Tout juste sorti de sa relecture personnelle de L’Exorciste, intitulée L’Antéchrist (1974), et avant qu’il ne se lance dans son apocalyptique Holocaust 2000 (1977), Alberto de Martino replonge dans l’un de ses genres de prédilection, le poliziottesco. Il retrouve le duo de producteurs Edmondo et Maurizio Amati (déjà derrière son film précédent) et les scénaristes Vincenzo Mannino et Gianfranco Clerici, au script sur Le Conseiller mais aussi L’Éventreur de New York de Lucio Fulci. Spécial Magnum suit l’enquête de Tony Saitta, capitaine de police lancé sur les traces de l’assassin de sa sœur, Louise, une étudiante empoisonnée dans des circonstances mystérieuses. Pour l’occasion, l’action est délocalisée sur les terres canadiennes. Le long-métrage délaisse en effet les rues de Rome ou Milan, pour celles de Montréal, et met en scène un casting cent pour cent nord-américain. Stuart Whitman, acteur connu pour ses rôles à la télévision et pour quelques apparitions dans Le Jour le plus long ou Comancheros, croise Martin Landau (alors star de la série Cosmos 1999) ou une jeune Carole Laure, découverte dans La Tête de Normande St-Onge et La Mort d’un bûcheron. Les habitués du bis italien John Saxon (La Fille qui en savait trop) et Tisa Farrow (sœur de Mia, également dans L’Enfer des zombies ou Anthropophagous) complètent le tableau. En résulte un thriller aux aspirations internationales mais pourtant très ancré dans divers genres purement transalpins, désormais disponible en combo Blu-Ray / DVD dans la collection Make My Day ! éditée par Studiocanal.
Son statut de coproduction panaméo-franco-québéco-italienne pourrait suffire à faire de Spécial Magnum une œuvre à part, exotique. Le choix de Montréal, impulsé par la recherche de nouvelles niches fiscales après que les Etats-Unis aient cessé leurs collaborations avec l’Italie, comme le précise Mike Malloy (réalisateur du documentaire Eurocrime !) dans son entretien présent en bonus, constitue une opportunité pour le cinéaste. La ville canadienne, traitée comme un stéréotype de mégapole américaine générique, prend une place prépondérante dans le long-métrage, et ce dès le plan aérien d’introduction. Malloy remarque à juste titre que ses décors « trop propres » (les Jeux Olympiques s’y sont déroulés la même année), tranchent radicalement avec la crasse des cités italiennes fréquemment investies par le poliziottesco. De même, la traditionnelle peinture délétère de la société transalpine, ne trouve ici pas de véritable écho. Seule une brève remarque du docteur Tracer (Landau), qui se soucie plus de sa réputation que de l’inculpation pour meurtre dont il fait l’objet, trahit un certain rejet des élites. Le Québec se change en projection fantasmée du Pays de l’Oncle Sam par un Européen expatrié qui ne connaît sa culture qu’à travers des références cinématographiques. Il n’est pas anodin que les noms de Marilyn Monroe ou Rita Hayworth soient cités (ici portés par des travestis) : Hollywood demeure une usine à rêves, un modèle dans lequel le metteur en scène tente, parfois maladroitement, de se glisser. Dans le long-métrage, tout n’est qu’américanisation, des nombreux emprunts à Dirty Harry (le flic kamikaze aux méthodes brutales ou l’image finale, écho évident au thriller de Don Siegel), au distributeur (Samuel Z. Arkoff, collaborateur de Roger Corman) en passant par les pseudonymes utilisés par l’équipe technique. Ainsi, Alberto De Martino devient Martin Herbert, Vincenzo Mannino, Vincent Mann, et Gianfranco Clerici, Frank Clark. La photo de Joe D’Amato (renommé Antony Ford), auteur la même année d’Emmanuelle à Bangkok et Black Cobra Woman, cherche à reproduire la photo grise de French Connection. Les séquences de courses-poursuites chorégraphiées par un certain Rémy Julienne (déjà aux manettes sur La Cité de la violence), lorgnent quant à elles ouvertement du côté de Bullitt (même Mustang verte et tentative de retrouver la topographie de San Francisco). Si elles ne possèdent pas le dynamisme du climax orchestré par Peter Yates, force est de constater que le réalisateur offre quelques moments réellement impressionnants, à l’image de cette hallucinante cascade au-dessus d’un train en marche. En se débarrassant des passages obligés du genre dès les premières minutes (le braquage), et en choisissant d’axer son récit autour de l’enquête sur le meurtre Louise, comme si l’enquête intime venait contrarier le polar hard boiled, De Martino opère en réalité une bascule vers une autre tonalité, une autre mouvance.
Spécial Magnum s’écarte en effet très rapidement de son schéma attendu de poliziottesco. Il préfère déployer une galerie de profils hauts en couleur (le nain receleur, le prêtre moralisateur rapidement rabroué par le héros), et opte pour une mécanique de whodunit, comme en témoigne la séquence du meurtre et ses gros plans sur les visages des personnes présentes, toutes des coupables potentiels. Le script, quelque peu programmatique, avançant d’indice en indice, est valorisé par une mise en scène qui multiplie les points de vue, faisant du regard, le centre névralgique de son intrigue. C’est en cela que le film rejoint une thématique habituelle d’un genre lui aussi bien codifié : le giallo. Dès l’introduction filmée à la longue focale, qui voit un couple en pleine dispute sans que leurs mots ne soient audibles, espionnés par un homme mystérieux, tous les tropes répondent présents. Le cinéaste fait d’une aveugle (Tisa Farrow), un élément-clef, qui donne ironiquement à Tony des photos essentielles. C’est aussi elle qui est aux premières loges pour assister impuissante au meurtre, le flacon fatal étant ouvert sous ses yeux sans qu’elle ne puisse en témoigner. Lors d’une formidable séquence de tension où elle se sait observée, la caméra balaye toute la pièce et change brusquement d’axe, maintenant la menace hors champ et plaçant le spectateur dans la peau de la jeune femme. Une opposition de dévoilement / dissimulation qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler les obsessions de Dario Argento. Cette hybridation entre deux courants phares du cinéma italien, favorisée par le statut de touche-à-tout de De Martino qui tourna des péplums, des westerns ou des films d’espionnage, comme le précise Jean-Baptiste Thoret dans son introduction, n’est pas un cas isolé. Mort suspecte d’une mineure ou même notre hexagonal Peur sur la ville, organisaient le même type de fusion. Néanmoins, au-delà d’une énième exploitation des codes giallesques à la sauce polar yankee, Una Magnum Special per Tony Saitta (de son titre original) tend à explorer le versant le plus sentimental de sa machination. Du personnage de la femme de Tracer, figure touchante et éthérée, presque résignée, à l’annonce de la mort de Louise, instant muet d’une simplicité désarmante, le film fait souvent mouche. Pourtant, quelque chose ne prend pas totalement et l’émotion peine à poindre, la faute probablement à un Stuart Whitman peu investi. Il demeure néanmoins cette image récurrente et obsédante de Carole Laure à demi-nue qui prend peu à peu tout son sens, dévoilant la face sombre et ambiguë de la victime, ou cette conclusion tragique énoncée par le protagoniste : « Ce sont nos proches que l’on connaît le plus mal ». Habile mélange de deux des genres les plus populaires du cinéma transalpin des 70’s, Special Magnum vaut autant pour ses scènes d’action très réussies que pour la mélancolie profonde qui se dégage de son suspense. Une véritable curiosité à découvrir.
Disponible en combo Blu-Ray / DVD chez Studiocanal.
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