Depuis quelques mois, on constate un regain d’intérêt pour les travaux d’Alan Parker : réédition l’an passé des Cendres d’Angela (Elephant Films), ressortie en salles puis nouvelle édition vidéo pour Angel Heart (Carlotta/StudioCanal). Au tour maintenant de Mississippi Burning de faire peau neuve. Désormais disponible en haute-définition (Blu-Ray et édition collector 2DVD chez L’Atelier d’images), le long-métrage fera prochainement son retour sur grand-écran en copie restaurée (Les Acacias). Resituons brièvement le contexte, en 1989, deux ans après l’échec commercial et les controverses suscitées par son polar surnaturel, Alan Parker revenait à un cinéma plus engagé déjà éprouvé à l’occasion de Birdy. S’il délaissait le fantastique, il prolongeait l’idée de descente aux enfers, ici plus symbolique mais aussi plus effrayante car réelle, en plongeant personnages et spectateurs au cœur d’une Amérique sudiste raciste, ségrégationniste, où le Ku Klux Klan attise les haines et la violence. En 1974, un autre réalisateur britannique, Terrence Young, qui signait au passage l’un de ses meilleurs films, dépeignait frontalement dans le dérangeant L’Homme du Clan, les exactions d’un KKK. On constate ainsi que les cinéastes étrangers se sont révélés plus enclins à aborder de manière critique (comprendre, sans prendre de gants) ces questions et problématiques aussi graves que persistantes. Cela traduirait-il la frilosité ou le blocage d’un cinéma américain (d’une nation ?) pourtant réactif lorsqu’il s’agit d’aborder via le 7ème art sa propre histoire ? Toujours est-il qu’il faudra ensuite attendre 2018 pour qu’un artiste natif du pays de l’oncle Sam ne s’en charge ouvertement. En l’occurrence, un Spike Lee revenu à son meilleur niveau pour détruire la sinistre organisation de l’intérieur avec le jubilatoire et glaçant BlackKklansmann. Différence notable, le changement d’époque et surtout de contexte, à l’heure où Donald Trump ravive ardemment les tensions raciales au sein d’une patrie divisée de l’intérieur. Revenons maintenant dans les années 80. Avec Mississippi Burning, le réalisateur de Midnight Express continuait ainsi à arpenter le sud des États-Unis avec sa caméra et faisait de l’un des sujets très secondaires (jamais théorisé en tant qu’enjeu narratif ou thématique) de son œuvre précédente, la condition des populations afro-américaines, un point central de sa nouvelle réalisation. Basé sur un scénario de Chris Gérolmo, le film relate vingt-cinq ans après un terrible fait divers survenu en 1964. L’assassinat dans l’État du Mississippi de trois militants d’un comité de défense des droits civiques venus inciter la communauté noire à s’inscrire sur les listes électorales lors de la campagne du Freedom Summer. Deux agents du FBI, Ward (Willem Dafoe) et Anderson (Gene Hackman), aux méthodes opposées mais complémentaires sont chargés de l’enquête. Très vite leurs investigations dérangent et des violences sur fond de racisme éclatent alors dans cette ville où le Klu Klux Klan est puissant et implanté…
Le premier plan, deux fontaines « white » et « colored » séparées par un tuyau, outre sa signification évidente annonce une logique duelle autour de laquelle le scénario et la réalisation vont se répondre. Peinture d’une Amérique scindée, Mississippi Burning se construit sur la notion d’affrontement, de conflit : Nord/Sud, Blancs/Noirs, Jour/Nuit, FBI/Police locale,… Il est par exemple intéressant d’observer la répartition des couleurs à l’intérieur du cadre lors de l’interpellation inaugurale des trois militants. La photographie résolument sombre est légèrement transpercée par des sources de lumières apparentes et mouvantes (lampes de poches, phares). Illustration d’un état dominé par la terreur, inégalitaire et injuste. Cinéaste pratiquant l’art de la synthèse, quitte à délaisser la profondeur (ou faire dans le superficiel), quitte à laisser passer des raccourcis tendancieux (Midnight Express et son portrait peu flatteur pour ne pas dire xénophobe de la Turquie), Alan Parker parvient pourtant ici à faire de ce schématisme un atout, cinématographiquement parlant. Investigation haletante sur fond de crimes raciaux, la dénonciation échappe au didactisme pur grâce à un souci d’efficacité jamais mis en suspens. Le caractère spectaculaire de certaines images (maisons en feu, lynchages, passages à tabac) qui a pu être reproché, a pour vertu non seulement d’impacter mais aussi de durablement hanter, pendant et après le visionnage. Si la peinture quasi uniforme d’une population blanche (voir les réactions des locaux à mesure que l’enquête devient une affaire d’état) haineuse, repliée sur soi, complaisamment entretenue dans ses préjugés par des pouvoirs publics complices (passifs ou actifs) peut interpeller (autant que faire froid dans le dos), le réalisateur a paradoxalement du affronter les critiques de deux camps adverses. Il fut violemment pointé du doigt par les leaders Noirs et la gauche libérale, l’accusant de déformer les faits, ou du moins les simplifier avantageusement. En cause, la présentation des Noirs en tant que victimes passives (tandis qu’ils militaient activement au péril de leur vie) et du FBI tel leur protecteur (alors qu’il considérait les leader de mouvements comme des éléments subversifs). Reproches factuellement légitimes, auxquels s’opposent en guise de réponse des nuances discrètes mais bien présentes.
