Cinéaste touche-à-tout, à l’aise dans la plupart des genres alors à la mode dans le cinéma transalpin, Alberto De Martino a donné ses lettres de noblesse à l’exploitation la plus opportuniste. Après avoir relu à sa sauce L’Exorciste, avec le curieusement réussi L’Antéchrist, et avant de toucher le fond avec son improbable rip-off de Superman, L’Incroyable homme puma en 1980, le réalisateur s’empare d’un autre succès du cinéma américain : La Malédiction de Richard Donner, sorti en 1976. Il en résulte Holocaust 2000, adaptation moderne de l’Apocalypse selon Saint-Jean par Sergio Donati (déjà à la plume sur Le Conseiller, mais aussi scénariste régulier de Sergio Leone ou Sergio Sollima). Coproduction britannico-Italienne, le film affiche un budget plus conséquent que les projets précédents du metteur en scène, et peut compter sur un casting haut de gamme comprenant l’Anglais Simon Ward, Agostina Belli (Parfum de femme, La Carrière d’une femme de chambre) et rien de moins qu’une légende hollywoodienne, en la personne de Kirk Douglas. Robert Caine (Douglas, donc), un riche homme d’affaires, se rend sur un site du Moyen-Orient où il décide de créer un réacteur nucléaire assez puissant pour alimenter en énergie électrique toute la planète. Là-bas, il découvre une grotte enfouie sous les sables, sur les murs de laquelle sont inscrits d’étranges dessins… Déjà aux manettes sur la ressortie de L’Antéchrist, Le Chat qui Fume propose désormais ce long-métrage de 1977 en Blu-Ray dans un nouveau master HD.
Sous ses atours de série B peu subtile (l’un des personnages s’appelle Angel), qui comprend son lot de rebondissements tirés par les cheveux, voire grotesques (le message à décoder) et de méchants caricaturaux, Holocaust 2000 (le titre racoleur annonce la couleur) s’avère bien plus surprenant qu’il n’y paraît. Loin de la science-fiction post-apocalyptique promise par l’affiche, on se retrouve face à un exemple rare de suspense « pré-apocalyptique », angoissant et mystique. Il est amusant de constater les nombreuses similitudes entre ce dernier et Furie qui sortira sur les écrans l’année suivante. Même acteur principal, même relation paternelle contrariée, où le fils devient une menace (des choix de projets peut-être pas si anodins, au moment où Michael Douglas entame une carrière à succès) et surtout un même ancrage géopolitique. Comme le thriller de De Palma, le long-métrage débute au Moyen-Orient, dans un pays qui n’est jamais nommé mais clairement représenté comme étant Israël. Ici, la figure de l’État Hébreu recèle une double lecture, d’abord biblique et civilisationnelle, en tant que région qui concentre les trois religions du Livre, mais aussi politique, perçu comme berceau de la discorde, à une période où les guerres contre les pays arabes font rage. Le danger pour l’humanité que représente cette centrale nucléaire fictive fait donc écho à un chaos bien réel, susceptible de déstabiliser l’équilibre mondial. Caine est présenté comme un businessman arrogant et arriviste, bien loin de ces considérations, souhaitant uniquement faire fructifier ses affaires sous couvert d’humanisme et d’aide au tiers-monde. Non-croyant, il confie qu’il n’a foi qu’en un bon cigare et un vieux cognac, puis il doute, et bascule peu à peu dans une obsession de l’Armaguedon, quitte à devenir dangereux pour ses proches. Individu assez détaché, loin d’être un père exemplaire, il voit sa carapace se fêler lorsqu’il avoue posséder un havre de paix, une maison en pleine campagne aux allures de conte de fées, ou de jardin d’Eden. Une lueur d’espoir au sein d’un quotidien fait de réunions d’entreprise et de dîners huppés. Dès l’introduction pourtant, son regard conquérant se teinte déjà de doute et de remords lorsqu’il lance son projet titanesque, comme si quelque chose venait de s’éveiller en lui. Une prémonition ou un pressentiment, qui prend la forme d’un générique où la superbe musique d’Ennio Morricone accompagne un montage d’images d’archives de victimes, de famine, de maladies et de guerres, principalement des enfants. Ce collage insoutenable renvoie aux premiers instants de l’excellent Les Révoltés de l’an 2000. Contrairement au film choc de Serrador, les jeunes générations ne sont pas uniquement le résultat vengeur des erreurs des adultes, mais aussi leur seul espoir. En cela, la conclusion douce-amère s’avère extrêmement touchante, en plus de renouer avec une symbolique christique forte. De Martino, cinéaste très graphique, et son chef op, Erico Menczer (à la photo sur Le Chat à neuf queues), emballent le tout avec une certaine élégance. Comme à son habitude, le réalisateur offre même quelques plans inoubliables, à l’image de Sara Golan, interprétée par Agostina Belli, jeune femme mystérieuse qui apparaît soudainement dans l’épais brouillard d’un cimetière, ou un ultime et glaçant regard caméra. Il lâche la bride dans un dernier acte en forme de cauchemar horrifique durant une nuit d’orage, et se permet même quelques plans gores fugaces, sans doute tronqués par la censure britannique. Loin d’être un simple plaisir bisseux et manichéen, Holocaust 2000 s’amuse à jouer avec les attentes du spectateur en abordant deux thématiques constitutives de son intrigue : la science et la religion.
