Jusqu’où peut-on filmer l’innommable ? Peut-on aborder les sujets les plus tabous, comme la pédophilie et les atrocités nazies pour en faire sa matière créative et la mener vers les chemins de son propre imaginaire ? Eternel et houleux débat qui met en balance conscience morale et conscience artistique. Pourtant, le courage de briser les interdits au nom de l’Art ne peut-il pas être apparenté à un acte politique lorsque l’auteur sublime la métamorphose ?
In A Glass Cage fait donc partie de ces œuvres limites qui ébranlent à la fois par leur force et le malaise qu’elles suscitent. Enfermé dans un coffret à oxygène qui ressemble à un cercueil de verre, Klaus, un vieil homme rumine ses crimes gardés par sa femme et sa petite fille, dans une grande villa isolée. Ancien nazi qui faisait des expériences sur les enfants dans les camps d’extermination pendant la guerre, il continua ses crimes pédophiles, avant de tenter de se suicider, le laissant impotent à vie. Jusqu’au jour où vient frapper Angelo, un étrange jeune homme se faisant passer pour un infirmier. Il va s’occuper de lui mais d’une toute autre manière. Celui qui le connût petit garçon et fut son objet sexuel, est bien décidé à se venger. S’instaure pourtant entre les deux une bien étrange relation où le bourreau n’est plus forcément celui qu’on croit et où le vieux tortionnaire se voit obliger de raconter avec dans moindre de détails, comment il opérait dans les camps : la souffrance, l’agonie, le viol. Ce n’est que le début d’une oeuvre terrible et suffocante, qui ébranle, révulse et fascine. Villaronga, ne se pose jamais comme historien mais comme un auteur qui crée, modèle avec les crimes de l’Histoire. Si le rapport à l’horreur taboue et les choix de représentation rappellent forcément le Salo de Pasolini, lui ne fait pas dans le métaphysique ou le politique mais préfère utiliser l’atrocité du réel pour concevoir un conte cruel et séminal, distiller son Romantisme très noir, un univers de poésie délétère qui exploite tout ce que peut recouvrir le terme « transgression ». De fait, avec ses « monstres » et ses meurtres, ses enlèvements In a Glass Cage a tout du roman gothique des XVIIIe et XIXe siècle.
En guise de sombre château, cette immense et étouffante villa presque déserte nous conduit dans ses escaliers ; elle piège ses protaganistes en huis-clôt. Dans ce lieu de mort et de décadence les grillages qu’installe Angelo – comme une réminiscence des barbelés des camps – viennent remplacer les traditionnelles toiles d’araignées. Et qu’est-ce que ce coffret vitré sinon une variante du cercueil renfermant ce vieux vampire qui se consume si on l’en sort ? Quelque soit la répulsion qu’il puisse provoquer, In a Glass Cage est un formidable film d’épouvante qui n’est pas sans rappeler dans son approche du genre et sa perversité, l’œuvre de Narciso Ibáñez Serrador. Qu’on se souvienne du génial La Résidence, de son atmosphère trouble, gothique et de rapports de domination dont seul le cinéma espagnol post-franquiste est capable. Nul autre équivalent pour explorer la psyché des personnages, le labyrinthe des passions, et installer une insoutenable tension entre eux.
In a Glass Cage met en jeu de multiples fascinations. la fascination homosexuelle se confond à celle qui relie la victime à son bourreau, d’abord proche du syndrome de Stockholm avant de se muer en processus d’épidémie, comme si le Mal était passé en l’autre, l’avait vampirisé. C’est également celle de la petite fille pour ce jeune homme dont elle pressent la monstruosité mais qui l’attire irrésistiblement. Tout dans In a Glass Cage semble opérer par effets de miroir et de passation, tel un fluide circulant de corps en corps.
In glass cage opère une variation sur la contamination qui finit pas confondre victime et bourreau, tel un échange insoutenable. « Tu n’es plus un enfant » gémit l’ex-tortionnaire. « Non, c’est toi l’enfant désormais » répond Angelo, ange exterminateur semblable aux troubles éphèbes pasoliniens. Et c’est à nouveau à Serrador, mais Who can killed a child que nous renvoie cette idée de transmission. Serrador en effet y racontait également combien la destruction des enfants au fil de l’Histoire avait pu les rendre fous au point d’en faire des petits criminels s’amusant avec les adultes. Il s’agit bien dans In a Glass Cage du même processus d’innocence bafouée, détruite qui transforme la pureté en malfaisance. Oui, quel sacrilège de faire du mal à un enfant. L’accomplissement de cet acte ouvre donc la porte à tous les sévices. L’enfant devenu fou peut s’accomplir dans la monstruosité. Villaronga s’est d’ailleurs probablement souvenu du générique du film de Serrador, lorsqu’il reprend de manière similaire pour le sien des photos d’archives, pour rappeler l’horreur des exactions.
