Abel Ferrara – "Chelsea Hotel" (DVD)

Absent des écrans de cinéma depuis Mary en 2005 (Go Go Tales est resté inédit en France), Abel Ferrara a amorcé un récent virage dans le documentaire. Le premier des trois qu’il a déjà réalisé, Chelsea on the Rocks, sort ainsi mercredi prochain en DVD chez Wild Side, sous le titre Chelsea Hotel. De quoi remettre le cinéaste dans l’actualité, quand bien même cet opus s’avère très mineur dans la filmographie du new-yorkais.

Copyright Wild Side

Sans doute prisonnier d’une certaine difficulté à monter ses projets plus narratifs, Ferrara tente ici d’explorer un genre nouveau pour lui, tout en gardant à l’évidence un pied dans la fiction : son film va ainsi mixer témoignages, images d’archives, instants sur le vif où lui-même et l’équipe peut intervenir, et scénettes de reconstitution. Le Chelsea Hotel, lieu mythique du New-York artistique et bohème, se prête à priori tout particulièrement à l’univers d’Abel Ferrara qui n’a pas son pareil à filmer l’abandon de soi, l’errance et la dissolution des frontières avec le réel. Chargé de fantômes légendaires, d’une énergie de liberté assez puissante aussi, le Chelsea Hotel est un lieu qui s’est également progressivement chargé de mélancolie, pour ne pas dire d’une sérieuse gueule de bois. Le cinéaste réalise sen effet son film au moment même où de nouveaux actionnaires tentent d’en donner une image plus aseptisée d’hôtel à haut standing.
Située dans un tel moment charnière, on aurait pu attendre de cette œuvre qu’elle saisisse au vol des émotions et des sensations plus troublantes. Malheureusement, Chelsea on the Rocks est un essai peu abouti, virant dans l’anecdotique. Ferrara est parfois critiqué pour un certain manque de rigueur, et si le tâtonnement et l’improvisation ont leurs vertus, beaucoup de tentatives tombent ici à plat. Tout d’abord au niveau du montage très lâche qui semble avoir du mal à se trouver une ligne directrice convenable, les éléments externes intervenant au petit bonheur la chance et les interviews inégales se succédant souvent platement.
Comme s’il s’était dit que le lieu lui-même et ses habitants seraient suffisamment chargés en énergie pour conduire un long-métrage de 90 minutes, Ferrara nous laisse sur un sentiment de paresse et d’implication aléatoire. Les abus d’inserts, de plans des couloirs et de zooms saccadés dans les cages d’escaliers s’avèrent rapidement répétitifs, et il se dégage une sensation lasse de toutes ces interventions. Le Chelsea Hotel est hors du temps, en mutation, mais la mise en image de Ferrara ne dégage souvent qu’un vague ennui, passant en particulier à côté de son évocation du 11 septembre, ou de l’interrogation de la fièvre artistique à l’œuvre dans le bâtiment. Ce n’est pourtant pas les toiles qui manquent dans le décor, ni leur statut ambigu quand à leur exploitation par la gérance même de l’immeuble…

Si le mixage des images d’archives est assez anodin, en revanche la dimension la plus ratée du film appartient sans conteste aux séquences de reconstitution qui ne trouvent jamais leur place ici. Photographiés et montés de manière à se fondre dans l’aspect « documentaire » de l’ensemble, ces passages apparaissent malheureusement comme trop factices, faisant plonger le film dans le docu-drama cheap. La « reconstitution » de la fin dramatique du couple formé par Sid Vicious et Nancy Spugen  peine ainsi à trouver sa place dans l’ensemble, ne faisant de ce moment emblématique du lieu qu’une mauvaise pièce underground improvisée, où errent Bijou Philips et Adam Goldberg. D’autres passages de fiction très illustratifs s’intercalent, dont le seul intérêt se résume à l’apparition curieuse de Grace Jones en « woman next door »…
Heureusement, Chelsea ont the Rocks n’est pas non plus un total loupé, quelques beaux moments inspirés parviennent malgré tout à rehausser le niveau. La meilleure partie revient sans doute aux passages mettant en scène le légendaire gérant Stanley Bard, ici en train de perdre le contrôle de son hôtel, mais dont le débit de parole en fait encore un authentique artisan de la mythologie du lieu… Son échange avec un Milos Forman en pèlerinage (il vécut au Chelsea à la fin du tournage de Taking Off ) nous vaut une confrontation de souvenirs et de légendes qui mérite à elle seule la vision du film. Ferrara ne s’y trompe pas puisqu’il finit par se joindre physiquement aux deux hommes et accorde à ce passage une place centrale très importante dans son montage final. Si d’autres rencontres sont intéressantes (bien que trop fugaces), Ethan Hawke exécutant un morceau qu’il a lui-même écrit dans sa chambre du Chelsea Hotel est une manière de clore l’ensemble sur une bonne note.
Le Chelsea semble tout de même porter la poisse au cinéma, puisqu’on se souviendra que c’est là que le même Ethan Hawke a signé ses très décriés débuts de réalisateur avec Chelsea Walls en 2000 (encore un film inédit en France d’ailleurs)… De Ferrara on attendra quand même ses deux prochains essais dans le genre (Napoli, Napoli, Napoli et Mulbery St.) histoire de voir s’il y aura eu des évolutions dans ces expérimentations et intuitions. La courte interview proposée en supplément par Wild Side nous le montre d’ailleurs un minimum lucide sur son travail qu’il juge un peu inachevé (sans qu’il n’en fasse un défaut, certes). Chelsea on the Rocks apparaît à son écoute comme un film très improvisé. Ferrara condamne dans ses propos toute « scénarisation » du documentaire, tout en se montrant intéressé par le fait d’y injecter la fiction dont il vient à la base.  L’entretien nous apprend aussi comment Ferrara a dû lui-même composer sa bande originale en interne, ne pouvant se payer le luxe des droits de plusieurs titres…
 
Sortie en DVD le 4 mai 2011

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A propos de Guillaume BRYON-CARAËS

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