Les manifestations d’opposants au projet de construction, allient les deux courants : la crainte justifiée, concrète du nucléaire et les discours alarmistes, se changent en véritables prophéties apocalyptiques, dans un esprit millénariste. La peur du péril atomique, hérité de la Seconde Guerre mondiale, trouve ici une dimension visionnaire, près de dix ans avant la catastrophe de Tchernobyl. Ce ne sont plus les bombes militarisées qui sont à craindre, mais les centrales elles-mêmes, pourtant créées dans un but bénéfique. Pour Caine, les gens refusent le progrès, et la science ne doit pas avoir de limites dans sa course. Pourtant, c’est bien une angoisse ancestrale qui s’empare d’une population qui pressent une fin proche. Les avancées techniques et technologiques sont indissociables de la foi, ainsi, lorsque le héros dit à un professeur qu’il a besoin de sa « bénédiction », celui-ci lui répond « allez voir un prêtre ». Quand le savoir atteint ses limites, c’est la croyance qui prend le relais. Cette vision qui pourrait paraître très réactionnaire (à l’instar de ces plans puritains au grand angle sur des instruments de « torture » lors d’une séquence d’avortement), est en réalité bien plus subtile et ambiguë. Déjà dans L’Antéchrist, Alberto De Martino filmait la ferveur religieuse comme des scènes d’hystérie collective, et la croyance comme un espoir vain lorsque la médecine avait échoué. Monseigneur Charrier, le cardinal plein de certitudes concernant l’arrivée de Satan sur Terre qui aide le protagoniste, peut aussi bien être vu comme un conseiller que comme un dangereux gourou qui tente de lui laver le cerveau. Le cinéaste confère une approche typiquement latine à un genre principalement anglo-saxon. À l’instar de son compatriote Damiano Damiani sur Amityville 2, le possédé, il réécrit son film de référence (ici La Malédiction, auquel on pense à de nombreuses reprises) tout en y incorporant une imagerie purement catholique. De la Cène au Massacre des Innocents, en passant par la grotte de la vision de Saint-Jean, nombreux sont les épisodes de la Bible à être littéralement mis en images. De même, lorsque le personnage campé par Kirk Douglas va s’entretenir avec l’assassin de sa femme dans un asile d’un blanc immaculé, c’est entouré de silhouettes de patients qui réagissent aux prophéties du tueur, telles des âmes en peine au purgatoire. Une évocation à peine voilée de La Divine Comédie qui rejoint un traitement allégorique de l’anticipation. La machine qui contrôle la centrale futuriste est elle-même représentée comme un temple high-tech, auquel on accède via un long couloir digne d’une cathédrale, lors d’un très beau travelling avant. Climax du rapport mystique de Caine à son destin, une superbe séquence onirique, hallucinogène et symbolique, aussi impactante que la messe noire de L’Antéchrist. Ne pas se fier à ses airs de petite bobine opportuniste surfant sur un carton récent du box-office, comme les Italiens en produisaient à la pelle dans les années 70, Holocaust 2000 dévie intelligemment de sa trajectoire attendue pour offrir un suspense de science-fiction mâtiné de surnaturel, prenant et parfaitement emballé par son réalisateur.
Le Chat qui Fume propose, comme à son habitude, un superbe digipack limité à 1000 exemplaires, comprenant le Blu-Ray du film et le CD de la bande-originale composée par Ennio Morricone. En outre, l’édition s’enrichit de nombreux suppléments parmi lesquels des interviews d’Alberto De Martino et du comédien Massimo Foschi, ainsi que d’une fin alternative et une bande-annonce.
Disponible en Blu-Ray chez Le Chat qui Fume.
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