André De Toth –  » La Rivière de nos amours « 

En 1870, alors que la fin de la Guerre civile est proche, un traité de paix est signé avec le peuple Sioux. L’éclaireur, Johnny Hawks, très imprégné de culture indienne, est engagé pour faire avancer un convoi sur leur territoire. Hélas, cette paix temporaire est bousculée le jour où deux renégats, à la recherche d’une légendaire mine d’or, assassine un membre de la tribu. La hache de guerre est dès lors déterrée. Hawks va tenter de ramener de l’ordre. Sans compter le fait qu’il tombe amoureux d’une jeune Sioux. Sa connaissance du milieu indien jette un trouble auprès des siens, le considérant parfois comme un traître à la cause.

« Soyons original : je donnerai tous les Ford et tous les Walsh de la période 1940-1955 pour la seule Rivière de nos amours (1955), l’un des plus beaux poèmes panthéistes que le western nous ait donnés, où la nature fondait en un seul élément indiens, cowboys, arbres et rivières. »

Ces quelques mots de Patrick Bureau dans l’ouvrage collectif Le Western dirigé par Raymond Bellour décrivent bien le film d’André De Toth. Si Raoul Walsh et John Ford sont cités, ce n’est seulement pour des accointances esthétiques et thématiques, mais pour une raison plus prosaïque: André De Toth était lui aussi borgne. Il s’est aussi illustré à maintes reprises à l’intérieur du genre en signant quelques films remarquables comme La Chevauchée des bannis ou Femme de feu.

La Rivière de nos amours : Photo

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Parmi tous les westerns pro-Indiens fleurissant dans les années 50, La Rivière de nos amours se distingue de La Flèche brisée de Delmer Daves ou de La Dernière chasse de Richard Brooks par son refus du didactisme, son absence de rhétorique auto-critique, flirtant parfois avec le révisionnisme. Déjà, le terme pro-Indien, hyperbolique et inexact, ne convient pas à l’esprit d’un film qui ne cherche pas à développer une vision simpliste des conflits entre les Indiens et les visages pâles. André de Toth intègre les Indiens dans leur élément naturel. Le respect affiché envers ce peuple opprimé ne passe par aucun discours, mais par une  dignité que le cinéaste leur octroie par la simple force de la mise en scène. Dès les premières images, il leur confère une authenticité,un réalisme dont peu de westerns peuvent se targuer. Les Indiens, incarnés en partie par de vrais natifs de cette terre sacré qu’est l’Amérique, si l’on excepte les têtes d’affiche (Lone Chaney Jr, Elsa Martinelli), vivent en osmose avec un décor  splendidement mis en valeur. A l’instar d’Anthony Mann, autre grand peintre naturaliste de l’Ouest, André De Toth ne se contente pas d’utiliser les paysages conventionnels des westerns en vogue, mais en aventurier rompu, il s’est d’abord envolé vers l’Oregon afin de repérer un lieu adéquat pour hisser vers des cimes bien plus élevés une histoire qu’il jugeait médiocre.

De Toth fait l’éloge de cette majestueuse nature, mais la verticalité imposante des arbres,  des montagnes, étouffant les personnages chez Anthony Mann se substitue à une vision plus horizontale, élégiaque. A bien des égards, elle est reposante, et l’homme occidental en est indigne, ne faisant que souiller ce qu’il semble admirer. Chez Mann, elle est en revanche directement fusionnelle avec la violence.

La Rivière de nos amours : Photo Kirk Douglas

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Une scène emblématique va dans ce sens: John Hawkes demande à un ex-militaire de l’armée nordique pourquoi il s’intéresse autant à cette végétation, à photographier ces paysages. Le jeune homme lui répond que c’est l’avenir, que les gens vont s’installer sur ces terres, la civilisation va débarquer. Le cours de l’histoire va changer, mais Hawks ne semble pas prêt à l’accepter, à laisser l’homme blanc détruire ce nouveau monde. Pour Hawks « L’Ouest ressemble à une belle femme, ma femme, alors je l’aime telle qu’elle est, je ne tient pas à ce qu’elle change ». Avec son vocabulaire rudimentaire, cet aventurier, dont la pensée est à contre courant de l’histoire, est finalement plus proche des Indiens que de ses compatriotes. Son amour pour la jeune et belle Onhati en est l’illustration allégorique la plus éclatante et romanesque au sein d’une histoire de rapport de force, de violences sourdes, de conflits entre les peuples.

