Alberto Cavalcanti – « They made me a fugitive » (Je suis un fugitif)

Dans le Londres d’après-guerre, une entreprise de pompes funèbres sert de couverture à des malfrats qui se livrent à des trafics en tous genres. La bande, menée par Narcy (Trevor Jones), est bientôt rejointe par Clem (Trevord Howard) un ancien pilote de la RAF lequel, refusant de s’assoir sur tous ses principes, finit par déplaire. Narcy manigance afin de le faire accuser du meurtre d’un policier ; Clem parvient à s’évader et prépare sa vengeance.

Trevor Howard dans le rôle de Clem. © Powerhouse films

Je suis un fugitif est l’histoire d’un faux coupable, ou plutôt d’un homme coupable de s’être livré à la criminalité, mais innocent du meurtre dont on l’accuse. Le titre français semble renvoyer à Je suis un évadé, film de 1932 de Melvyn LeRoy où Paul Muni, ancien soldat de la Première Guerre mondiale, incapable de se réadapter, s’évadait de prison. Mais Je suis un fugitif n’a rien d’un film d’évasion, celle-ci étant d’ailleurs traitée par une ellipse. Auteur d’une importante œuvre documentaire, le cinéaste brésilien Alberto Cavalcanti semble plus intéressé par l’atmosphère de son film, réaliste et d’une rare noirceur, à tel point qu’il est surprenant de constater que le scénariste, Noel Langley, avait aussi œuvré sur Le Magicien d’Oz. Car Je suis un fugitif étonne par sa violence. Trevord Howard, truand, amoral, témoignant d’un parfait sadisme envers les femmes, rappelle les grands psychopathes du noir, du James Cagney de L’Ennemi Public au Richard Conte d’Association Criminelle. Le héros, pour sa part, est très sombre et n’attire guère la sympathie. Quant à la petite amie de Narcy, Sally Gray, que l’on imagine un temps camper un personnage de femme fatale, elle s’avère assez vite désarmée ; voilà, en somme, une belle galerie d’anti-héros et le film n’offre guère de répit au spectateur, si ce n’est un certain humour noir. Au contraire, il recèle une vision très noire du monde, où chacun cherche à se servir de l’autre ; ainsi cette scène où Clem, après s’être évadé, trouve par hasard refuge chez une femme qui, après l’avoir nourri, propose de lui céder un revolver contre le meurtre de son mari.

Au premier plan à gauche, Griffith Jones dans le rôle de l’ignoble Narcy et à droite, la belle Sally Gray (Sally). © Powerhouse films

Je suis un fugitif, sorti en 1947, est un spiv, sous-genre du British Noir prenant place dans le monde des trafics et du marché noir de l’après-guerre anglais. Ici, ce sont des cercueils qui servent à convoyer, non pas la pénicilline frelatée du Troisième Homme de Carol Reed, mais de la cocaïne, substance rarement exposée aussi frontalement dans le film noir. Autre curiosité, l’affrontement final qui a lieu au sein de l’entreprise de pompes funèbres. Un angelot en stuc, un squelette accolé à une horloge, un lent travelling qui pénètre les lieux, un cadre qui s’effondre avec fracas, un truand s’est caché dans un cercueil, un toit où les antagonistes s’affrontent autour d’un enseigne « R.I.P. », un panneau qui indique une chapelle ; tout cela a des airs de cimetière et l’on se croirait, un instant, dans un film gothique italien, un Bava période Masque du Démon, ou une œuvre de la Hammer. Le film étonne aussi par sa mise en scène, la qualité de ses cadrages, quelques angles et surimpressions surprenants, ou la beauté de sa lumière, signée Otto Heller. On songe à Anthony Mann pour le réalisme, à Jules Dassin pour un certain lyrisme ou encore à Joseph H. Lewis pour la cruauté, puis on finit par se dire que ce film ne ressemble, en fait, qu’à lui-même. Cavalcanti a tourné là un excellent film noir, mais avec une sensibilité latine.

La copie restaurée en 2K par le British Film Institute est d’une toute beauté. Parmi les suppléments proposés « The John Player Lecture with Alberto Cavalcanti » (1970, 62 mins) est un enregistrement audio d’archives au London’s National Film Theatre ou intervient Calvacanti, ainsi qu’une séance de questions-réponses avec d’autres cinéastes Michael Balcon, Paul Rotha et Basil Wrig. L’auteur et historien du cinéma Neil Sinyard s’exprime sur le film dans « After Effects » (2019, 29 mins). Comme son titre l’indique « About the restoration » (2019, 14 mins) permet dans s’avoir plus sur le processus de restauration du film. Enfin deux documents mettant en scène Trevor Howard nous sont proposés : son premier film connu « Squaring the Circle » (1941, 33 minutes) évoque l’entrainement de la Royal Air Force ; « The Aircraft Rocket » (1944, 9 min) est un extrait d’un film technique en plusieurs parties de la RAF avec l’acteur. Pour terminer, l’habituelle galerie photos promotionnelles un livret très complet comprenant une analyse de Nathalie Morris, un article d’Anthony Nield sur les films de guerre de Trevor Howard, des extraits de Cavalcanti’s Film and Reality, un article de 1970 sur Cavalcanti de Geoffrey Minish, et un choix d’extraits critiques de l’époque.

 

Combo Blu-Ray / DVD édité par Powerhouse films
Les films possèdent des sous-titres en anglais uniquement.

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A propos de Pierre-Julien Marest

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