Réalisateur de plusieurs courts-métrages au début des années 80, avant de rapidement se faire remarquer pour ses clips et publicités, Alex Proyas est principalement connu pour avoir mis en scène deux long-métrages cultes au cours de la décennie suivante. The Crow, série B vengeresse violente et inspirée visuellement (atmosphère tendance réalisme 70’s croisée avec le gothique), doit autant son aura à ses qualités intrinsèques qu’à la tragédie qui eut lieu durant son tournage : la mort de Brandon Lee. Dark City, à ce jour son meilleur, mésestimé en raison de son échec lors de sa sortie, constitue une référence dans le domaine du polar de science-fiction post-Blade Runner. Esthète de talent au service d’Hollywood, Proyas s’égare progressivement avec des choix discutables, entre un Blockbuster ambitieux mais sabordé adapté d’un chef d’œuvre (I, Robot), une commande mineure plutôt bien emballée (Prédictions) et un nanar de luxe qui ne prête pas à autre chose qu’à rire (Gods of Egypt). Il y a de cela quelques mois, Le Chat qui fume annonçait à la surprise générale une future édition pour son premier long réalisé en 1989, dont nous ignorions tout simplement l’existence : Spirits of the air, Gremlins of the clouds. Film australien indépendant, écrit et produit par le metteur en scène, il s’agit d’un étrange post-apocalyptique s’inscrivant par défaut dans la très fourre-tout Ozploitation (au sein de cette mouvance l’éditeur a déjà sorti Fair Game et Next of Kin en 2019). Objet curieux, imparfait mais aussi formellement fulgurant, ce coup d’essai méritait assurément de sortir de l’oubli plus de trente ans après sa conception. Felix Crabtree (Michael Lake) et sa sœur Betty (Rhys Davies) vivent en autarcie dans le désert. Leur solitude est rompue un beau jour par l’arrivée d’un étranger au passé trouble, Smith (Norman Boyd). Celui-ci cherche à rallier le nord du pays, alors que trois hommes semblent à ses trousses. Parce que des falaises infranchissables attendent Smith dans son futur périple, Felix promet de l’aider s’il parvient à parachever un vieux rêve : la construction d’une machine volante…
Musique planante et ciel bleu recouvert de nuages flottants, Spirits of the air, Gremlins of the clouds tend à illustrer le caractère poétique et onirique de son titre dès ses premières images. Les crédits du générique entrecoupent des plans conçus tels des tableaux mouvants (le film est entièrement tourné en format 4/3), stupéfiants de beauté et foncièrement singuliers. Des cadres larges dévoilent une étendue désertique parsemée de croix, véhicules à l’abandon, panneaux publicitaires datés et délavés, au sein desquels est visible au loin la silhouette d’un homme qui marche. Lente et contemplative, cette introduction rappelle à l’univers des Mad Max de George Miller, voire aux premiers longs-métrages de John Hillcoat (Ghosts…of the Civil Dead et The Proposition notamment) lesquels auraient fusionné avec un cinéma plus élégiaque, comme peut l’être par certains aspects celui de Terrence Malick. Rêverie filmique (une séquence feint d’ailleurs l’hypothèse d’un songe) ce prologue se voit rattrapé par une matière plus concrète, l’entrée en scène de Félix et de sa sœur Betty, vivant reclus dans ce désert, éloignés du monde et dérangés dans leur tranquillité par l’arrivée d’un étrange inconnu sobrement baptisé Smith. Alex Proyas mêle mystère (qui sont ces gens ? que cherchent-ils ?) et symbolisme (imagerie religieuse, l’étranger est immédiatement qualifié de démon) à travers, un récit factuellement plus convenu que ses promesses initiales. Si cette intrigue minimaliste (adaptée à un budget que l’on devine dérisoire), répétitive et un brin bancale, souffre de dialogues répétitifs doublés d’interprétations inégales, elle est régulièrement trompée par les envolées visuelles auxquelles se livre son auteur.
Très léché voire fétichiste à certains égards (les choix de costumes extravagants de Betty, les couleurs aux frontières de l’irréel, qu’il s’agisse par exemple du désert ou du ciel), le métrage ne relève pas pour autant de la carte de visite facile. Nulle recherche d’efficacité perceptible, d’envie de rentrer dans un moule, Alex Proyas préfère faire de ses désirs d’exil et d’émancipation le véritable sujet de son film, lui donnant par ricochet une dimension subtilement personnelle, tant la trajectoire de Félix résume entre les lignes et métaphoriquement, sa propre situation. Cinéaste au talent graphique évident (et disons-le, au-dessus du tout venant), rêvant probablement de davantage de moyens pour exprimer ses visions, assouvir ses ambitions, il avance ici contraint et à l’étroit, résolu à optimiser chacun de ses atouts, quitte à rendre plus visibles ses limites. Spirits of the air, Gremlins of the clouds peut ainsi faire office de cri du cœur, maladroit et touchant, d’un artiste à la fois proche de se réaliser et, dans les faits, encore trop loin de son but. En ce sens, plus qu’un simple point de départ, nous sommes face à la profession de foi d’un cinéaste qui aura par la suite presque autant réussi qu’échoué. Le résultat, hybride, un brin hermétique et pourtant bien souvent fascinant, nécessitait d’être dépoussiéré en haute-définition afin de rendre justice à ses singularités, audaces et fulgurances. La copie disponible en Blu-Ray à l’intérieur (une fois n’est pas coutume) d’un très beau packaging cartonné, est splendide. Elle s’accompagne de deux suppléments, une interview de Rhys Davies et une autre de Michael Lake, évoquant leurs parcours respectifs puis leurs souvenirs de ce projet. Autorisons-nous juste un petit regret, l’absence du « chef d’orchestre » Alex Proyas sur l’édition, on aurait aimé l’entendre autant au sujet de sa carrière en général, que de ce premier opus évidemment prometteur, qu’il convient maintenant d’extirper de l’anonymat. Sans minorer ses défauts, sa découverte tardive est conseillée (entre autres) aux cinéphiles en quête d’imageries inhabituelles et d’onirisme sophistiqué.
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