À travers son duo d’agents, symboles d’une ancienne et d’une nouvelle génération, sont représentées deux approches de la justice. D’un côté l’idéaliste Ward, respectueux des protocoles, propre sur lui et encore peu expérimenté, de l’autre, Anderson, parfaitement rodé et rompu à des méthodes plus dissuasives. Deux figures archétypales dont l’évolution vient traduire, une certaine idée du prix à payer pour rétablir la justice au sein d’un état corrompu. L’impossibilité de rester droit, l’obligation de se salir les mains (au sens propre et figuré, voir par exemple la scène du « rasage »), rappellent une fois de plus aux dures réalités d’une nation née dans la violence. Anderson (Gene Hackman, plus proche de son rôle dans French Connection que celui de Conversation Secrète), d’abord introduit, comme un personnage peu subtil, moins concerné que son collègue, presque complaisant, celui-ci se révèle bien plus attachant et profond qu’à la première impression. Ancien shérif dans le Mississippi, un état qu’il a quitté depuis longtemps (on lui rappellera qu’il ne fait désormais plus partie de la communauté), se dévoile un homme au passé douloureux, ayant vu l’horreur de trop près, ayant trop vécu avec pour croire au changement en douceur, se bercer d’illusion. Au cours du récit, il croise la route de Mrs. Pell (Frances McDormand, évidemment formidable) femme cultivée et tolérante pourtant l’épouse loyale de l’un des assassins. Entre eux, se tisse une relation étrange où apparaît le spectre d’un amour rendu impossible en raison de choix antérieurs difficile à défaire. On observe alors en arrière-plan la naissance de sentiments, d’autant plus beaux et inattendus qu’exprimés au cœur de la haine. Le long-métrage trahit ainsi courtement son programme par ailleurs parfaitement tenu sur le plan du cinéma pur, pour aller vers une émotion moins convenu mais tout aussi forte. Percutant et toujours d’actualité, Mississippi Burning s’impose durablement comme l’un des meilleurs films d’Alan Parker.
20 ans ou presque après son unique édition DVD française, ce nouveau master arrive à point nommé. Atout évident, une image à la netteté retrouvée, détail d’autant plus précieux lors des séquences nocturnes, qui gagnent ainsi en contraste. Passé ces considérations techniques, le métrage s’accompagne de plus d’une heure de suppléments. On trouve pas moins de deux entretiens (récents) avec le réalisateur, l’un quelque peu générique, surtout en comparaison au second, À travers la tempête, très complet. Dans ce document, Alan Parker revient généreusement en détails, de manière calme et réfléchie, sur ses travaux de réécriture, le tournage jusqu’à la réception du film et les polémiques qu’il a pu susciter. À noter qu’un commentaire audio du cinéaste est proposé, mais sans sous-titres français. Intéressant également, une entrevue avec Chris Gerolmo, le scénariste, qui évoque notamment la genèse de son script. Un entretien avec Willem Dafoe, un document d’archives sur les coulisses du tournage et la bande-annonce viennent compléter la catégorie bonus.
Disponible en Blu-Ray et Double DVD chez L’Atelier d’Images.
Reprise en salles prochainement (initialement prévue le 25 mars), distribution Les Acacias.
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