André de Toth – « Le Cavalier de la mort » (« Man in the Saddle ») (1951) / Raoul Walsh – « Bataille sans merci » (« Gun Fury ») (1953)

Hollywood est traversé de grandes modes qui, pour certaines, reviennent de manière cyclique sur le devant de la scène, en témoigne la mouvance des films catastrophe, qui connaît son apogée dans les années 70 avant de tenter un come back dans la deuxième moitié des 90s, sans rencontrer le même succès. Aujourdhui, alors que lhégémonie des longs-métrages super-héroïques nest plus à prouver, il est bon de se pencher sur un autre courant, lui aussi constitutif de la culture américaine et ce, dès les débuts du cinéma : le western. Récits purement mythologiques qui permirent non seulement aux Etats-Unis de se créer un folklore et des légendes fondatrices, mais également dexporter leurs icônes à travers le monde, le genre traverse toute lhistoire du septième art, continuant d’être réinventé et dinspirer de nouveaux auteurs. Les années 50, et l’âge dor des studios, constituent l’un de ses principaux points d’orgue. Entre chefs-d’œuvre majeurs (Le Train sifflera trois fois, La Prisonnière du désert) et séries B produites en quantités industrielles, le cowboy est sur tous les écrans, petits et grands, générant des stars telles que Clint Eastwood et Steve McQueen, dabord remarqués à la télévision, ou Audie Murphy qui nhésite pas à enfiler le Stetson entre deux films de guerre à sa gloire. Depuis des années, Sidonis-Calysta sest donné pour mission de mettre en valeur le western sous toutes ses formes. Parmi les dernières sorties de l’éditeur, notons deux films significatifs, autant inscrits dans les codes que fidèles à la personnalité de leurs auteurs. Penchons-nous donc sur Le Cavalier de la mort dAndré de Toth et Bataille sans merci de Raoul Walsh.

Le Cavalier de la mort (Man in the Saddle) d’André de Toth (1951)

Lorsquil sattelle à Man in the Saddle, de Toth est déun réalisateur expérimenté à la filmographie diversifiée, un solide faiseur qui sest essayé à tous les styles, ou presque. Dorigine hongroise, il débute sa carrière de cinéaste dans son pays natal avant de s’envoler pour l’Angleterre où il devient l’assistant de Zoltan Korda sur Les Quatre plumes blanches, entre autres. C’est aux Etats-Unis qu’il rencontrera finalement le succès avec des longs-métrages comme La Chevauchée des bannis au cours de la décennie 50. En 1951 Il débute une collaboration avec le stakhanoviste du western Randolph Scott (à laffiche de pas moins de quatre films en 1955) qui durera le temps de six projets, parmi les plus marquants de la filmographie de lacteur. Ce dernier se charge donc de la production avec son fidèle collaborateur Harry Joe Brown. Adapté dun roman dErnest Haycox (auteur de Stagecoach, porté à l’écran par John Ford) par le metteur en scène lui-même et Kenneth Gamet (tous deux se retrouveront à loccasion du Sabre et la flèche), Le Cavalier de la mort raconte les mésaventures de Owen Merritt (Scott), petit vacher qui se fait voler Laurie (Joan Leslie), la femme qu’il aime, par un important propriétaire terrien, Will Isham (Alexander Knox). Lorsque celui-ci apprend que ses noces sont en réalité un mariage d’intét, il décide de se débarrasser définitivement de celui qui reste son rival

(Le Cavalier de la mort – Copyright Sidonis-Calysta)

