© Alexandre H. Mathis

Après Outre Tombe et Lady Usher’s Diary, Alexandre H Mathis nous revient avec un troisième long-métrage interprété par Pamela Stanford. Vampyr, à l’instar de ses deux œuvres précédentes, s’inscrit dans une veine fantastique puisque après la sorcière d’Outre Tombe, les réminiscences de Poe dans Lady Usher’s Diary, c’est au mythe du vampire que le cinéaste s’attaque ici. Mais qu’on ne s’attende pas pour autant à un remake du Vampyr de Dreyer dont on aperçoit l’un des extraits les plus célèbres (l’homme de dos – personnification de la mort- avec sa faux, qui secoue une cloche) : Mathis est un cinéaste qui joue moins la carte de la narration que de l’expérimentation.

Avec peu de moyens (certains éclairages en extérieur semblent avoir été modelés avec des phares de voiture), le cinéaste fait évoluer quelques personnages énigmatiques dans un village du Sud-ouest dépeuplé, brouillant les repères temporels et faisant ressurgir des plans de manière cyclique ; adoptant un montage impressionniste (la fugacité du moment étant privilégié par rapport à une éventuelle progression dramatique) qui brise la linéarité du récit. Pourtant, Vampyr est peut-être le film le plus « narratif » de la trilogie de Mathis. Pamela Stanford n’y est plus seulement une « image » mais incarne ici cinq personnages, s’amusant à jouer une vieille harpie volubile, affublée d’un accent berrichon très fort mais aussi une aubergiste, Lucy – la victime du vampire venue tout droit de Dracula, le roman de Bram Stoker- etc. Il est donc question d’un vampire qui, la nuit venue, doit revenir et faire de nouvelles victimes. Un voyageur (incarné par Mathis lui-même) débarque également dans le village et, la nuit, est assailli par des cauchemars mettant en scène un succube… Il ne s’agit évidemment pas de « raconter une histoire » mais de jouer sur les réminiscences, des bribes de romans qui finissent par irriguer chaque plan : Stoker en premier lieu mais aussi Edgar Poe ou encore Daniel Defoe puisque des extraits du Journal de l’Année de la peste entrecoupent le déroulé du récit, offrant d’ailleurs un contrepoint troublant à nos années « covid ».

En dépit de son dénuement, Vampyr retrouve à sa manière les grands principes de l’expressionnisme en opposant l’ombre à la lumière, la nuit au jour, l’obscurité à la clarté. Le beauté du film tient à sa manière de faire naître des figures de cette obscurité, de redonner naissance à des corps. A l’image de la lune qui apparaît soudainement derrière les nuages, l’œuvre enregistre un poétique travail de dévoilement. C’est dans l’ombre de la nuit que peuvent renaître les fantômes, qu’ils peuvent revivre derrière le voile qui les dissimule. Qu’elle soit filmée derrière un voile dans une lumière verte, derrière une vitre ou dans la lueur de phares qui trouent l’obscurité, Pamela Stanford apparaît comme une image qu’il faut ressusciter, à qui il faut redonner un corps. A plusieurs reprise dans le film, des photos de l’actrice jeune – sourire ravageur, air mutin et seins dévoilés- apparaissent à l’écran. Tout se passe comme si Mathis cherchait, en filmant inlassablement celle qui est devenue son égérie, à faire renaître le passé, à lui offrir une nouvelle incarnation sous la forme de chimères : la sorcière d’Outre Tombe, Madeline, la défunte de Lady Usher’s Diary ou un vampire ici.

Comme au cinéma, de l’obscurité nait la lumière mais c’est cette même lumière, celle du jour, qui met fin aux songes et qui détruit vampires et succubes. La métaphore de la disparition des salles et d’un certain cinéma paraît assez évidente. Alexandre H. Mathis est également critique, écrivain (songeons à ces magnifiques romans que sont Les Fantômes de M.Bill ou LSD 1967) et il a travaillé sur les cinéma parisiens aujourd’hui disparus. Cette mélancolie d’un monde en train de disparaître, on la retrouve dans la scène où il pénètre dans une salle de cinéma fermée et filme d’anciennes affiches (dont Le Vampire de Düsseldorf de Robert Hossein). Il s’agit de collecter des traces d’un continent enfoui et de lui redonner une existence par le pouvoir du cinéma.

De ce fait, Vampyr peut se voir comme une rêverie (le film ne sort qu’en DVD mais il faut absolument le voir dans les conditions d’une salle, en éteignant toutes les lumières) autour de figures aimées. Deux séquences magnifiques renforcent le caractère onirique de l’œuvre. Dans la première, une petite fille (Salomé Girod) est poursuivie dans une maison désaffectée par celle qui pourrait bien être le vampire redouté, succube enveloppé dans une cape dorée. Par la manière de sculpter les ombres portées et de jouer avec des miroirs, des portes placées dans le cadre de manière insolite ou encore les échelles (avant et arrière-plans qui provoquent des « perspectives dépravées »), le cinéaste nous fait basculer dans un univers parallèle, évoquant aussi bien Alice aux pays des merveilles (est-ce que cette petite fille ne serait d’ailleurs pas l’image du vampire plus jeune ?) que le conte d’effroi expressionniste.

La deuxième est ce moment où le voyageur (Mathis) s’endort à l’auberge et qu’apparaît alors la femme-vampire en minijupe de cuir et longues cuissardes noires. Descendant un escalier maintes fois vu, Pamela Stanford apparaît alors comme une pure vision onirique, un rêve de cinéaste obsédé par une image qu’il n’a de cesse de vouloir retrouver.

Cette dimension onirique et fantasmatique (on rappellera que les mots « fantôme » et « fantasme » ont la même origine linguistique) fait la beauté et la profonde mélancolie de Vampyr. Car si le cinéma a pu peupler nos nuits de ses magnifiques chimères, les songes n’ont qu’un temps et la lumière du jour finit par les emporter à tout jamais…

© Alexandre H. Mathis

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Vampyr (2023)

Réalisation : Alexandre H. Mathis

Interprètes : Pamela Stanford, Michel Girod, Salomé Girod, Alexandre H. Mathis

Durée : 102′

Format 1.78 . Langue : Français et Berrichon / Sous-titres : anglais.

Édition : Phoenix Underground Distribution

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A propos de Vincent ROUSSEL

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