Une dizaine d’années après ses actes fondateurs consécutifs, La Fille qui en savait trop (1963) et Six femmes pour l’assassin (1964) de Mario Bava, le giallo allait connaître au cours des seventies son apogée, grâce à un certain Dario Argento. Sa trilogie animalière L’Oiseau au plumage de cristal, Le Chat à neuf queues et Quatre mouches de velours gris, impose un style graphique unique et instantanément identifiable, faisant de lui un auteur majeur avant qu’il ne signe en 1975 son magnum opus, Les Frissons de l’angoisse, qui permettra au genre de s’exporter dans le monde entier. Si le registre intéresse des grands noms du cinéma transalpin tels que Lucio Fulci (Le Venin de la peur, La Longue nuit de l’exorcisme, L’Emmurée vivante), Aldo Lado (Je suis vivant !) ou même Luigi Comencini (La Femme du dimanche), il attire également vers lui artisans roublards et opportunistes prêts à tenter leur chance. Arrivé sur le tard dans l’industrie (il avait déjà plus de quarante-cinq ans), Andrea Bianchi appartient assurément à cette deuxième catégorie. Il débute sous le pseudonyme d’Andrew White, en se chargeant de la version italienne des Émotions d’un jeune voyeur réalisé par James Kelly, un thriller horrifique longtemps censuré, avant d’assister John Hough sur le film d’aventures L’Île aux trésor (avec Orson Welles !). En 1974 vient son premier long-métrage (et possiblement son meilleur), Quelli Che Contano, un poliziottesco avec Barbara Bouchet et Henry Silva, sorte de réappropriation mafieuse de Pour une poignée de dollars (lui-même déjà fortement inspiré par Le Garde du corps d’Akira Kurosawa) radicale et nihiliste, constituant un plaisir régressif empreint d’amertume, se révélant plus retors que la simple série B d’exploitation qui devrait le caractériser. Trois mois plus tard, Bianchi effectue un nouveau virage et met en scène Le Colonel en folie, une comédie militaire portée par Jacques Dufilho (quatre ans avant son césar du meilleur second rôle pour Le Crabe-Tambour de Pierre Schoendoerffer). Il est ainsi difficile d’être surpris, lorsqu’il s’essaye au giallo en 1975 en s’attelant à Nue pour l’assassin, qui deviendra son titre le plus connu. Il réunit au casting, une spécialiste du genre en la personne d’Edwige Fenech (en plein virage vers la comédie érotique, délaissant progressivement les gialli) et Nino Castelnuovo à la filmographie nettement plus éclectique (il jouait Guy Foucher dans Les Parapluies de Cherbourg ou encore le garçon d’étage à l’hôtel du palais dans L’Emmerdeur). L’intrigue se situe à Milan, au milieu des années 1970 où un mystérieux tueur, s’est mis en tête d’occire le personnel du Studio Albatros, une agence de mannequins. Deux photographes, Magda Cortis (Edwige Fenech) et Carlo Gunter (Nino Castelnuovo), mènent l’enquête, ignorant que cette vague de meurtres sauvages est liée à la mort récente d’une jeune femme, suite à un avortement clandestin. Il s’agit du premier film d’Andrea Bianchi à sortir en haute-définition en France, cela sous l’égide du Chat qui Fume, d’évidence l’éditeur le plus approprié au moment de tirer de l’anonymat un tel réalisateur.
Entrée en matière d’un racolage inouïe, sans la moindre contextualisation : la tête d’un médecin judicieusement appelé « boucher » est placée au centre du plan, devant les parties intimes d’une jeune femme qui s’apprête à se faire avorter, le tout rythmé au son de battements de cœur. L’issue sera tragique et la scène grossièrement maquillée en suicide. Un générique nocturne au parfum de blacksploitation (relecture à peine dissimulée de Papa Was a Rolling Stone des Temptations) où le titre du film apparaît dans une police qui semble directement tirée d’un porno, précède le premier meurtre. Étonnamment cadrée de loin, entrecoupée d’un flashback sur le cadavre inaugural doublé de bruits de respiration, la séquence amorce l’arrivée d’un énigmatique tueur en série, intégralement vêtu de noir, le visage masqué par un casque de moto (une référence ou un « emprunt » à La Lame infernale de Massimo Dallamano ?) qui empêche de découvrir son identité. Ce court passage distille l’impression d’un usage du gore presque abstrait par sa dimension à la fois crue, factice (le réalisme n’est pas de mise) et excessive. Rupture de ton, la nuit cède sa place au jour, nous découvrons désormais un homme libidineux suivant puis photographiant une inconnue à son insu. Il s’agit de Carlo, l’un des personnages principaux, introduit sous un angle grivois peu favorable tandis que sa partenaire est quant à elle complètement objectifiée, n’existant qu’à travers les regards extérieurs systématiquement péjoratifs sauf lorsqu’il est question de valoriser sa plastique avantageuse. Andrea Bianchi pose un à un ses motifs esthétiques dominants, la couleur rouge (le sang, la voiture, les décors, les lumières), un goût pour les plans relativement longs, l’usage des zooms et dézooms (procédé par essence « artificiel », qui, outre sa dimension tape-à-l’œil, peut ici signifier la superficialité certaine du milieu dépeint) et un recours régulier à des images de nudité féminine comme pour flatter bassement son spectateur. Paradoxalement, cette approche cohérente en tant que telle, s’effectue au détriment du script, générique et peu palpitant (laborieusement relancée en cours de route par une fausse piste grossière) aux airs d’ersatz bis de celui de Six femmes pour l’assassin, où les victimes étaient des mannequins. Giallo inefficace et racoleur, Nude per l’assassino abat prématurément toutes ses cartes, incapable de se réinventer, la lassitude se fait alors grandissante. Bianchi décline le même schéma, le même dispositif à chaque meurtre, étouffant toute tentative de surprise et diminuant peu à peu tout plaisir éventuel. À y regarder de plus près, il appose à son long-métrage une logique directement héritée du porno et élabore une sorte de gonzo avant l’heure. La typographie du titre et la dimension quasi programmatique de ce dernier, avaient le mérite de leur honnêteté, ils annonçaient le menu sans détour : nudité et assassinats. En effet, l’intrigue s’avère n’être qu’un simple prétexte à lancer des passages coquins à intervalles réguliers, sans que le réalisateur ne puisse céder pleinement à ses envies profondes. Il rectifiera le tir par la suite de sa carrière, d’abord en parsemant son Malabimba (une variation bisseuse de L’Exorciste flirtant avec la nunsploitation) de scènes de sexe explicites tournées par ses soins, puis en délaissant le cinéma traditionnel pour le X durant les années 80, s’illustrant dans le mainstream mais aussi dans des catégories franchement extrêmes…
Dans ces conditions, il est possible de s’arrêter à un constat simple, celui d’un film d’exploitation bancal, empreint de gratuité, gentiment divertissant par ses multiples déviances, au sein duquel se diluent les quelques aptitudes formelles d’Andrea Bianchi. Conscient de la vacuité de son projet, le réalisateur se permet même une longue et impressionnante séquence de course filmée depuis l’intérieur d’une voiture, totalement décorrélée du reste du récit. Paradoxalement, Nue pour l’assassin ouvre la voie, presque à ses dépens, sinon à une réflexion sur le voyeurisme au cinéma, du moins à un autoportrait en creux de son auteur. La frontalité répétée de ses cadrages, la frontière poreuse entre visions objectives et subjectives, interrogent son point de vue et sa position derrière la caméra. Sa manière d’inclure son statut de voyeur via sa réalisation (la photographie d’un meurtre, le jet d’une nuisette sur l’objectif rendant concret la présence de l’appareil) ou de fréquemment altérer le regard de ses personnages, crée une étrange mise en abyme. Ainsi l’une des dernières séquences, plongée dans l’obscurité, nous donne à voir, ce que seuls le tueur et nous pouvons déceler, pas Magda. Le réalisateur ne feint pas d’ignorer la dimension racoleuse de son long-métrage, il cherche à faire de nous ses complices, en nous renvoyant son miroir en pleine figure et titillant nos bas instincts, conscient de notre impuissance. De même, les personnages sont souvent témoins des meurtres par procuration. L’une des modèles découvre la mort d’une proche par l’intermédiaire d’un journal télévisé, Carlo assiste au calvaire de sa petite amie par téléphone, la clef du mystère est révélée par une photo qui tarde à être développée. Prenant en compte notre perception, le cinéaste s’amuse à reproduire à l’identique un passage deux fois de suite. La première en filmant une belle jeune femme dénudée, la seconde en nous montrant un homme repoussant, une poupée gonflable à la main. Une même mécanique d’angoisse crée ainsi deux approches et deux ressentis différents, ce n’est pas le geste de mise en scène qui conditionne notre émotion, mais le sujet représenté et l’œil que l’on pose dessus. Si ces partis-pris ne font pas de Nude per l’assassino un grand film théorique ou métatextuel, pas plus qu’ils ne permettent de le classer dans la catégorie des gialli essentiels, il est néanmoins possible d’y percevoir la malice d’un auteur entièrement dévoué à l’exploitation d’un genre dans tout ce qu’il a de plus crapoteux.
Le Chat qui Fume propose ici un master en tous points parfait (la qualité de l’image étonne par sa pureté, son absence de défauts apparents) accompagné de trois suppléments. Tout d’abord une interview de l’actrice Erna Schurer qui revient en détails sur son parcours, ensuite un entretien plutôt amusant avec Nino Castelnuovo qui admet ne plus avoir beaucoup de souvenirs du tournage. Il est à noter que si Edwige Fenech est la grande absente de ces bonus (la comédienne ne souhaite plus revenir sur cette période), elle est au cœur de toutes les nombreuses anecdotes. Une bande-annonce d’époque complète cette édition.
Disponible en Blu-Ray chez Le Chat qui Fume.
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