Au cours des fifties, le prolifique André de Toth tourne de nombreux westerns tels que La Mission du commandant Lex ou La Rivière de nos amours, souvent portés par des castings de stars (Gary Cooper, Kirk Douglas). Pas un gros budget ni une série B fauchée, Man in the Saddle, produit par Columbia pourrait se définir comme un exemple de cinéma de lentre-deux. Le réalisateur remplit consciencieusement son cahier des charges avec un talent et une recherche defficacité payants. Ainsi, lintroduction présente en deux plans et une réplique, lantagoniste et lenjeu principal (son mariage avec Laurie et lexpansion de son domaine quoiquil en coûte). La première partie du récit, où tous les enjeux sont posés, est réduite quant à elle, à une seule et même nuit. Sil n’évite pas certains écueils, à limage du personnage caricatural de Charley, Mexicain aux sens aiguisés, reprenant peu ou prou lhabituel rôle de lIndien sage, ou de la chanson titre signée Tennessee Ernie Ford, uniquement là pour capitaliser sur le petit succès du chanteur, le cinéaste injecte certaines idées formelles pour le moins originales. Il joue sur la profondeur de champ de ses cadres, en rendant un saloon vivant par la seule direction de ses figurants ou en faisant exploser une bouteille au premier plan, les éclats se retrouvant projetés sur lobjectif. Il nhésite également pas à injecter une atmosphère horrifique lorsquil filme Isham seul dans son vaste salon, le regard perdu dans le crépitement dun feu de cheminée. Fidèle aux passages obligés du divertissement populaire, le metteur en scène orchestre des séquences purement spectaculaires, comme cette bagarre au beau milieu dune maison qui seffondre sous les coups des combattants, ou cette tentative de sauvetage de bétail à bord dune charrette en feu. Point dorgue, limpressionnant final apocalyptique, où les éléments se déchaînent pour mieux illustrer le chaos des sentiments des protagonistes. Signe des temps dun Hollywood en plein bouleversement, beaucoup de forces en présence, ayant pourtant travaillé pour le grand écran, finiront leurs carrières respectives à la télévision dès la fin des années 60 : de Toth évidemment, mais aussi les comédiens Joan Leslie, Ellen Drew, Alexander Knox ou le compositeur George Duning. Ce type de produit dexploitation, trouvera in fine refuge dans le foyer des Américains, métamorphosé en téléfilm ou en série à succès. Grande figure du western des années 50, Randolph Scott porte littéralement le film et se retrouve au centre de la plupart des bonus de cette édition proposée par Sidonis. Dans l’entretien Un Homme seul qui lui est consacré, Edward Buscombe revient sur l’incroyable carrière du comédien et en quoi les collaborations successives avec de Toth et Budd Boeticher ont forgé sa légende. Ici, Scott campe un héros diamétralement différent du stéréotype du cowboy, constituant l’un des éléments les plus surprenants du Cavalier de la mort.

(Le Cavalier de la mort – Copyright Sidonis-Calysta)

Loin de ses atours de produit mercantile, le long-métrage surprend par ses partis-pris innovants. Dans sa présentation, Jean-François Giré raille le titre français, bien éloigné de son pendant original qui définit mieux le récit : « l’homme sur la selle ». Cet homme, c’est Owen Merritt, introduit comme un être profondément mélancolique, buvant pour noyer son chagrin. Dépressif, passif, il refuse longtemps de s’engager dans la lutte contre son ennemi par amour pour celle quil a perdue. Autre figure masculine à contre-courant, Hugh (campé par John Russell, vu plus tard dans Pale Rider) prend quant à lui les armes par pure jalousie. Des figures masculines fragiles, à fleur de peau, des amoureux transis qui tranchent radicalement avec l’image daventurier viril. Buscombe fait très justement remarquer que Scott a accompagné les évolutions du genre en tournant sous la caméra de Sam Peckinpah dans Coups de feu dans la sierra, juste avant de prendre sa retraite en 1962, ou en influençant, selon lui, les rôles taiseux et ambigus de Clint Eastwood. Laffrontement avec l’antagoniste prend ici la forme dun face à face courtois en apparence, plein de haine rentrée et déguisée en bienséance, au sous-entendu politique et historique évident. Les deux ranchs qui se font face sur un même territoire représentent deux conceptions de l’Amérique. D’un côté les valeurs ancestrales des pionniers, de l’autre la boulimie capitaliste qui ne cherche qu’à tout posséder. Une vision étonnamment pessimiste qui accompagne le choix dAndré de Toth de tourner son film dans une obscurité quasi totale. La photo de Charles Lawton Jr (3h10 pour Yuma, La Dame de Shanghaï) use en effet de nuits américaines et de clairs-obscurs. Une audace qui trouve son apothéose dans une fusillade entièrement plongée dans le noir, presque abstraite, si ce ne sont ces quelques plans d’inserts voulus par la production comme le précise Patrick Brion, qui gâchent quelque peu le parti-pris du cinéaste. Plus surprenant encore pour ce type de production, ce sont les rôles féminins qui portent l’entièreté du récit. Nan (Ellen Drew) cowgirl à la tête de sa propre exploitation, mais surtout Laurie campée par Joan Leslie (Sergent York). Un beau personnage complexe, ambitieux et fort, qui n’hésite pas à se couper de son environnement familial sclérosé pour atteindre ses objectifs. Elle qui a vu sa mère se tuer à la tâche ne désire que s’élever dans l’échelle sociale, « devenir quelqu’un », quitte à se résigner au malheur d’un mariage d’intét qu’elle considère elle même comme un « marché ». Ironiquement, c’est le sentimental Owen qui lui reproche de suivre sa raison plutôt que son cœur, comme une ultime inversion des genres, point fort d’un long-métrage surprenant à plus d’un titre.

