Godha, un mystérieux voyeur caché dans le grenier d’une pension observe des couples qui s’essayent à différentes déviances érotiques et sexuelles…

On ne le dira jamais assez, le cinéma érotique nippon, si particulier et unique, regorge de milliers d’œuvres que l’on ne cesse de découvrir pour peu que l’on accepte de se perdre dans les méandres d’une production aussi dense que difficilement visible chez nous. Une bonne nouvelle donc qu’après la collection roman porno Wild Side stoppée en plein élan, Luminor associé à Zootrope Films ressorte les luxueux double-programmes anciennement édités par Cinémalta, et éditent des films jusqu’à présent inédits en France comme cette pépite qu’est La Maison des perversités de Noboru Tanaka.

Noboru Tanaka appartient aux véritables auteurs reconnus de ce genre. D’abord assistant de Shohei Imamura et de Seijun Suzuki, il passe à la réalisation lorsque la Nikkatsu, alors en pleine difficulté financière, se lance dans le cinéma pink. Il signe Beads From a Petal (Kaben no shizuku) en 1972, début d’une longue carrière qui culminera avec la trilogie composée de Bondage, La Maison des perversités et La Véritable histoire d’Abe Sada. Réalisés entre 1975 et 1977, ces trois oeuvres constituent la trilogie Showa, qui se définit par l’époque où se situe le récit : les années 20.

Dès les premiers instants, avant même le générique, La Maison des perversités affiche cette idée passionnante de nous offrir le point de vue d’un étrange voyeur qui observe les ébats des clients d’un hôtel, pour le moins bizarres. Après un regard caméra, il n’est plus de doute possible : le spectateur et le voyeur ne font qu’un. Mais loin des altercations culpabilisantes de Haneke dans son Funny Games, Noboru Tanaka va rajouter une certaine ambiguïté lorsqu’une jeune femme tentera de séduire cet homme en s’offrant à sa vue. Là encore, l’analogie avec une projection de cinéma est évidente, soulignée par de nombreux détails. Ainsi, à plusieurs reprises, le voyeur observe la lumière, des rais de lumière venant frapper sa main ou partant de derrière son dos, à l’instar d’un projecteur nous offrant nos vingt-quatre mensonges par seconde.

Sous couvert d’un film d’exploitation, Noboru Tanaka affirme haut et fort sa propre définition du cinéma : art voyeur, art-fantasme par excellence. Tout est alors possible, que ce soit grotesque et surréaliste (le fétichisme du costume de clown), érotique (les nombreux et sublimes actes sexuels), transgressif (le meurtre), mais toujours fascinant. Le voyeur-spectateur va se prendre à ce jeu auquel il ne peut pas participer, et qui n’est que mise en scène, comme ces jeux de rôles auxquels participent les amants.

Noboru Tanaka adapte avec intelligence Edogawa Rampo, auteur célèbre de l’érotisme nippon, en créant de vraies interrogations cinématographiques. Mais il n’oublie pas le sous-texte politique évident, critique d’une bourgeoisie en déliquescence, prise dans l’ennui et la frustration, que la caméra vient observer en silence pour mieux la radiographier. A ce titre, la figure du prêtre défroqué et lubrique est aussi féroce que symptomatique de ce malaise social qui plane sur La Maison des perversités.

Watcher in the Attic_1976_002

Enfin, il serait injuste de ne pas signaler le grand soin porté au cadrage et à la mise en scène. Non seulement elle accentue l’aspect cinématographique et politique, mais elle offre aussi un spectacle érotique – ce qui est sa fonction première, film d’exploitation oblige, – dont la narration s’épuisera quelque peu sur la longueur en terme de rythme, mais qui ne sera pas exempt de sommets charnels, transcendés par un cadrage juste et précis, atteignant systématiquement le plaisir du regard (là encore au centre des enjeux de l’auteur), à grand renfort de lumière ouatée venant caresser le sublime corps de Junko Miyashita.

Noboru Tanaka signe avec La Maison des perversités une véritable réflexion sur le fantasme et le regard, dans la continuité des obsessions de Alfred Hitchcock, Michael Powell et Michael Haneke. Un petit miracle, trace d’un vrai cinéaste qui questionne son propre statut, celui du spectateur et de son art, de ses possibilités et de ses paradoxes.

La Maison des perversités (Edogawa Ranpo ryôki-kan: Yaneura no sanposha/Watcher in the attic) (Japon, 1976)

DVD édité par Luminor

Une première version de cet article a été précédemment publiée sur 1kult

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