In a glass Cage courtise en effet le vide et l’interdit avec une grande force, mais questionne où peuvent se situer les limites du montrable. La violence graphique du film est évidente. Elle y est présente, et suffocante, mais suffisamment subtilement pour ne pas sombrer dans le grotesque ou le gore, ce qui ne fait qu’accentuer le malaise. Tout y est esthétiquement d’une élégance absolue. La photo plonge dans un bleu hypnotique, dans lequel vient éclater le rouge primaire des étoffes et du sang. Aussi le cinéaste pénètre dans la folie au clair obscur des visages et des corps nus qui émergent des ténèbres. La musique hantée et sourde de Javier Navarette accentue l’oppression, menant comme marche funèbre ce film à la logique implacable.
L’ombre de Sade et de Bataille se disperse dans Prison de Cristal, qui relie sexe et cruauté avec une frontalité estomaquante. Agustí Villaronga ne s’en cache d’ailleurs absolument pas la forte impression que lui fit l’essai de Georges Bataille sur Gilles de Rais au point d’être à l’origine de son scénario, et de provoquer se désir de travailler sur la monstruosité, le gouffre, l’autre côté. Difficile en effet de ne pas voir des similitudes entre cet ex pédocriminel nazi et ce chevalier et seigneur de Bretagne, d’Anjou et du Poitou au XVe siècle ex-compagnon de Jeanne D’Arc avant de devenir ce tueur et violeur de centaines d’enfants, prenant plaisir à leur torture. Agustí Villaronga puise dans les légendes noires de l’Histoire, ceux qui inspirèrent les grands mythes fantastiques, puis le cinéma, de la Comtesse Bathory à celui qu’on appela le vampire de Düsseldorf, Peter Kürten ce tueur d’enfants qui donna naissance à M. Le Maudit. Plus l’Histoire s’éloigne chronologiquement – le traumatisme originel s’évanouissant progressivement – plus elle est autorisée à nourrir la vigueur de l’imaginaire. La force du cinéma de Villaronga, tient à ce choix d’entremêler l’Art fantastique avec une période dont le souvenir atroce continue à poursuivre les esprits, et pas seulement ceux des survivants. Le cinéaste se précipite – et nous avec – dans son sujet, sans l’estomper, avec un vrai souci de réflexion autour de l’image de la mort et du charnel, entremêlés, couple maudit tenant dans leur main la même fleur du Mal.
Le transfert proposé par Cult Epics pour le Blu-Ray est splendide rendant totalement justice à la photo de Jaume Peracaula qui nous aspire dans le bleu du cauchemar. Parmi les suppléments, l’entretien avec le réalisateur est très éclairant quant à l’univers qu’il échafaude de film en film. Il explique notamment combien il est fasciné par l’enfance et l’innocence bafouée, un thème qui se retrouve au fil de ses oeuvres, jusqu’à Pain Noir comme nous le prouvent quelques extraits. Il revient sur plusieurs de ses films et rappelle par exemple sa rencontre avec Lisa Gerrard, chanteuse du groupe Dead Can Dance, qui incarna l’un des rôles principaux de son très étrange L’enfant de la lune. Enfin pour In a Glass Cage, il est évidemment très intéressant de l’entendre parler des tableaux de Paul Delvaux dans lequel il puise ses teintes et son ambiance, ainsi que de sa fascination pour Bataille et l’histoire de Gilles de Rais, principale source d’inspiration du film pour le faire basculer ainsi du côté du Mal. Le questions /réponses qui suit avec le public est assez intéressant, bien qu’un peu redondant par rapport à l’entretien. Suivent trois courts métrages (Anta Mujer – 1976, Laberint – 1980 et Al Mayuraca – 1980) explorant la première veine du cinéaste, plus expérimentale, sortes de rêveries autour des mythes, d’œuvres collages où interviennent parfois d’étranges chorégraphie. Si l’on perçoit déjà son intérêt pour le charnel, elles constituent plus des curiosités que de vraies réussites.
In a Glass Cage (Espagne, 1987) d’Agustí Villaronga avec Günter Meisner, David Sust, Marisa Paredes. Espagnol sous-titré anglais.
Blu Ray Edité par Cult Epics.
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