Dans cette imprégnation quasi mystique de l’environnement, ce regard panthéiste, La rivière de nos amours trouve une inspiration digne des meilleurs fleurons du genre. En soi, le récit n’avance qu’une série de poncifs récurrents, déjà vu dans de nombreux westerns de séries.

La trame classique du western des années 50 tente de faire amende honorable, de nuancer les rapports Blancs / Indiens, quitte à laisser planer un espoir de réconciliation possible. Cet idéalisme, en forme de mea culpa, n’est qu’un leurre, une projection de réalisateurs-scénaristes tourmentés par une mauvaise conscience historique. Le massacre d’un peuple a bien eu lieu, et le point de vue de certains artistes était de fantasmer un espoir, mais surtout de rendre une dignité aux Indiens.

De Toth, épaulé par les scénaristes Robert Richards, Frank Davis et surtout Ben Hecht, y parvient admirablement, sans passer par des dialogues signifiants et un propos appuyé.  Seule la tirade contre les Blancs du chef Chivington ne ménage pas les colons blancs, ces envahisseurs venus de l’Occident, mais les mots judicieusement choisis proposent un texte poétique et lyrique, virulente critique envers l’avidité des pionniers:  « Mais l’or ramènera-t-il le bison que vous aurez tué? Nettoiera-t-il l’eau que vous aurez souillé pour trouver le métal jaune? La terre retrouvera-t-elle sa beauté?Je suis riche de la seule richesse que je souhaite. Celle qui nous entoure ».

Des mots édifiants, chargés d’émotions qui frappent par leur pertinence. Pourtant, André De Toth, véritable maverick au sein de l’industrie du cinéma, n’était pas à proprement parler  un  libéral. En revanche, il était attaché à des valeurs écologiques et à une conception humaniste de la civilisation. La dimension gauchiste, même s’il s’agit d’un raccourci, est imputable à Kirk Douglas et Ben Hecht.

La Rivière de nos amours : Photo Elsa Martinelli

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Au cœur d’un western à la structure narrative classique, ponctué de magnifiques scènes d’action, laissant briller toute la virtuosité technique du cinéaste, l’histoire d’amour entre Hawks, ce faucon blanc et Onhati transgresse le récit, apporte un souffle épique et bouleversant. Les baisers passionnels des amants, s’enlaçant nus dans la rivière en mouvement, s’invitent comme une échappée belle loin de la folie guerrière des hommes. Soudain, le temps est suspendu.

50 ans plus tard, Michael Mann se souviendra de cette suspension dans Miami Vice lors de l’escapade de Colin Farrell et Gong Li vers une île paradisiaque, fuyant leurs obligations antagonistes pour vivre une idylle torride.

Dans cette exaltation de l’amour fusionnant avec un environnement magique,La rivière de nos amours se détache des westerns classiques, développe une singularité propre. Comment ne pas vibrer devant la première apparition d’Elsa Martinelli, symbole à elle-seule de la fierté et la beauté d’un peuple, silhouette iconique dont il est difficile de se remettre. Finalement, tout le reste n’est que bagatelle. De Toth, aveuglé par son amour des paysages et des personnages forts, signe un splendide western humaniste, bien plus progressiste qu’il ne se l’avouait lui-même.

La copie splendide rend justice à la photographie flamboyante de Wildrid M. Cline. Dès le générique, avec ses noms s’affichant en rouge vif, le travail de restauration impressionne par la beauté des couleurs restituée à la nature filmée.

Le blu-ray est accompagné d’un livret signé Philippe Garnier, informatif, mais passionnant, confirmant le sérieux de l’écrivain journaliste. Au vu de ses écrits antérieurs, cela n’est pas étonnant. Dans The beauty and The land, Anthony Slide, historien sur le cinéma, revient sur la carrière d’André De Toth.

 

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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