Armando Crispino – « Frissons d’horreur »

Le générique, insolite, annonce la couleur.  Frissons d’horreur (Macchie Solari) affiche d’emblée une ambition singulière au sein d’un cinéma d’exploitation italien qui commence à s’essouffler à partir de la deuxième moitié des années 70. Le giallo connaît même ses derniers soubresauts malgré quelques bonnes surprises à suivre. Une irruption volcanique suivie de plans caniculaires montés en parallèle avec une succession de suicides et meurtres conjugués : des pères de famille assassinent leurs filles avant de retourner l’arme contre eux, un homme s’asphyxie avec un sac en plastique, une jeune femme se tranche les veines devant son miroir. Le fantastique, avec ce parfum d’apocalypse, n’est pas loin. Pour un peu on se croirait dans L’Antéchrist de Alberto De Martino. Une introduction tétanisante qui contient le projet imaginé par Armando Crispino et son scénariste inspiré d’une observation scientifique : les suicides seraient beaucoup plus nombreux l’été à Rome. Faut-il y voir une relation de cause à effet ? En tout cas c’est que les auteurs ont imaginé, partant de ce postulat intriguant pour bifurquer ensuite du côté du giallo morbide et désenchanté, doublé d’un portrait de femme d’une rare crudité.

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Cette femme c’est Simona, interprétée par une Mimsy Farmer particulièrement convaincante, cousine névrosée des personnages qu’elle incarne dans Le Parfum de la dame en noir et Quatre mouche de velours gris. Comme l’optimisme n’est pas au programme, elle travaille dans une morgue, trouvant même à travers sa profession le sujet de sa thèse. Victime d’hallucination, elle assiste au réveil des morts qui se montrent lubriques, s’accouplant entre eux. Tout un programme pour le moins traumatisant. Difficile d’en vouloir à Simona qui réfrène ses désirs, associant la sexualité aux corps inertes de son lieu de travail. Epaulé par son petit ami pour retrouver une libido normale, elle fait aussi la rencontre d’un drôle de prêtre, ancien pilote de voiture, qui prétend que sa sœur a été assassiné. Evidemment, Simona est troublée, attirée par cet homme de Dieu. Sans parler de son père, pièce importante de l’intrigue, qui lorsqu’il voit sa fille, lui dit sur le ton de la plaisanterie qu’il a bien failli la draguer. Tous les personnages qui gravitent autour de Simona apparaissent comme des menaces physique et/ou symboliques liés à lune masculinité toxique. C’est dans cette ambiance trouble que l’intrigue s’installe, celle d’un thriller étrangement abordé sans grande conviction. Car tout l’intérêt est ailleurs.

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Le mini prologue n’est pas anodin. Une ambition inhabituelle consume le métrage à l’image du soleil qui tape sur la capitale. Elle est sans doute imputable à son réalisateur, Armando Cirspino, artisan du cinéma italien cherchant à trouver une voie singulière du côté de gens comme Luigi Bazzoni ou Giulio Questi. Il est l’auteur d’un curieux western, une transposition de Dom Juan, et surtout d’un formidable film de guerre, violent et nihiliste, dans l’esprit d’Aldrich, Commando. Enfin, il réalise un curieux giallo Overtime avec Samantha Eggar, sorte de brouillon de Frissons d’horreur. Aussi racoleur soit-il, le titre français est assez juste, traduisant le climat de morbidité dans le quel le spectateur est plongé dès les premiers plans tétanisants.

Plus qu’un wodunit traditionnel, Frissons d’horreur est avant tout l’étude d’un cas, celui d’une femme frigide entourée d’hommes ambigus et/ou lubriques. Pour traduire la psychologie tourmentée de Simona, la mise en scène, en surrégime, fait de ruptures et d’accélérations constantes, emprunte le style du film d’action baroque, pas si éloigné, toute proportion gardée, de la flamboyance esthétique du cinéma d’Andrei Zulawski. En tout cas, Armando Crispino, par la simple puissance de ces images, alliées à un montage syncopé, filme le bouillonnement intérieur de son héroïne, ses désirs et frustrations croisés, sa paranoïa grandissante vis-à-vis des hommes. A travers elle, le cinéaste dresse un portrait sans fard d’une humanité déréglée, dénuée de la moindre empathie envers son prochain. Parfois proche de l’hystérie – tiens encore Zulawski – ce giallo baroque, en roue libre, à l’allure d’un poliziotesco sous acide avec ses lumières surexposées, ses plans cut et sa caméra portée à l’épaule signifiant une urgence communicative. Le film ne fait pas dans la suggestion, il fuit la litote. Les plans frontaux des cadavres, la nudité étalée, les effets gores jalonnent un drôle d’objet à l’onirisme malsain qui déçoit malgré tout dans son dernier tiers lorsque le besoin d’expliquer, de résoudre l’intrigue prend le pas sur l’atmosphère putride et déliquescente. Mais c’est un passage obligé et le rappel que nous sommes bien initialement dans un produit de consommation circonscrit dans un genre aux contours délimités. Mais qui ne cesse de déborder de son cadre.

Forgotten Gialli Volume 3

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Loin des histoires de machinations alambiquées saupoudrées de roman photo, Frissons d’horreur est un giallo décadent et fascinant, teinté de surnaturel, portrait halluciné d’une ville contaminée par une folie passagère. Quand le visage du coupable est dévoilé, il est trop tard, le mal est fait. Le véritable responsable nous parait ailleurs, entité nébuleuse prenant possession des corps des personnages au bord de la rupture et de l’explosion, symbolisé à l’écran par ces images récurrentes de volcans en irruption.

La copie est sublime même si quelques plans n’ont pas été restaurées. Jean-François Rauger, avec toute sa pertinence coutumière, revient sur le film. L’analyse est juste et pertinente. Francesco Crispino, le fils du réalisateur évoque dans un premier bonus le scénario du film qui devait être une trilogie. Mais après Overtime, Frissons d’horreur, Apparition n’a jamais été tourné. Ensuite, Crispino fait un retour éclairant sur la carrière assez courte de son père.

 

 

 

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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