Est-ce réellement le braquage du siècle ? En tout cas, il s’agit, à n’en pas douter, d’un des plus « classes », orchestré par des voleurs gentlemen, sans doute romancé pour les besoins d’une transposition sur grand écran. Mais les faits parlent pour eux dans cette rocambolesque histoire « vraie » qui semblerait avoir inspiré la série espagnole La Casa De Papel. L’action se déroule en Argentine en 2006. Une équipe de cambrioleurs, jusqu’ici spécialisés dans de petits larcins, décident de viser gros et mettent au point un braquage particulièrement ingénieux, ridiculisant avec panache des forces de l’ordre déboussolées par le déroulement des événements.
Le Braquage du siècle appartient à un sous-genre populaire, le film de casse, caractérisé le plus souvent par un esprit décontracté, un flegme assumé l’orientant naturellement du côté de la comédie gentiment amorale. L’écueil de ce type de récit, dont on connaît partiellement les tenants et aboutissants, s’inscrit au cœur d’un projet couru d‘avance, dévitalisant l’intrigue du moindre enjeu narratif. De surcroît, si le fait divers vous est familier, l’absence de surprises est d’autant plus flagrante. Par exemple, aussi brillante soit-elle, la série des « Ocean » de Steven Soderbergh ne vaut que pour le charisme de ses interprètes, défilé de stars venues prendre du bon temps et divertir à peu de frais un public conquis d’avance. L’idée géniale de la conception du vol d’un butin de quelques millions de dollars même si elle brille par sa véracité, ne peut fonctionner à l’écran que si la forme suit. Tout est une question de mise en scène dans ce genre de film. Elle en est même le cœur du sujet en tant que métaphore ludique de la création artistique. Ce n’est pas un hasard si l’un des cerveaux de l’entreprise est décrit comme une sorte de poète décalé, un artiste à la fois brillant et sentimental, réunissant les qualités requises d’un metteur en scène à la hauteur de ses ambitions, respectant les règles minutieuses du plan tout en évitant les dommages collatéraux (les otages ne sont pas violentés et les armes utilisées sont des jouets).
La dimension excitante et ludique de ce Braquage du siècle tient au déroulement des événements, à la manière dont le réalisateur filme le cambriolage, renvoyant à l’affaire Spaggiari qui a inspiré Les Égouts du paradis de José Giovanni. Ariel Winograd s’était distingué jusqu’ici par une comédie romantique plutôt convenue, Permis de tromper en 2016, qui fut un véritable succès populaire dans son pays mais qui est inédite chez nous. Il passe ici à la vitesse supérieure et étonne par son sens du tempo. La mécanique parfaitement huilée d’un scénario qui se permet plein de jolies digressions s’accompagne d’une forme élégante et virtuose ; le montage, fluide et rapide, dégraisse un récit parfois alourdi par ses dialogues encombrants. Le cinéaste verse parfois dans une esthétique publicitaire plus séduisante que clinquante, déployant un vrai sens du cadre et des qualités techniques non négligeables, en l’occurrence de très beaux mouvements de caméra, renforçant l’atmosphère un peu lounge qui se dégage. D’autant que la musique, mix entre le jazz-rock syncopé des années 70 à la Lalo Shiffrin et des accents westerniens à la Morricone, rythme efficacement ce divertissement qui emprunte d’ailleurs sa nonchalance naturelle, son humour et sa mélancolie au western européen des années 60. Cette référence discrète mais prégnante s’incarne délicieusement par la présence de personnages filous mais attachants devenus très populaires en Argentine. On retiendra particulièrement la prestation fabuleuse de Guillermo Francello, aperçu dans El Clan et Dans ses yeux, qui endosse le rôle d’un véritable démiurge de la cambriole, une sorte d’Arsène Lupin mélancolique, qui rêve juste d’être un homme bien aux yeux de sa fille. Les autres personnages, hormis le leader Araujo, instigateur du projet, sont un peu sacrifiés mais en l’état, Le Braquage du siècle, adapté librement du livre Sin Armas ni Rencores (2014) du journaliste Rodolfo Palacios qui a travaillé avec le témoignage direct de la bande d’Araujo, s’avère un thriller modeste au plaisir éphémère mais captivant et drôle.
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