« il était incapable de savoir ce qu’était une vraie connexion [entre deux êtres], donc il a créé une nouvelle connexion » (Chrisann, mère bafouée de Lisa)
- Jobs, Jobs Jobs, sausage and Jobs Jobs Jobs.
Iphone 3, 3GS, 4, 4S, 5, 6S. Il y avait donc le Kutcher (magnifiquement quelconque), le Sorkin (génie sanctionné en nos colonnes pour la trop grosse paresse de son dernier trait) et maintenant, le docu : la vraie histoire du vrai Steve Jobs.
Réalisé par Alex Gibney (dont nous avions apprécié le roboratif et flippant Going clear, brûlot anti-Scientologie), et présenté comme un compagnon indispensable du film, il faut avouer de suite que Steve Jobs : the Man in the Machine en donne pour son argent.
- Wont be like 1984 ?
Mélangeant archives parfaites, musiques catchy (Merci, Bob Dylan) et interviews des principaux protagonistes portés aux nues et démolis par Dieu-le-Steve (à l’exception notable du premier cercle, notamment Woz, grand absent), partant des premières Blue Box (ces dispositifs qui détournaient le système téléphonique pour passer des appels gratuits) pour aboutir au Goliath du 21e siècle, c’est sur plus de deux heures toute la traversée intime de ce flibustier de la technologie, être hybride et complexe, génie convaincu de suivre son destin tout en bafouant les autres, et qui inventa le paradigme implacable de la nouvelle science tech : donner la sensation de regarder devant.
Partir d’un mysticisme zen et le transmettre par l’objet pour ne pas avoir, comme chez les vieux croulants d’IBM, l’impression de payer un outil, mais des potentiels, et de participer à une révolution en marche : regardez ce que DEMAIN vous pourrez faire avec « ça », quand bien même cela finit par créer ce nouveau sentiment d’ « Alone together », mal du siècle.
- Think Different.
Si l’histoire est connue, et que le documentaire, formaté et parfois trop rapide (l’affaire Gizmodo de la fuite de l’iPhone 4 aurait à elle seule pu faire un angle éclairant), n’hésite à aucun effet de manche pour relancer l’attention, il étonne toutefois par sa capacité à mettre en regard systématiquement chaque détail et par le ton incarné de sa voix off, qui prend son ampleur dans la deuxième partie, sans doute la plus passionnante.
Prenant pour bornes une période courant de l’introduction de l’iPhone à la mort de Jobs, Gibney profite des étonnants multiples paradoxes de la marque et de l’homme arrivé pour retourner comme un gant l’ascension fulgurante et mythique du hippie des familles : changer le monde, mais pour quoi ? Pour qui ?
Pour garer sa bagnole sur la place handicapée ? Pour décider d’arrêter brutalement tout financement philanthropique de la compagnie lors de son retour ? Pour frauder le fisc grâce aux paradis fiscaux et s’offrir des stock-options antidatées ? Pour enfin payer les hommes qui fabriquent l’iphone pas plus de 13 dollars au global par objet, et installer des filets « anti-suicide » lors des drames ?
- Alone together
De cet ample kaléidoscope, résulte, au moment où s’éteignent le film et l’existence de Jobs par la même occasion, un étrange sentiment de mélancolie, dans le jardin zen du Japon où il venait méditer.
Celui d’un homme qui avait cherché l’illumination, la perfection, sans jamais pouvoir y parvenir.
Celui, surtout, qui du moine qu’il se rêvait de devenir avait la maitrise mais pas l’empathie, et que résume l’anecdote de sa fille Lisa : un voyage au Japon, ensemble, où, pour lui faire plaisir, il abandonne son régime de souffrance végétalienne, et lui offre des dizaines et dizaines de sushis dans un restaurant magnifique.
« De toute ma vie, je n’ai jamais été plus à l’aise avec lui que dans ce moment-là, plus détendue, dans une vraie relation ». Un peu moins de contrôle, un peu plus ensemble.
Injecter ce genre de sentiment au sein d’un parcours balisé, et parvenir à le mettre en question/relation avec l’ensemble de nos rapports technologiques n’est pas la moindre des qualités de cette traversée intime : la nôtre, reflétée dans l’écran noir de l’iPhone, juste avant qu’il ne s’allume pour que nous ne soyons plus jamais seuls.
DVD (plutôt chiche, le docu et basta) disponible chez Universal Pictures Video. sortie le 26 Janvier 2016
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Zadig Dumont
Hélas A Gibney ne nous a pas accoutumé a une grande rigueur du documentaire. Au contraire même. Le dernier exemple est comme vous le citez le docu sur la scientologie qui n’est qu’un ramassis de rumeur contre et n’a trompé personne ni à Sundance ni sur Canal +. Moi je conseillerais plutôt le livre de D Ichbiah qui est le seul à avoir obtenu une interview de ce monstre sacré.
nicos31
Le documentaire sur la scientologie se base sur des témoignages et des documents pas des rumeurs… tu n’as pas du voir le même doc que moi ou alors tu es scientologue pour pouvoir dénigré le doc de Gibney comme cela. J’ai lu le livre de Lawrence Wright et il est bien évident aux nombres des témoignages d’anciens scientologue qui ont vécu l’enfer que tous n’est pas jolie dans cette secte.
Jean-Nicolas Schoeser
AuthorBonjour à tous deux,
Et merci à nicos31, je n’aurais pas mieux dit.
Le documentaire sur la scientologie a en effet été encensé à peu près partout où il est passé, pour la pertinence de ses témoignages, et la mise à nu d’une mécanique d’embrigadement et de violence. Si on peut questionner la forme (aussi catchy que celle sur Jobs), difficile de remettre en cause un film dont les témoignages oscillent entre anciennes victimes et archives du gourou lui-même.
Et je vais me faire volontairement provocant et mauvaise foi : je prends sans soucis un film composé de mille rumeurs contre, contre un seul argument « pour » une telle vermine sectaire.
Donc s’il est formellement simplifiant, il est totalement nécessaire.
Dans l’attente, merci de regarder Battlefield Earth en attendant d’atteindre OT3 et le retour de Xenu.
Cordialement