Chef d’oeuvre parmi tant d’autres d’une filmographie aussi passionnante qu’injustement rare en vidéo, Maria’s Lovers (1984) d’Andreï Konchalovsky a récemment – et pour la première fois au monde – fait l’objet d’une sortie en Blu-Ray, grâce à l’éditeur Intersections.
1946. Traumatisé par des années de détention dans un camp ennemi où son seul réconfort était de songer à sa bien-aimée, prénommée Maria, Ivan, un jeune soldat américain, regagne sa Pennsylvanie natale. Il y retrouve Maria, qui l’aime toujours. Les deux jeunes gens se marient sans tarder mais découvrent, lors de leur nuit de noces, qu’Ivan, n’ayant cessé d’idéaliser sa femme lorsqu’il était captif, ne parvient pas à lui faire l’amour, pour la plus grande frustration de celle-ci…
Au début des années 1980, Andreï Konchalovsky, déjà auteur de six longs-métrages en URSS (dont le magnifique Sibériade, primé à Cannes en 1979) parvient à quitter la Russie pour la France. Francophone et francophile, il projette tout naturellement d’y poursuivre sa carrière, mais en vain : la légende, largement alimentée par Konchalovsky lui-même, retiendra que Daniel Toscan du Plantier refusa de financer ses projets car il le soupçonnait d’être un agent du KGB. Ne trouvant pas d’emploi dans l’Hexagone – mais gardant sous le coude quatre scénarios écrits pour lui par Gérard Brach, rencontré entretemps – le réalisateur repart tenter sa chance, d’abord aux États-Unis puis à Cannes, où sa bonne étoile le guide jusqu’à Menahem Golan. Détenteur, avec son cousin Yoram Globus, de la légendaire société de production américaine Cannon Group – certes d’abord pourvoyeuse de nanars de luxe mais dont il serait criminel d’oublier qu’elle fut aussi la bienfaitrice de quelques grands cinéastes, à commencer par les orphelins du Nouvel Hollywood John Cassavetes, Robert Altman, Tobe Hooper ou Jerry Schatzberg… alors en mal de fonds et de liberté artistique – Golan prend Konchalovsky sous son aile et les deux hommes entament une collaboration fructueuse, marquant le début de la période américaine du cinéaste et durant laquelle naîtront certains de ses plus beaux films.
Cette ère sous l’égide de la Cannon le verra ainsi tourner le culte Runaway Train (1985) (d’après un scénario de Kurosawa), l’émouvant Duo pour une soliste (Duet for One) (1986) (avec Julie Andrews) et l’extraordinaire Bayou (Shy People) (1987) mais d’abord et avant tout Maria’s Lovers (1984).
Premier des deux scripts de Gérard Brach finalement adaptés et filmés par Konchalovsky – le second deviendra Le Bayou quelques années plus tard – tourné avec un budget (dérisoire pour l’époque) de deux millions de dollars et réunissant John Savage, Robert Mitchum et Keith Carradine autour d’une Nastassja Kinski au sommet de sa gloire, Maria’s Lovers incarne autant le dernier sursaut d’une époque – avec son casting et son atmosphère dignes du Nouvel Hollywood – que l’adaptation réussie de son auteur aux codes du cinéma américain.
Partant d’une histoire qu’il pensait initialement mettre en scène en France avec Isabelle Adjani dans le rôle principal, Konchalovsky réussit en effet haut la main le pari de filmer une Amérique qu’il connaît pourtant encore mal, choisissant pour cela de situer son histoire en Pennsylvanie, dans une communauté originaire d’Europe de l’Est. Sublimant des paysages ruraux similaires à ceux de la Russie et créant, grâce à ses acteurs américains et ses décors urbains – peu nombreux mais particulièrement pittoresques – un environnement plus vrai que nature, tout en concentrant ses enjeux autour de son actrice principale (européenne), le film jouit ainsi d’une atmosphère unique, à mi-chemin entre romantisme slave et néo-western (bien qu’il se passe dans l’est des États-Unis).
