Alberto Sordi – « Tant qu’il y a de la guerre, il y a de l’espoir »

On connaît bien Alberto Sordi comme acteur puisqu’il a tourné avec tout le gratin du cinéma italien (de Federico Fellini à Ettore Scola en passant par Luigi Comencini, Dino Risi, Mario Monicelli et beaucoup d’autres). Pour l’historien du cinéma Stéphane Roux, il fut assurément le comédien le plus populaire de l’autre côté des Alpes, sans doute en raison de son côté très « ordinaire » permettant une identification plus facile chez les spectateurs quand d’autres cabotins géniaux (Vittorio Gassman, Ugo Tognazzi) incarnaient parfois des personnages plus « inaccessibles ».

On oublie cependant plus facilement que Alberto Sordi fut également, entre 1966 et 1998, réalisateur de 16 longs-métrages auxquels il convient d’ajouter deux segments tournés pour des films à sketches. Tant qu’il y a de la guerre, il y a de l’espoir est son septième film et s’inscrit d’emblée dans la longue tradition de la comédie italienne acide et cynique à souhait.

Pietro Chiocca est un représentant de commerce très particulier puisqu’il vend des armes à feu. Régulièrement en voyage, il parcourt le tiers-monde et profite des guerres civiles pour vendre aux gouvernements corrompus tout l’armement dont il dispose. On sent qu’Alberto Sordi n’a réalisé ce film que pour s’offrir le rôle principal de ce salaud ordinaire. Il l’incarne avec tout le talent qu’on lui connaît : cette élégance onctueuse du parvenu mêlée à la morgue doucereuse et vulgaire du représentant de commerce. L’acteur joue à merveille cette médiocrité auto-satisfaite et sa prestation compense pendant trois bons quarts d’heure le côté bâclé de la mise en scène (photographie sous-exposée, montage à la truelle…). Reposant sur son abattage, le film séduit par son parfait cynisme. Pietro pousse les députés d’un pays en guerre à privilégier le budget de l’armée plutôt que celui de l’agriculture : le chaos est toujours plus favorable aux marchands d’armes qu’une véritable politique favorisant les infrastructures ! A travers une succession de saynètes outrées mais assez drôles, Alberto Sordi remet en cause les politiques occidentales qui ne voient en Afrique que de fructueux marchés pour leurs armes.

S’il fallait trouver une référence pour caractériser cette fable acide, c’est du côté de la chanson de Boris Vian Le Petit commerce qu’il faudrait aller chercher :

J’ai un petit hôtel, trois domestiques et un chauffeur
Et les flics me saluent comme un des leurs
Je vends des canons
Des courts et des longs
Des grands et des petits
J’en ai à tous les prix

Malheureusement, le film dure près de deux heures et ne tient pas la route sur la longueur. Assez rapidement, faute d’idées neuves, il s’essouffle et devient répétitif. Entre deux séjours dans des pays lointains, ce qui nous vaut quelques scènes touristiques et folkloriques sans le moindre intérêt, Alberto Sordi revient à la maison pour constater que sa femme passe son temps à dilapider sa fortune aux cartes tandis que ses enfants se complaisent dans une vie de petits bourgeois à l’abri du besoin. Ces scènes domestiques ne sont pas très intéressantes même si un règlement de compte final parviendra à mettre un peu de poivre dans le tableau.

Pire, Alberto Sordi n’évite pas un petit côté moralisateur lorsqu’il prend conscience des horreurs qu’entraîne son vil commerce. Il ne s’agit évidemment pas de louer un si méprisable bonhomme mais en lui donnant soudainement une part d’humanité, Alberto Sordi annihile la puissance de sa satire et tombe dans des lieux communs du style « mon Dieu, que c’est mal la guerre »… Tout au plus arrive-t-il à se rattraper un peu lorsqu’il montre la complicité passive de toute sa famille (qui se drape à l’occasion dans les oripeaux de la morale offusquée) et, par extension, de tout un pays qui profite allégrement d’un commerce barbare.

Propos louable mais un peu desservi par une réalisation brinquebalante et un scénario bien trop filandreux pour maintenir l’attention pendant deux heures.

Tant qu’il y a de la guerre, il y a de l’espoir
(Italie, 1974, 117 minutes)
Titre original : Finche’ c’e’ guerra c’e’ speranza
Réalisation : Alberto Sordi
Scénario : Alberto Sordi, Leo Benvenuti, Piero de Bernardi
Photographie : Sergio d’Offizi
Musique : Piero Piccioni
Acteurs : Alberto Sordi, Silvia Monti, Alessandro Cutolo, Marcello Di Folco
Disponible en DVD chez ESC éditions.

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A propos de Vincent ROUSSEL

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