Bataille sans merci (Gun Fury) de Raoul Walsh (1953)

Né en 1887, cinéaste ultra prolifique à l’œuvre depuis 1915 (il réalisera en tout et pour tout plus de deux-cent films, bien qu’il revendique la paternité de près de quatre-cent), Raoul Walsh est déune légende, capable d’enchaîner jusqu’à quatre projets par an, lorsqu’il réalise Bataille sans merci en 1953. Adaptation dun roman écrit à six mains par George, Kathleen et Robert A. Granger, par les scénaristes Irving Wallace et Roy Huggins, créateur de la série Le Fugitif et réalisateur du Relais de lor maudit avec Randolph Scott, le long-métrage est en outre produit par Columbia qui impose à Walsh un tournage en 3D. Ben Warren (Rock Hudson), ancien militaire part chercher sa fiancée Jennifer (Donna Rees) pour la conduire en Californie où ils désirent s’établir. Leur diligence est attaquée par deux hommes masqués qui assomment Warren et enlèvent la jeune femme. Comment le réalisateur vétéran aborde-t-il cette production qui vise à réinventer le western et le propulser dans le futur grâce aux technologies de pointe ?

(Bataille sans merci – Copyright Sidonis-Calysta)

Bataille sans merci ancre son intrigue dans une Amérique fraîchement unifiée, mue par une volonté de construire un monde nouveau et pacifié. Ben, incarné par un jeune Hudson à qui le cinéaste a offert son premier rôle sur grand écran dans Les Géants du ciel comme le souligne Patrick Brion, croit fermement en la possibilité de cette société idyllique. Lacteur incarne en effet un homme idéaliste, devenu antimilitariste suite à son expérience traumatisante durant la Guerre de Sécession. Une foi en lavenir qui se heurte pourtant à la dure réalité. En voulant à tout prix tourner le dos à leur passé sauvage et brutal, basé sur des lois et des valeurs archaïques, les Etats-Unis sont en train dengendrer une nouvelle violence faite dinégalités et dun profond individualisme, synthétisée par la personne du shérif, dépositaire de la nation, qui refuse de simpliquer par peur de perdre sa place. Cette volonté de policer un territoire qui a pourtant été conquis dans le sang, est moqué par lancien confédéré Slayton (campé par Philip Carey) qui nhésite pas à déclarer « les hommes ordinaires, obéissent aux lois ordinaires », comme un doigt dhonneur aux politiques progressistes mises en place par le Nord vainqueur. Le réalisateur, dont le documentaire Les Vraies aventures de Raoul Walsh présent en bonus révèle quil a lui-même été cowboy et a côtoyé un certain Pancho Villa, se plaît dès lintroduction à dépeindre lillusion de cette société hypocrite où les bourgeois digressent calmement dans le confort dune diligence alors que des soldats les escortent au beau milieu dun territoire hostile. Le twist narratif de début de récit, se joue également de cette porosité entre les conceptions sociales distinctes lorsque les membres gang (au sein duquel Lee Marvin fait lune de ses premières apparitions au cinéma) se débarrassent de leurs tenues militaires pour revêtir leurs habits de hors-la-loi. Les apparences sont trompeuses et le passé peut resurgir à n’importe quel moment, à limage du modernisme imposé au cinéaste qui semble se désintéresser totalement de la 3D. Il est amusant de souligner que ce dernier, borgne, à