Outre sa représentation singulière et pertinente de l’Amérique des années 1940, Maria’s Lovers doit très largement sa réussite à la qualité de son scénario, celui-ci dépeignant avec une précision extrême – et ce aussi bien d’un point de vue dramaturgique que psychologique – la vie de couple de Maria et Ivan, mise à mal par le traumatisme dont souffre ce dernier. Ce « blocage » s’avère en effet être le véritable élément déclencheur de l’intrigue, qui s’emploie dès lors à retracer, presque à la manière d’une chronique, le quotidien de ces époux que l’incapacité de coucher ensemble – et donc de faire un enfant, ce qui importe énormément à Maria – aliène progressivement, en dépit de l’amour inconditionnel qu’ils se portent. Cette frustration, dont Konchalovsky filme la croissance avec un oeil d’anthropologue, les conduira notamment à se séparer pour éviter l’auto-destruction, jusqu’à ce qu’une aide étonnante (car providentielle bien malgré elle…) vienne éclairer leur chemin de façon inespérée…
Mélodrame pur et dur, romanesque en diable et porté par un récit fait de passion pure, de sentiments exaltés et d’une foi totale en l’idée de rédemption, Maria’s Lovers brille également par son atmosphère. Il est en effet probant de voir (et revoir) à quel point Konchalovsky parvient à offrir à cette histoire simple et à la portée universelle un écrin d’exception, adaptant avec une virtuosité évidente son style aux exigences hollywoodiennes tout en signant, comme à son habitude, une mise en scène sobre et pudique mais toujours efficace. Chaque plan porte clairement sa patte, que définissent une caméra jamais nerveuse mais toujours placée sous le meilleur angle, des compositions minutieuses, des jeux de lumière et de couleurs des plus adroits – le film use notamment des contrastes pour mettre en valeur les visages ou faire ressortir des notes de couleurs vives au sein d’une photographie à dominante douce et pale – ainsi qu’une utilisation parcimonieuse – et toujours riche de sens – de la musique, le tout suivant un sens du rythme inimitable (souvent attribué à la formation musicale de Konchalovsky) conférant à ses films un tempo pas forcément rapide mais toujours dénué de temps mort, ajoutant à la dimension enveloppante et onirique de son cinéma…
Maria’s Lovers est enfin porté par la qualité de sa distribution, avec ses « gueules » allant d’un Robert Mitchum sexagénaire – parfait en patriarche imposant – à un tout jeune John Goodman, en passant par Keith Carradine et John Savage, tous gravitant autour de Nastassja Kinski, star incontestée (et incontestable) du film. Celle-ci trouve en Maria l’un de ses plus beaux rôles et offre pour l’occasion l’une de ses plus belles performances, faites de regards et d’attitudes évoluant de façon saisissante à mesure que son personnage, d’abord ingénu, gagne en maturité. Directeur d’acteurs hors-pair et cinéaste « amoureux » de ses actrices s’il en est, Konchalovsky trouve ici l’une de ses plus belles égéries, ce dernier point constituant à lui seul une raison suffisante de (re)voir ce trésor injustement oublié de leurs filmographies respectives…
Rassemblant un casting cinq étoiles au coeur d’une Amérique aussi familière que dépaysante, Andreï Konchalovsky, non content de s’offrir une première incursion réussie dans le cinéma américain, signe avec Maria’s Lovers l’un des plus beaux mélodrames des années 80 et offre à Nastassja Kinski l’un des rôles les plus marquants de toute sa carrière.
Disponible en Blu-Ray chez Intersections
Bonus :
-Entretien avec John Savage (6min, VOSTF)
-Entretien avec Vincent Spano (16min, VOSTF)
-Maria’s Lovers par Olivier Père (30min, VF)
-Michel Ciment à propos d’Andrei Konchalovsky (30min, VF)
-Message téléphonique promotionnel d’époque (3min, VF)
-Bande annonce (VOSTF)
-Livret de 28 pages contenant un nouvel entretien avec Andrei Konchalovsky, ainsi qu’un essai de Justin Kwedi sur Nastassja Kinski
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