Bandolero a, en apparence, tout du western américain classique dont il reprend la plupart des archétypes. Il appartient en particulier au sous-genre du film de fuite et de traque. L’aventure des frères Bishop ressemble à bien d’autres aventures : après un hold-up raté et meurtrier, Dee (Dean Martin) et ses acolytes pilleurs de banque échappent à la potence grâce à l’intervention de son frère ainé Mace (James Stewart). Ils s’engagent alors à travers un Mexique déjà menaçant, poursuivis par le shérif et ses hommes, non sans avoir kidnappé Maria, la femme d’une de leurs victimes. Mace est le sage du duo, d’habitude du bon côté de la loi, face à son frère fougueux qu’il aimerait remettre sur le droit chemin. Bandolero, n’a a priori absolument rien d’un film grave. La réalisation de cet artisan du western et du film de guerre patriotique qu’était Andrew V. McLaglen bien qu’assez anonyme, reste solide et si Bandolero n’échappe pas aux conventions, son déroulement comporte son lot de surprises. Le ton enlevé, ouvertement léger, en fait un pur divertissement, souvent proche de la comédie, emmenant le spectateur « en terrain connu », tout en disséminant petit à petit des éléments perturbateurs plus sombres qui conduisent une œuvre d’abord distrayante à défaut d’être originale vers la tragédie. Elle expulse une mélancolie inattendue, contribuant à cette impression de fausse route d’un film qui annonce trop clairement ses couleurs et ses codes pour mieux dériver ailleurs. L’arrivée de l’ennemi sans nom, la figure du Mal qu’on ne connaît pas, contribue à ce changement. Les autres « banditos » mexicains sont des ennemis presque invisibles, rendant la chasse lancée contre les pilleurs de banques totalement absurde.
McLaglen n’est ni Hawks, ni Aldrich et son duo ne répétera pas l’alchimie du tandem Dean Martin/John Wayne de Rio Bravo, ni celle de Burt Lancaster et Gary Cooper dans le tragique Vera Cruz, mais il n’empêche qu’il fonctionne, grâce à un Dean Martin triste et fragilisé comme il sait si bien les jouer, mais plus encore grâce à James Stewart, toujours aussi génial, qui emplit chaque séquence où il joue de sa présence et de son charisme insurpassables. Anthony Mann lui avait offert des rôles autrement plus complexes dans Winchester 73 (1950) ou Naked Spur (1953) mais ici encore, il emporte le film à lui tout seul. Même éculé, le thème de la fratrie reposant sur l’antinomie mauvais garçon/ ange gardien, est traité de manière subtile et émouvante. L’intrigue sentimentale qui s’esquisse entre Maria et Dee respirait a priori le cliché et débouche quant à lui sur une histoire d’amour pure, hésitante, en particulier dans la vision d’un Dee ne parvenant pas à avouer ses sentiments, rendant le final d’autant plus pathétique. Raquel Welsh, qu’on imagine comme stéréotype de la prostituée se refaisant une vie grâce aux richesses de son mari, n’arrive pas non plus où on l’attend. Elle rappelle d’ailleurs un autre personnage féminin d’un western réalisé aussi en 1968, celui de Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l’ouest. En tête des poursuivants, Georges Kennedy, cette « gueule positive » du western vient incarner la bonne moralité et le respect de la loi. Mais même ces figures ne sont plus vraiment manichéennes, la poursuite et ses objectifs se faisant de plus en plus véhéments et absurdes. Le mal ici n’est pas dans les héros et ceux qui leur font face, mais plus pernicieux, tapi dans le paysage menaçant.
On retrouve plus encore chez Huston cet effet anxiogène du lieu, de l’horizon et de l’attente. Réalisé en 1960 entre un film peu apprécié (à tort) – Les racines du ciel (1958) – et un film adulé (à raison) – The Misfits (1960), Le vent de la plaine occupe une place curieuse dans la filmographie de John Huston et ne fait pas partie de ses œuvres les plus aimées ni connues. Pourtant, Huston y emploie le genre pour y illustrer ses thèmes fétiches : l’homme et son identité, son rapport à l’autre, son destin, le Mal profond et persistant… et cette irréparable faute qui le tourmente. L’argument est simple : composée d’une veuve (Lillian Gish) entourée de ses trois fils et de leur sœur adoptive Rachel (Audrey Hepburn), les Zachary continueraient de mener une existence paisible et sans histoire en vivant de leurs terres et de leur bétail, si l’arrivée d’un mystérieux personnage à l’allure fantomatique ne venait pas en bouleverser le destin. Ce dernier commence à colporter un peu partout qu’il connaît la vérité sur Rachel : elle aurait été enlevée aux indiens par les blancs alors qu’elle était bébé. Les indiens vont tout faire pour récupérer l’enfant qu’on leur aurait volé. Le frère ainé, Ben (Burt Lancaster) se met en devoir de protéger sa famille, coûte que coûte. A y regarder de plus près, le traitement que fait subir Huston au western n’est pas éloigné de celui auquel procèdera Polanski pour le film noir dans Chinatown. Ici, l’héroïsme n’est qu’un leurre pour dresser le triste bilan des hommes minés par leurs fautes et entrainant leurs descendants dans leur sillage. Sous-jacent, le pessimisme s’y répand insidieusement mais sûrement. En prétendant évoquer la force familiale, le courage du héros s’exerçant toujours pour protéger la sacro-sainte cellule, c’est du péché « originel » que Huston parle, du crime fondateur, du ver dans le fruit qui scellera tôt ou tard plus que sa reconstruction, sa dissolution, ce que suggère magnifiquement le titre original « The Unforgiven »[1]. L’idéal familial n’est qu’une belle image pieuse, un mensonge. On peut imaginer que ce film maudit de Huston s’il n’avait pas subi, outre son tournage chaotique, les mutilations de ses producteurs, aurait pu être un chef d’œuvre. Le personnage de Johnny Portugal, le portugais rejeté autant par les blancs que par les indiens, occupait une place beaucoup plus importante dans la version voulue par Huston, véhiculant avec puissance le message du cinéaste contre l’intolérance et le racisme. Dans son état actuel, Le vent de la plaine n’en continue pas moins de happer le spectateur, à l’instar de La splendeur des Amberson qui bien que n’appartenant plus vraiment à Welles, restera parmi les œuvres majeures du cinéaste.