linstar dAndré De Toth qui pourtant signa LHomme au masque de cire avec cette même technologie, ne pouvait pas saisir le rendu permis par les lunettes anaglyphes. Brion revient en détail sur ce désir de lindustrie duser du relief (LEtrange créature du lac noir, Le Crime était presque parfait) afin de contrer lessor de la télévision. Visiblement peu concerné par ces artifices, le réalisateur se contente de filmer quelques plans dobjets lancés sur la caméra, dans un effet de surgissement, ou compose une vue subjective depuis le siège dun cocher pendant une cavalcade. Son attention se porte en réalité ailleurs, vers une Histoire qui ne cesse de contaminer le présent.

(Bataille sans merci – Copyright Sidonis-Calysta)

Dans son interview, Jean-François Giré souligne que lantagoniste semble plus intéresser le metteur en scène que son héros, finalement assez fade. Frank Slayton, marqué par une guerre qui engendra le massacre de Richmond, ultime acte de barbarie inutile dun conflit fratricide, fantasme un roman national idéalisé. Lors dune discussion très courtoise, chacun évoque son expérience du combat et le traumatisme qui en découle. Le chef de gang, tout comme Jennifer (campée par Donna Reed, à laffiche de Tant quil y aura des hommes la même année) sont deux sudistes qui ont perdu leurs privilèges en même temps que leur monde. Ils fuient des Etats ravagés, vissés à leur codes aristocratiques moribonds. Si la jeune épouse se révèle un personnage décevant compte tenu de lattachement de Walsh à des figures féminines fortes, Slayton se pose en centre névralgique du récit. En effet, le bad guy devient la cible dune chasse à lhomme où chacun souhaite se venger des agissements du bandit. Loin des villes prospères, sagglomère autour du protagoniste une communauté disparate (un Indien vengeur, une Mexicaine trompée) guidée par un seul but, faire payer celui qui a détruit leurs vies. Une préfiguration de la troupe menée par Josey Wales dans le film du même nom qu’Eastwood réalise en 1976 en somme. Ensemble, ils retrouvent leurs instincts, cèdent à la loi du plus fort à mesure quils traversent des espaces sauvages où le danger se love dans chaque recoin, à limage de ce serpent venimeux dissimulé dans un buisson. Bien que porté par une mise en scène relativement sage venant dun cinéaste capable dune incroyable inventivité formelle (en témoignent Les Fantastiques années 20 ou Gentleman Jim), Bataille sans merci (étonnant titre qui, comme son pendant original, Gun Fury, promet un déluge de violence qui narrive jamais) se pose en œuvre mineure dune filmographie foisonnante. Néanmoins, il boucle son retour à la brutalité du grand Ouest de la plus belle des manières, en orchestrant un duel final au cœur dune maison en ruine métaphorique. Patrick Brion distingue la carrière de Walsh en deux types de westerns. Dun côté les grandes épopées telles que La Piste des géants, de lautre, les petites productions plus modestes dont ce long-métrage et ses soixante dix-neuf minutes de traque haletante, sinscrit assurément.

Disponibles en DVD et Combo Blu-Ray/DVD chez Sidonis-Calysta

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A propos de Jean-François DICKELI

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