûrement, lui et les producteurs, prolonger l’engouement public du précédent film. Marcello Mastroianni n’y tient encore qu’un rôle périphérique (celui de Mario, un jeune technicien, opérateur de cinéma), car le récit se concentre sur les destinées de trois aspirantes actrices, venues à Cinecittà dans l’espoir de réaliser leurs rêves à l’instar de centaines d’autres, d’ascension artistique et sociale. Le film entremêle donc la chronique, des petites ou grandes désillusions, avec une satire assez douce du milieu professionnel, entre miroir aux alouettes et monde factice, sur fond d’intrigues sentimentales. Le typage des personnages est un mélange de convention et d’ironie comique : l’héroïne, Luisa (Cosetta Greco), une brave fille orpheline ; la vénéneuse Franca (Piera Simoni), une intrigante prête-à-tout pour entretenir son luxe ; et Guiditta (Liliana Bonfatti), une petite provinciale fraîchement débarquée, midinette un peu écervelée et drolatique, qui embrasse à pleine bouche le portrait d’Errol Flynn. Le film est également une suite d’épisodes, mais leur enchaînement est un plus alerte et mieux imbriqué que dans le précédent. La photographie noir et blanc, assez belle, se démarque aussi, et pour cause : Mario Bava en est l’auteur. « Boulevard de l’espérance », avec sa chronique comique en mi-teinte, rattrapée par un peu d’amertume, est déjà une réalisation assez solide et plaisante, bien qu’encore un peu empruntée et référentielle.
La qualité de l’image est assurément supérieure dans le second ; le film de Lizzani souffrant probablement, à la fois des défauts natifs de la copie pellicule, et d’un transfert, qui produit quelques effets d’ondulation dans les contours, ou de moirure dans les surfaces. Le jeu des contrastes noir et blanc est également beaucoup plus nuancé dans le film de Risi, aidé par une meilleure photographie initiale.
On notera en matière de suppléments la présence comme à l’accoutumée des livrets, toujours très informés, écrits par l’historien Jean A. Gili. « Boulevard de l’espérance » est en outre complété par un entretien filmé avec Dino Risi, réalisé récemment en 2006 par l’éditeur italien originel (Ripley’s Film), et retraçant l’itinéraire du cinéaste, des débuts jusqu’à ce film, pour se concentrer sur ce dernier, et évoquer la personnalité des collaborateurs impliqués.
Ces deux titres de la collection « Viva Italia » présentent un intérêt historique certain, autant pour les admirateurs de Lizzani et de Fo, que pour ceux de Risi et de Mastroianni, tous quatre saisis dans le charme de leurs premières années artistiques.
Les films sont disponibles depuis le 5 mai 2015
chez Tamasa Diffusion
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