Le vent de la plaine est donc sombre, au sens propre comme au figuré, une œuvre aux couleurs presque étouffées, comme recouvertes de poussière, les plus belles scènes étant celles de nuits tombantes dans lesquelles se produit l’action, lui donnant une allure souvent fantastique : c’est un cavalier hirsute qui apparaît régulièrement comme un fantôme, ou la poursuite du rodeur lors d’une tempête dans laquelle on n’aperçoit plus rien. Parmi les séquences les plus irréelles et les plus belles demeure ce moment ou Lillian Gish joue du Mozart sur le piano à queue déplacé à l’extérieur pour couvrir les tambours indiens. Le vent ne cesse de mugir et enveloppe l’atmosphère d’un voile surnaturel. Le vent de la plaine est un poème lyrique dont l’intrigue évolue comme une tragédie grecque, vers le destin promis à chacun. Il opère en parfait miroir en négatif de La Prisonnière du désert de John Ford. Ford va vers la lumière – y compris dans son esthétique ensoleillée – et la bonté, et malgré la reconnaissance des indiens, transparaît une certaine condescendance patriotique pour le blanc héroïque incarné par John Wayne. John Huston plonge dans l’obscurité et ironiserait presque sur l’ambiguïté du message de son prédécesseur. Le schéma de l’enfant volé comme acte fondateur par lequel tout est déclenché est ici inversé, puisqu’il ne s’agit plus d’une blanche volée par les indiens, retrouvant son identité, mais d’une indienne élevée par des blancs, que les siens veulent ramener à sa terre natale. Huston comme Ford adapte Allan Le May qui, avec Le vent de la plaine, voulait répondre avec plus de clarté à ceux qui avaient critiqué une position pas toujours claire dans La prisonnière du désert. Le happy end, qui devrait réjouir en enraillant le mécanisme fatal ne fait qu’en ajouter à l’amertume. A quel prix protège-t-on sa famille ? La valeur morale victorieuse, une nouvelle fois, se fait au mépris des peuples opprimés et l’acte héroïque est l’acte d’une tuerie qui a lieu pour permettre à une famille de blancs de retrouver la sérénité et de protéger définitivement le délit du secret. Rares sont les fins heureuses qui prennent une tonalité aussi morbide. Le vent de la plaine est donc l’histoire d’une entente impossible et d’une guerre dont l’absurdité s’accroît au fil de l’intrigue, jusqu’à l’inéluctable. Bien que le terme soit souvent usurpé Le Vent de La plaine peut prétendre sans conteste au statut de grand film malade. A redécouvrir absolument.
Les copies superbes, les suppléments analytiques passionnants sous la direction de l’indispensable Patrick Brion (avec la collaboration de François Guérif) tout aussi intéressant dans ses recadrages historiques que lorsqu’il évoque l’œuvre de Huston, contribuent à nous encourager à nous jeter sur ces deux westerns, même s’il faut bien avouer que la puissance du Huston est écrasante.
Bandolero (USA, 1968) de Andrew V. McLaglen avec James Stewart, Dean Martin, Raquel Welsh
Le vent de la plaine (USA, 1960) de John Huston avec Burt Lancaster, Audrey Hepburn, Lillian Gish
Blu ray édités par Filmédia
[1] « Coïncidence », Unforgiven est également le titre original d’Impitoyable réalisé par Clint Eastwood en 1992, autre grand western crépusculaire traitant lui aussi magnifiquement du Mal, de la culpabilité et des mythes effondrés. On se souviendra également que dans Chasseur blanc, coeur noir Eastwood racontait l’aventure de Huston bien décidé à tuer un éléphant en Afrique, et que lui même incarnait le cinéaste.
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